Left unsaid

21 décembre 2019.

Tout ce que j’aurais aimé te dire, si je pouvais revenir en arrière.

Ça va aller.

Tu n’y es pour rien.

Ce n’est pas de ta faute.

Et tant d’autres mots, qui me semblent aujourd’hui si insuffisants.

J’aimerais pouvoir voyager dans le temps. Promis je n’y changerais rien, parce que je sais combien il est dangereux de jouer avec la temporalité de nos univers. Je ne veux pas changer le futur, promis. Je veux juste adoucir le passé. Je voudrais juste te dire tout ça quand j’aurais dû te le dire, quand tu aurais pu l’entendre, pour t’éviter un lot de souffrances que j’aurais pu t’épargner.

Que j’aurais voulu t’épargner.

Ça n’aurait rien changé, je voudrais juste que pour toi, ça fasse une différence.

Je suis désolée.

J’aurais dû te prévenir, j’aurais dû voir venir que tu resterais si longtemps prostrée dans le déni.

Mais ce n’est pas de ta faute. Quand on passe sa vie entière la garde levée, quand enfin quelqu’un t’inspire la confiance suffisante pour pouvoir la baisser, qu’est-ce que tu veux que je te dise ? C’est tellement confortable, tellement précieux, évidemment que tu te laisses tenter. Alors tu cèdes, tu t’abandonnes, dans ce cocon si précieux que peu de gens connaissent, et peu de gens explorent. En ces lieux tapissés de la soie dont on tisse l’amour et la bienveillance, la trahison déchire les fibres d’une facilité déconcertante.

J’aurais aimé te dire que tu n’as pas eu tort de faire confiance, et que les relations humaines sont infiniment plus complexes que tu ne le concevais. Qu’il n’y a pas d’un côté ceux qui te comprennent DONC qui méritent ta confiance à vie, et de l’autre, ceux qui s’interrogent très maladroitement autour de toi, et DONC s’achètent ta méfiance et tes replis.

Le monde est infiniment plus complexe et tu le sais pertinemment, c’est ça qui te fait peur, alors tu te replies vers ceux qui te donnent l’illusion du confort et de l’amitié, ceux qui t’offrent le luxe de cette bulle où tu ne te sens pas jugée. Mais c’est une bulle, et c’est un jugement qui te plaque à l’intérieur : tu es différente, et au dehors, personne ne te comprend. Mais qui l’a décrété ?

J’aimerais pouvoir te dire, pour que tu le saches : c’est faux. Oui tu es différente, comme tout le monde l’est, un peu plus ou un peu moins, tu crois vraiment que c’est moins violent à vivre pour ceux qui le sont un peu moins ?

Oui tu es différente mais ce n’est pas une tare, oui ce cocon de compréhension et d’acceptation est précieux mais ce n’est pas un luxe : c’est ce que tu mérites, point. Ici ou ailleurs. N’en doute jamais.

Et d’ailleurs c’est un luxe, au prix où tu le paies : à l’isolement, aux concessions faites à tes valeurs, et surtout à la tienne. À ce que tu vaux, à ce que vaut ton travail. Tu vaux mieux que ça et si tu en doutes tellement, au point de le nier, ce n’est pas normal. C’est donc que le cocon luxueux de l’acceptation que tu prétends chérir n’est autre qu’une prison, que tu repeins en or pour te convaincre qu’il est confortable et précieux.

Alors qu’il n’est que confortable, et uniquement parce que l’alternative te fait peur.

Tout te fait peur en dehors de ce que tu connais. Enfin, quelque chose de connu, de permanent, de rassurant. J’aimerais pouvoir te dire d’en profiter, que ça va durer, que bravo tu as trouvé ta place ! Mais je sais que c’est faux, et tu sais que c’est faux, même si tu te donnes du mal pour te convaincre du contraire.

Ça te rassure parce que c’est tout ce que tu connais, mais tu sais pourtant qu’ailleurs ce serait mieux, parce qu’ailleurs ce serait différent. Tu ne t’autorises pas à y penser parce qu’ailleurs c’est différent, et que cette différence t’effraies.

Tu mérites mieux. Au fond de toi tu le sais, mais tu as fini par te convaincre que tu construisais ton propre mérite par un travail que d’autres faisaient fructifier. Parfois tu te demandes ce qu’il en restera le jour où tu partiras, et tu réalises deux choses en faisant ça : qu’un jour tu partiras, et qu’aucune certitude n’accompagne cette pensée. Que de tout ce que tu fais aujourd’hui, rien ne construit demain.

Tu mets ça sur le compte de l’incertitude du monde, mais personne autour de toi ne vit avec ce même niveau d’impermanence. Et tu t’étonnes d’être inquiétée par l’avenir.

Je ne suis pas venue te torturer. Je suis venue t’aider. Alors finis ta pinte et refais-toi le film de ta vie : les gens que tu aimes et ce que tu veux pour toi-même sont deux choses différentes. Arrête de sacrifier pour les uns tout ce que tu t’interdis d’investir pour l’autre. Ton énergie, ton temps, ton ambition, tes idées, ta vie t’appartiennent, tes espoirs et tes doutes, tes échecs et tes victoires t’appartiennent, tes tentatives et tes obstinations t’appartiennent.

Souviens-toi que tu es maîtresse de ton propre destin, que personne ne surgira jamais pour se substituer à toi, te tirer d’affaire, te foutre la tête sous l’eau. La vie ou d’autres essaieront, mais tu es la seule à pouvoir décider d’accepter, subir ou résister.

Tu as infiniment plus de pouvoir que tu ne te le reconnais.

Fais-moi confiance.

Après tout, je viens du futur, alors je sais. J’ai au moins le recul des ans pour pouvoir te le dire : rien ne se passe jamais comme prévu.

Alors arrête de prévoir, arrête de prémunir, cesse de prévenir, cesse de retenir. Lâche. Réagis. Mieux encore : agis. De toi-même. Ça fait peur au début, comme un funambule affronte le vide. C’est normal. Et comme un funambule, on s’y habitue. Et je vais te dire un secret : on finit même par kiffer, parfois, l’indescriptible vertige au bord de l’inconnu.

Je suis désolée pour tout. Surtout pour t’avoir laissée seule, lorsque j’aurais dû t’embarquer avec moi, à l’aventure.

La vie est incertaine mais c’est ça qui fait son charme, tu sais. Le confort est une illusion à laquelle tu t’accroches tant que tu n’as pas goûté à l’exquise ivresse de la liberté.

Mais ne me fais pas confiance, je ne suis qu’une inconnue prétentieuse, arrogante.

Fais-toi confiance lorsque le moment sera venu. Ce sera le bon moment.

Je t’aime, même si tu en doutes, et au cas où tu aurais besoin de l’entendre : je t’aime sans condition. Tu ne nous as pas trahies, tu as fait ce qu’il fallait pour survivre. Et tu as survécu. Félicitations.

Maintenant, il est temps de vivre.

 

Walk the walk, drop the talks

Je ne sais plus plonger.

Ça, c’est la version négative de mon discours intérieur.

« Quelle boloss, tu sais plus plonger, haha. »

C’est faux, bien sûr. Je suis en train de ré-apprendre à plonger : nuance.

J’ai passé 5 semaines en Indonésie en juillet-août 2016, pendant lesquelles j’ai plongé quasiment tous les jours, deux à trois fois par jour. J’ai fait des profondes à la recherche des requins de récif, des dérivantes plein courant qui se finissent dans le bleu, accrochée à mon parachute. J’ai fait des dizaines et des dizaines d’explo tranquilles, pépères, dans des eaux chaudes, où le froid ne se faisait sentir qu’au bout des orteils, passé une heure d’immersion.

Bad habits die hard… 

Je plongeais bien. J’étais surlestée, parce que j’étais une dive master en formation, c’est-à-dire une guide de plongée, et qu’il me fallait un plomb supplémentaire au cas où un client se trouvait trop léger pendant l’exploration.

Je m’immergeais sans effort, juste en purgeant mon gilet, et plouf je coule. Je me tenais au palier sans effort, juste en vidant mon gilet, et plouf je me maintiens sans lutter. Je déployais le parachute pendant qu’on dérivait doucement le long des tombants, sans vraiment me stabiliser, sans vraiment faire attention à ma posture, sans avoir besoin de prêter attention à ces détails : je prenais appui contre le courant et ça me suffisait.

J’étais devenue une plongeuse d’habitude, un peu fainéante, pas très soignée, très brouillonne même. Une plongeuse aux automatismes pas si bien huilés, au final, parce que ces rouages ont salement rouillé.

…And they’ll take you down with them

Ces petits défauts étaient sans conséquences dans ces plongées de loisir, dans une mer chaude et calme. Ils m’handicapent lourdement dans ma formation de plongeuse niveau 3, ici, à Niolon.

Je ne sais plus m’immerger, parce qu’il y a des lustres que je ne l’ai plus fait avec un lestage correct, dans une eau froide qui te fait aspirer l’air à grandes lampées.

Je ne sais plus me stabiliser à différentes profondeurs, moi qui avais pris l’habitude de me caler sur les courants, de me stabiliser dans le mouvement, et de m’accrocher aux récifs lorsque je dois rester vraiment immobile.

Je ne sais plus faire une remontée verticale dans le bleu, au volume du gilet et des poumons, moi qui ai passé des dizaines d’explo à remonter progressivement le long d’un tombant. Décoller de 30 mètres et taper 6 mètres à l’arrêt ? Je ne sais plus faire. Et l’espace d’un errement, je me suis demandé si j’avais jamais su le faire.

Apprends à marcher quand tu trébuches

Je suis arrivée à Niolon avec la confiance d’une plongeuse expérimentée, et il m’aura fallu une semaine et un essoufflement pour retrouver l’humilité de celle qui apprend.

Au début, ça secoue : je m’énerve intérieurement, je me décourage, je flippe aussi, de ne pas réussir à réaliser des exercices censés être des acquis. Sauf que je ne plonge pas comme ça, d’habitude. Et les habitudes ont la vie dure, surtout les mauvaises.

Au début, tu luttes : non mais ça va revenir. Non mais OK, mais ça, je savais le faire, c’est juste que ça fait longtemps. Non mais ça c’est parce que ce matos est nouveau pour moi, ça va me demander un temps d’adaptation. Non mais. Non mais. Non mais.

Mais au fur et à mesure, tu descends de tes grands chevaux, et tu changes de perspective, parce que celle-ci ne t’offre que frustration et découragement.

Et tu acceptes que pour être solide sur tes appuis, il te faut réapprendre à poser le pied par terre.

One step at a time

Tout ce qui était simple, acquis, stable et que tu ne maîtrises plus, c’est comme si tu avais laissé de mauvaises habitudes prendre racine sur ce champ de compétences que tu as laissé en jachère ces dernières années.

« Cela est bien » écrivait Voltaire, « mais il faut cultiver notre jardin ». Et ça me fait un bien fou de mettre le nez dans ce bordel, me rendre compte que mes bases sont toujours là, que l’essentiel est toujours là, mais que l’exécution pêche par manque de pratique appliquée, et de bonnes habitudes.

Quit talking, start doing

Je suis en train de ré-apprendre à plonger. Passé la claque, tu remercies celui qui te l’a mise, parce qu’elle t’a réveillée.

Faudrait voir à pas oublier que quand tu trébuches en plongée, tu risques la noyade. Alors oui, ça vaut vraiment le coup de ré-apprendre à marcher.

Et au lieu de m’insulter intérieurement, de me traiter de tous les noms parce que je suis infoutue de me stabiliser proprement à 6 mètres et d’effectuer un lâcher de parachute digne de mon niveau, je vais plutôt adopter une attitude humble devant la difficulté, encourageante devant mes progrès, ambitieuse devant mes succès.

Walk the walk and drop the talks : j’ai fini de me persuader que je suis une bonne plongeuse, et je recommence à apprendre à être une bonne plongeuse.

Du premier au dernier souffle : back to basics

J’ai une relation épistolaire un peu particulière avec le moniteur de mon baptême de plongée. Dès que je passe un cap, une marche, un niveau, je le lui raconte par mail. Il voyage beaucoup, donc il me répond parfois plusieurs semaines plus tard.

C’est marrant. Ça fait plus de deux ans que je ne lui avais pas écrit. Et puis, il s’est passé un truc en plongée aujourd’hui. Alors je lui ai écrit. Et comme j’en tire pas mal de leçons perso, je me suis dit que ce texte avait sa place ici.

À mon moniteur de baptême

Salut,

J’espère que tu vas bien, et que les courants te gardent dans les mers chaudes. Je ne sais plus de quand date notre dernière correspondance, je crois que j’attendais la fin de mon Dive Master pour te raconter ce périple, mais une autre histoire a chassé celle-ci (j’y reviendrai).

Je te raconterai mon passage en Indonésie, bien sûr, mes amours avec les requins de récifs (SI MIGNONS oh là lààà), mais avant ça, j’ai besoin de te raconter ce que j’ai vécu aujourd’hui.

Mon premier essoufflement.

C’est fou, cette sensation d’étouffer alors même qu’on est branché à un distributeur d’air. C’est comme mourir de soif à côté d’un torrent : c’est idiot.

Je suis à Niolon, pour deux semaines de préparation et passage du Niveau 3. J’ai désormais plus de 100 plongées au compteur, et une formation de Dive Master à la ceinture (même si je n’ai pas du tout exercé, c’est une autre histoire !).

Lundi après midi, plongée de reprise. J’étais allée passer deux week-ends à Cap Croisette fin mai et début juin, histoire de remettre les palmes dans les eaux fraîches de la Méditerranée. Et surtout, histoire de me réacclimater à l’évolution sous-marine flanquée d’une combi intégrale + sharkskin + surveste dont cagoule, après avoir passé, à l’été 2016, cinq semaines à plonger dans la mer de Sulawesi, du côté de Bira, en Indonésie. J’y plongeais en shorty avec 1 ou 2 kilos max. Trois, quand il fallait prendre du rab pour lester un client trop léger au palier de principe. Bref.

Août 2018, soit deux ans plus tard, je débarque à Niolon, et j’ai l’impression de réapprendre à plonger. Ma stabilisation est hésitante, ma position dans l’eau n’est pas propre, ne parlons pas de mon lâcher de parachute… Note artistique : points bonus pour l’originalité, mais note technique : médiocre !!

Je ne m’inquiète pas, c’est comme le vélo, ça reviendra à force de pédaler : patience et persévérance. Je sais.

J’en arrive à ce jeudi 16 août, au matin. Je suis un peu fatiguée, mais pas vraiment plus que d’habitude, c’est normal, c’est la fin de semaine et l’eau est vraiment froide.

On embarque, c’est vrai que c’est speed à Niolon, quand 4-5 palanquées envahissent l’embarcation, mais c’est aussi une organisation bien rodée : c’est fluide, et les bateaux sont pensés pour. On arrive sur site, je vérifie 4 fois que ma bouteille est bien ouverte, et je sais que je fais ça quand je suis stressée : je fais mes checks sans enregistrer que je suis en train de les faire.

Mise à l’eau saut droit sur le côté de l’embarcation, c’est vrai qu’elle est froide. On palme quelques mètres sur le dos pour s’éloigner du bateau et descendre dans le bleu. Ça va. J’aime pas la surveste avec cagoule, ça me serre de partout, mais bon, l’eau est VRAIMENT froide, honnêtement je ne peux pas faire sans.

Immersion. Je tente un phoque, coup de palme vers le haut, je vide mon gilet, j’expire… et je ne descends pas. Je bascule en canard, et je ne descends pas. J’ai 3 kilos de leste, c’est juste mais normalement ça passe. Si ça se trouve c’est un problème de lestage. Je descends pas. Je palme plus fort. Je déteste cette cagoule, j’ai de l’eau dans le masque, mais pas de problème, je me redresserai à 6 mètres et je ferai un vidage de masque. Je palme plus fort.

Putain mais enfin j’arrive à 6 mètres, je me redresse, et j’arrive pas à vider mon masque. Y a rien qui sort. Je ventile beaucoup, je souffle par le nez et y a rien qui sort. J’ai de l’eau jusqu’à mi-masque.

Et là, un message d’erreur flashe dans mon cerveau, en gros, en rouge et noir :

TU NE RESPIRES PLUS.

Tout ce que je te raconte se déroule en l’espace de quelques secondes, mais ça m’a fascinée : au moment où le message d’erreur apparaît, j’ai deux protocoles d’urgence qui se déclenchent simultanément.

Comme si deux écrans se déroulaient devant mes yeux : côté droit, l’instinct de survie primaire. Côté gauche, le protocole appris, réappris, mémorisé, ancré dans les automatismes de mon pedigree de plongeuse.

L’instinct me dit : tu ne respires plus, vire tout ce que tu as sur la gueule et prends une grande inspiration !!!

Ma main droite s’approche de mon visage.

Le protocole de réaction me dit : quoiqu’il arrive, on garde le détendeur en bouche. ON GARDE. LE DÉTENDEUR. QUOIQU’IL ARRIVE.

Ma main droite plaque le détendeur sur ma bouche, pour m’empêcher de le cracher.

J’ai de l’eau à mi-masque, donc tout le nez immergé, ce qui ne m’aide absolument pas à rester calme.

L’instinct de survie dicte : OK, SURFACE !! MAINTENANT !!

Je lève les yeux : elle est à quelques mètres au-dessus de moi. Un coup de palme et j’y suis.

Le protocole de réaction, pendant ce temps, a établi un diagnostique. Et enfin, le message d’erreur « Tu ne respires plus » est remplacé par l’identification du problème, et je vois :

« ESSOUFFLEMENT »

L’instinct de survie est toujours bloqué sur RESPIRE – SURFACE, mais le protocole de plongée prend le relai : souffler, communiquer.

Je commence à essayer de souffler mais bien sûr je n’y arrive pas car je suis toujours en pleine panique. J’attrape le regard de mon binôme, juste à ma droite : je fais des gestes erratiques parce que l’information « essoufflement » n’est pas encore arrivée à la zone cérébrale permettant de générer le bon geste. À ce stade, je fais signe « ÇA VA PAS » des deux mains, et j’indique « fin de plongée » faute de savoir quoi faire d’autre.

Pas de réaction de mon binôme. L’instinct de survie remet une couche de RESPIRE – SURFACE !!!

Le protocole de plongée me rappelle que je ne suis pas seule sous l’eau : j’attrape le regard du moniteur, à quelques mètres derrière mon binôme. Et là, enfin, un message d’action : deux coups de palmes et je peux être accrochée à lui, et le laisser m’aider.

Bon, à ce stade, je ventilais toujours comme un boeuf en sueur, donc j’étais en train de remonter naturellement à la surface : le protocole de plongée avait quand même pris le dessus, donc je ne faisais qu’expirer, sans palmer, même si c’était trop rapide et pas assez profond pour réussir à rester immergée à ce stade. J’étais tête en haut, voies dégagées, et pas en train de bloquer sur inspiration. C’était déjà ça.

En surface, évidemment ça allait tout de suite mieux, mais j’étais sonnée par le choc de ce qui venait de se passer.

Donc c’est ça, un essoufflement. C’est ça, qu’il peut se passer pendant une plongée ? C’est ça, la sensation d’étouffer ? C’est ça, les réflexes de survie qui se déclenchent et peuvent t’amener à aggraver drastiquement la situation, si tu n’as pas ancré dans tes réflexes ceux qui te sauvent, et qui permettent de désamorcer ceux qui te tuent ? Wow.

Tu sais, je me considère très bonne plongeuse. Pas en tous points bien sûr, mais au moins en celui-ci : ma capacité à prendre les bonnes décisions pour ma sécurité et celle des autres. Et ça commence par renoncer à plonger quand tu ne le sens pas.

En surface, le moniteur me calme, zen. Évidemment, tout ceci s’est déroulé en quelques secondes, à 6 mètres, en moins de deux minutes. Pas exactement une situation gravement accidentogène. Tout va bien.

Je reprends mon souffle, il me demande si je veux y retourner. Je réfléchis, et je dis à voix haute :

« Je crois que je vais essayer de redescendre une fois, et si ça passe pas j’arrête »

Il me répond « OK »

Je prends encore quelques respirations, toujours sur le dos, mer calme… Et c’est comme si tout mon esprit se mettait à clignoter rouge.

Non.

Non bien sûr, je ne vais pas y retourner dans ces conditions. On partait pour aller chercher 40 mètres, je viens de faire un essoufflement à 6 mètres, évidemment non, je ne repars pas. Je lui dis :

« Non en fait je vais m’arrêter là. Ça va, mais je m’arrête là pour ce matin ».

Ils repartent pendant que le moniteur qui faisait la sécu sur le bateau me regarde m’en approcher, toujours sur le dos. Au pied de l’échelle, je lui demande de me surveiller, je veux faire un test de lestage. J’ai besoin de savoir si c’est le lestage, le problème.

Immobile, gilet vide… Je m’immerge jusqu’au milieu des yeux. Exactement comme dans les manuels… C’était pas le lestage.

Je me déséquipe sur le bateau, et je retourne immédiatement à l’eau, juste en palmes et combinaison : besoin de rester au contact de l’eau froide, de cette houle si douce ce matin, pour ne pas rester sur cette sensation d’hostilité paralysante.

Et surtout, besoin de me laisser ressentir tout ce qui vient de se passer : j’ai fait un essoufflement, à 6 mètres, sur une immersion après un saut droit du bateau dans une mer calme, soleil, pas de vent. Lestage affiné à la lettre des manuels. C’est ma 12ème plongée cette saison, la 6ème cette semaine, sur un site que je connais.

Je crois que c’est ça qui m’a le plus secouée, dans cette expérience : l’absence de facteur favorisant. Les conditions étaient parfaites !! Alors quoi ?!

C’était un choc, mais si je te raconte tout ça, c’est aussi parce que c’était une expérience enrichissante. Bouleversante, mais enrichissante.

Déjà, je suis ravie d’avoir ressenti ce qu’était un essoufflement. Je pense que ça m’aidera à mieux réagir le jour où j’aurai à gérer ça sur quelqu’un d’autre.

Ensuite, je suis RAVIE d’avoir vécu ça à 6 mètres, plutôt qu’à 36 mètres. Parce qu’à 6 mètres, même si l’instinct de survie avait gagné le bras de fer, je ne risquais pas grand chose (ok la surpression pulmonaire si vraiment je bloquais poumons pleins à 6 mètres. Tout juste).

Enfin, même si c’est la partie de cette expérience qui m’est le plus difficile à assimiler pour le moment… C’est une excellente chose pour moi d’avoir vécu cet essoufflement sans qu’il n’y ait aucune raison, aucune « faute », rien.

J’ai pas bu d’alcool la veille, j’ai mangé normalement, j’ai petit-déjeuné normalement, je me suis correctement hydratée, rien n’était nouveau, rien rien rien aucune raison.

Je crois que j’avais un peu trop pris la confiance, ces deux dernières années. J’ai vu trop de « mauvais petits gestes » pendant ma formation PADI, trop de « petits défauts » chez les autres, moi qui ai été formée « à l’école UCPA », et quasi-exclusivement à « l’école de Niolon », dont la réputation n’est plus à faire.

Oui, je me considérais comme une très bonne plongeuse, parce que je prends les bonnes décisions pour ma sécurité et pour celle des autres, et DONC il ne m’était jamais rien arrivé. J’avais oublié, je crois, qu’une très bonne plongeuse n’est pas seulement celle qui sait anticiper les incidents et les résoudre avant qu’ils ne posent problème.

Être une très bonne plongeuse, c’est aussi, et c’est primordial je pense : savoir réagir. Surtout quand le problème qui se pose n’aurait pas pu être anticipé.

J’avais oublié, je crois, qu’en plongée, tous les problèmes qui se posent ne peuvent pas être anticipés. (C’était pourtant pas faute d’avoir été rappelée au fait que la majorité des accidents de décompression surviennent alors que les plongeurs ont respecté leurs paramètres de sécurité : et oui j’ai validé mon RIFAP cette semaine, au passage.)

Lorsque ma palanquée est remontée sur le bateau, je leur ai raconté toute la partie sur le message d’erreur, et le double écran survie contre protocole.

Je me suis rendu compte que j’étais encore stressée lorsque j’ai allumé mon téléphone, juste avant le déjeuner. Plusieurs SMS de mon boulot, me demandant une intervention. Ça m’a direct fait monter la pression de zéro à cent, alors même que les demandes n’étaient pas vitales, loin s’en faut.

J’ai immédiatement envoyé un message à mon chef, pour lui expliquer brièvement que ma matinée avait été *compliquée* et que j’aimais autant ne pas avoir à mettre la tête dans le taf si ce n’était pas urgent et bloquant pour les équipes sur place, parce que j’avais besoin de garder la tête ici, à Niolon, et de reprendre mes esprits.

De retour au pôle technique pour l’équipement l’après midi, je n’en menais pas large. J’avais l’impression d’être tombée à cheval le matin, et qu’il fallait que je remonte dessus le plus vite possible, sans quoi j’allais juste nourrir la peur d’y retourner.

Alors même que mon lestage n’était pas en cause, j’ai repris un kilo supplémentaire. C’est psychologique : vu que je sais que c’était pas ça le problème, je m’alourdis, et je cherche ailleurs les causes de mon déséquilibre à la descente. (Et à la remontée, car écoute #JeudiConfession : la veille, lors de la plongée précédente, j’avais éclaté un palier de principe à 2 minutes. Pouf le bouchon !!! Pourquoi ? Mystère. Je l’avais tenu sans vraiment lutter les 4 plongées précédentes, à conditions constantes. Étonnant.)

Le moniteur, d’habitude bien plus énergique et beaucoup moins patient avec notre groupe aux niveaux très hétérogènes, est très zen cet après-midi. Il me ménage, et j’apprécie : je suis (un peu trop ?) focalisée sur mon souffle, je m’écoute, j’essaie de repérer une éventuelle montée de stress, et surtout, sa cause.

On s’équipe, je vérifie 4 fois que ma bouteille est ouverte mais j’oublie de défaire la boucle que je fais sur le détendeur pour qu’il ne traîne pas par terre ; un autre plongeur me le libère alors que j’ai déjà le bloc sur le dos. Je l’attrape, il se met à fuser. Vraiment, est-ce mon jour ??

Mise à l’eau. On palme quelques mètres sur le dos pour trouver le bleu, derrière le bateau. On se calme en surface, tout le monde me regarde et attend que JE dise « OK ça va on peut descendre », évidemment.

Immersion. Je la foire environ pareil que le matin, avec quand même l’impression de moins lutter, parce que là j’ai 1 kg de plus donc faut pas déconner.

Le coeur augmente. Le rythme de ventilation aussi. Cette fois-ci je réagis : je souffle. Je me calme. Tête en bas, je palme. Je suis à 6 mètres, je me redresse. Stabilisation (un peu hésitante) (« Rien du tout t’étais pas stabilisée » aura débriefé le moniteur) (ouais il a pas tout à fait tort mdr).

On descend dans le bleu pour trouver 18 mètres, et pendant la descente… J’avais une sensation étrange. Comme si je comprenais pour la première fois que ce que j’étais en train de faire n’était pas anodin. J’ai eu peur, ouais. J’ai eu peur ce matin en m’étouffant sans raison, et j’ai eu peur cet après-midi, en tombant dans le bleu, en réalisant que j’étais en train de m’enfoncer dans un milieu hostile.

Je le savais déjà, mais c’était la première fois que je le ressentais vraiment. Oui, c’est comme si j’étais remontée à cheval après une chute, et que pour la première fois, j’avais compris que c’était un animal puissant, capable de me briser tous les os du corps. Pas juste « une monture ».

Bref. 18 mètres. On s’entraîne à ressentir la bonne vitesse de remontée au gilet (ouais je sais c’est du N2 mais on a fait de la merde sur les premières plongées donc on revoit les bases).

Je suis mal stabilisée. Je suis trop lente.

On redescend et on commence l’explo. Le moniteur intervient deux fois parce qu’on manque le chemin du site (bon la première fois j’y étais, je voulais JUSTE voir la patate avant de bifurquer, mais la deuxième fois c’est moi qui le fais intervenir parce que je trouve pas la putain d’arche, et j’ai pas l’impression que mes deux trinômes sont plus avancés que moi.)

Le moniteur nous arrête tous les trois à un moment pour nous faire une démonstration de palmage, parce qu’on est jambes pliées, à pédaler. (Qui suis-je ??? Qu’est-ce qui me prend ??!)

On ne retrouve pas le bateau. On sort au parachute dans le bleu, à 100 mètres du bateau : je suis partie plein ouest, le bateau était nord-ouest.

Lâché de parachute mi-gonflé : je commence la manoeuvre à 6 mètres, je la termine à 9 mètres. HALLUCINANT !

Je tiens le palier en gardant mon parachute dressé, mais finalement je commence à remonter malgré moi, donc je lâche l’affaire avec le parachute, qui s’affaisse complètement, et je tiens mon palier à 5 mètres.

Mon dieu. Sans doute l’une de mes pires plongées, d’un point de vue technique. Indigne d’un niveau 3, et même indigne d’un niveau 2, j’en ai conscience.

Mais je me souviendrai de cette plongée. Parce que c’était la première de ma nouvelle vie de plongeuse : avec la peur. Avec la conscience que tout peut arriver à n’importe quel moment. Avec l’humilité de cette prise de conscience, et avec la nécessité de retrouver et reconstruire la confiance en mes acquis.

Je ne suis pas une très bonne plongeuse parce que je prends des bonnes décisions, que je suis forte en théorie et que je suis à cheval sur la sécurité.

Je suis une très bonne plongeuse parce que je n’aurai jamais fini d’apprendre à plonger, parce que je ne perdrai plus la peur ni l’humilité indispensables à cet apprentissage.

Plongée n°121 : 7,5 mètres, 1 minute.

Et si j’ai eu besoin de te raconter tout ça, c’est parce que j’ai pensé à toi, quand je me suis remise à l’eau juste après l’essoufflement, que je me suis passé image par image cette séquence d’à peine quelques dizaines de secondes.

Il y a eu ce moment, quand j’ai compris que c’était un essoufflement, que le protocole m’a dit “EXPIRE” et m’a fait chercher des yeux le moniteur : j’avais déjà vécu cette scène, cet instant précis. Le jour de mon baptême, juste quand tu me récupères après la bascule arrière, que je suis poumons pleins, yeux exorbités, que tu me fais signe de souffler et que je secoue la tête en réponse parce que je peux pas, impossible, je vais me noyer, et que tu insistes, le regard zen : si, fais-moi confiance, souffle.

Je souffle.

Et tu connais la suite 🙂

C’est quand même fou d’avoir oublié d’expirer profondément, alors que c’est littéralement la toute première leçon de plongée que j’ai prise !

Épilogue

De retour sur le bateau, le moniteur nous débriefe. Il a regardé mon immersion et bien sûr que je galère : j’ai fait n’importe quoi. Mi-phoque, mi-canard, mi-j’essaie de descendre à plat ventre. Donc en fait il y avait bien une cause à toute cette histoire : où est passée ma technique d’immersion ?!

Également : nous étions sur le site de l’Arche du Moulin, à Niolon. Pour l’anecdote : c’est là que j’avais fait ma toute première plongée en autonomie, N2 fraîchement validé. Avec mon binôme, nous avions trouvé l’Arche ET le bateau, dans une purée de pois je dois dire. C’était pas mer calme et grand soleil comme aujourd’hui.

¯\_(ツ)_/¯

Moralité ? C’était dans le texte : je ne perdrai plus la peur ni l’humilité indispensables à cet apprentissage.

N’oublie pas d’avoir 15 ans

N’oublie pas d’avoir 15 ans.

N’oublie pas les couleurs du soleil à travers les feuilles du cerisier. Tu sais, celui dans lequel tu avais accroché ton hamac. Ce hamac, à 4 mètres de hauteur, qui donnait des sueurs froides à ta grand-mère, alors même qu’il n’était qu’à quelques centimètres d’une pieuvre du tronc. Mais tu pouvais laisser pendre tes jambes, et tu adorais la caresse des vents d’été à travers tes orteils.

N’oublie pas la caresse tiède des vents d’été sur ta peau nue. C’est elle qui te ramenait toujours à ces instants, que tu imprimais dans ta mémoire pour pouvoir en chérir le souvenir lorsque l’hiver, le froid et la solitude auront chassé la béatitude de ces jours éternels.

N’oublie pas le bruit que font les feuilles lorsque la brise estivale les chahute délicatement. N’oublie pas cette musique imperceptible qui berçait tes heures de contemplation. N’oublie pas les fortissimo de ces gammes qui te tiraient de tes siestes estivales.

N’oublie pas l’empreinte des sourires que ces journées d’été tiraient sur ton visage. Elles étaient des patrons censés guider tes traits lors de ces journées mornes, où les sourires étaient plus rares.

N’oublie pas ces moments d’éternités, dont la richesse t’émerveillait. Ces moments que tu savais éphémères, et précieux pour la même raison. Ces instants insaisissables, que tu passais des heures à capturer en mémoire, comme si le bonheur pouvait se conserver en bocaux. Comme ces groseilles que ton grand-père cueillait au même moment.

N’oublie pas d’avoir 15 ans quand la pluie noie les rues et transforme les trottoirs en parcours d’obstacles. N’oublie pas les défis que te tendait cette pluie lorsqu’elle te surprenait.

N’oublie pas le spectacle colérique des orages, capables d’arrêter le temps, d’éclater le silence et de déchirer les ténèbres en l’espace d’un instant.

N’oublie pas que c’est toi qui laisse entrer l’orage sur tes souvenirs d’été. C’est toi qui commandes la pluie, la même qui ternit tous tes cieux et trempe tes paysages.

N’oublie pas ces sourires, ronds comme des arc-en-ciel, effronterie d’un ciel violenté par l’orage. N’oublie pas cette défiance espiègle et mutine qui t’étais si naturelle quand tu avais 15 ans.

N’oublie pas que tu auras toujours 15 ans tant que ton âme rebelle protègera ton âme d’enfant.

N’oublie pas d’avoir 15 ans quand les adultes tristes t’appelleront dans leurs rangs.

N’oublie pas d’avoir 15 ans lorsque l’envie de sentir l’herbe chaude entre tes orteils naîtra dans ta poitrine.

N’oublie pas d’avoir 15 ans à chaque fois que ta mélancolie se fondra dans le présent.

N’oublie pas d’avoir 15 ans à chaque fois que ta tristesse pèsera trop lourd pour tes épaules fragiles. N’oublie pas qu’à 15 ans, tu aurais soulagé Atlas sans hésiter un instant.

N’oublie pas qu’à 15 ans, ta force n’avait pour limite que celles que te soufflait le temps.

N’oublie pas qu’il avait tort, et que 15 ans plus tard, le temps t’a menti.

N’oublie pas qu’il sera toujours temps de te sentir aussi puissante, aussi insouciante, aussi inconséquente que lorsque tu avais 15 ans.

N’oublie pas d’avoir 15 ans quand tu liras ce texte. Quand tu te seras perdue dans tes obligations. Je l’ai écrit à la négation car c’est la langue que tu comprendras toujours, même quand tu ne t’écouteras plus.

N’oublie pas qu’en mathématiques, la négation s’annule dans le produit. Quand tu me reliras, au plus bas de toi-même, quand tu seras toi-même la négation de ton être, cette négation s’annulera.

Et tu te rappelleras.

Je t’aime et je suis fière de toi. Tu as juste oublié d’être heureuse. Comme lorsque tu avais 15 ans.

PS : si tu as oublié comment avoir 15 ans, raccroche-toi à la liesse des fêtes populaires, à l’émotion des mariages, et même à celle des enterrements. Raccroche-toi à ces fêtes, incommensurablement tristes ou démesurément joyeuses : elles te rappelleront à l’excès que tu nommais équilibre lorsque tu avais 15 ans.

N’oublie pas d’être heureuse : ton crédit de bonheur court depuis que tu as eu 15 ans. Il est plus que temps de dilapider cet héritage qui n’a de valeur qu’au présent. 

Crashing Waves

Happy Birthday, bitch. Un peu en avance, je sais. Mais comme je te sens piétiner juste derrière la porte, je prends les devants.

Le 23 juillet 2017, je t’écrivais une lettre de rupture. Connasse.

Et ne crois pas que je ne t’ai pas vue, pas sentie, que je n’ai pas subi tes assauts, tout au long de l’année. Tenir la rupture est presque aussi difficile qu’entretenir une relation, je crois.

Parce que tenir la rupture avec toi, ça veut dire entretenir ma relation à moi-même. Et c’était plus facile, il est vrai, de se laisser porter par tes courants.

Plusieurs fois, j’ai senti le niveau de l’eau monter. Silencieuse, douce, tiède et irrésistible. Ça va, je respire toujours. Mais mes mouvements sont de plus en plus lents et difficiles, contraints par la résistance et l’inertie de toute cette eau qui ne cesse de monter.

Lorsqu’elle atteint les yeux, je suis déjà en train de me noyer.

Tu m’étonnes que je chiale en écoutant La Marée, de L.E.J. C’est notre chanson, à toi et moi. Connasse.

La marée monte, inexorable, et lutter m’épuise. Mais si je cède, c’est la noyade. Alors je m’équilibre. Comme je peux.

Je m’appuie sur les autres, un peu. C’est nouveau. Avant j’étais seule, et tu profitais de cette solitude pour m’emmurer dedans.

C’est plus difficile pour toi de me pourrir la tête lorsque je trouve autour de moi des épaules plus solides que les miennes pour la reposer.

Parfois les autres flanchent parce qu’ils sont tout aussi humains que moi. Tu reviens à la charge. Tu les accuses de trahison, et c’est un comble venant de toi, la pire des traitresses, toi qui avances masquée, larvée, vicieuse, sournoise. Connasse.

Je vacille mais ce n’est pas de leur faute. C’est de la tienne. C’est toi qui me déséquilibre. Je tiens debout seule, et je le sais. Je résiste mieux aux assauts de tes vagues lorsque je ne suis pas seule, je le sais aussi. Mais je résiste quoiqu’il arrive.

La marée monte, mais je résisterai. Bon anniversaire de rupture, connasse. Tu traînes toujours dans les parages mais tu ne partages plus mon lit, mes repas, mes doutes, tu ne dilues plus mes plaisirs et tu ne fais plus partie de ma vie.

La marée monte et je fais avec. Hier je retenais ma respiration, aujourd’hui je prends de la hauteur. À chaque fois que l’eau monte, je cherche à monter aussi. Tu ne me laisses pas le choix, et je ne ferai plus jamais celui de te céder.

Tes vagues continuent de s’écraser à mes pieds. Elles m’éclaboussent encore, parfois. Tu entaches mon quotidien, lorsque l’eau monte plus vite que moi. C’est pas grave. J’ai appris à marcher à contre-courant de tes vagues.

Je les laisse s’écraser lorsqu’elles deviennent trop menaçantes. Résister, c’est parfois accepter de subir, pour ne jamais céder.

Je n’ai plus peur de toi, connasse. Dans une semaine, ça fera un an que j’ai tourné cette page. Et il y a deux semaines, ça faisait un an que j’écrivais ces mots:

« Plus jamais je ne souffre pour m’apprendre à ne plus souffrir »

Tout ça c’est derrière moi. Tu es derrière moi, et plus accrochée à mon dos.

Bon débarras. Connasse.

Comment je fais pour ne pas me laisser submerger ?

J’adore la plongée parce qu’elle me ramène toujours à l’essentiel : respire, ne lutte pas contre l’hostilité de l’environnement (car tu vas perdre lol), et apprécie le spectacle, le moment.

Ton temps ici est compté, donc savoure-le, et quoiqu’il arrive : ne le subis pas, sinon il risque de t’arriver des bricoles.

Pourquoi c’est pas aussi simple à la surface ? La même urgence s’applique pourtant :

  • Respire.

Respire, comme priorité : si tu vas mal, rien ne pourra aller. Respire, comme base : si tu n’as ni le temps ni l’énergie de respirer, tu n’auras ni temps ni énergie pour quoi que ce soit d’autre.

  • Ne lutte pas.

Ne lutte pas contre les éléments : les éléments SONT. Ce sont des données. Tu peux parfois réussir à influer sur eux, mais au prix de quels efforts ? Pourquoi entrer en résistance d’emblée, lorsque tu peux t’adapter, utiliser les opportunités qu’offre cet environnement, même hostile ? Par exemple, sous l’eau, certes tous tes sens te lâchent plus ou moins, mais la gravité disparait. Franchement, ça s’apprécie. Et personne ne te conseillera de te barder de plombs pour refaire apparaître la gravité dans tes sensations…

  • Apprécie.

Apprécie le spectacle, le moment. Quoi, ta vie quotidienne n’est pas le théâtre d’émerveillements, d’émotions, de créations? Si bien sûr, c’est juste que tu ne prends ni le temps ni l’énergie de les apprécier.

* * * * *

Je suis posée sur la terrasse de Cap Croisette, et je regarde le soleil, pudiquement voilé de coton bleuté et rosé, se noyer silencieusement derrière l’horizon. Il laisse traîner quelques rayons sur la toile claire, striée d’or, de soie et de cuivre. Les cris de quelques mouettes viennent ponctuer le clapotis délicat de l’eau que les vents ont enfin cessé de tourmenter. Au-dessus de moi, le bleu m’aspire, il m’allège des derniers tracas que les masseuses du SPA de La Palud n’ont pas su extraire de mon dos.

Ce moment dure depuis plusieurs minutes, parce que je le fais durer. Ce n’est ni le soleil, ni le vent, ni la mer ni le ciel qui prennent leur temps pour me permettre d’apprécier ce spectacle. C’est moi qui m’offre ce temps, immobile, inactive, si ce n’est pour ces quelques lignes que je mets de longue minutes à taper.

Je laisse aux mots le temps de venir. Ils naissent lorsque je laisse éclore librement les émotions. Lorsque je ne les réprime pas, lorsque je ne les brusque pas. Lorsque je les laisse bourgeonner, éclore, fleurir, fâner, en quelques instants comme en plusieurs heures, souvent.

Comment je fais pour ne pas me laisser submerger ?

Ma première pensée face à ce coucher de soleil a été : « demain soir, retour à Paris ».

Non mais sérieux : « demain soir, retour à Paris ». Je m’auto-insupporte dans mon incapacité à apprécier ce qui se passe devant mes yeux, pour me projeter 24 heures plus tard, en plus dans une configuration négative: en vrai je suis heureuse de rentrer à Paris car ça fait bientôt 9 jours que je suis coupée d’Internet et donc d’environ 85% de ma vie, mais FORCÉMENT, comparer « retour à Paris » avec ce coucher de soleil idyllique, FORCÉMENT je viens greffer une émotion négative sur « retour à Paris ».

Mais je fais ça combien de fois par jour exactement?? C’est-à-dire :

  • Ne pas apprécier le moment présent
  • Me projet dans futur lointain (vraiment, 24h quand il me reste 2 plongées sur 3 à faire, c’est : LOIN.)
  • Amarrer une émotion négative à cette projection

À vue de nez, je dirais que je fais ça… En permanence. mdr.

¯\_(ツ)_/¯

Excellent. Surtout ne change rien, c’est par-fait!!! (J’adore être sarcastique envers moi-même. Ça me permet de dédramatiser ma propre bêtise).

J’ai passé tout un été à utiliser ma formation de plongeuse pour en faire une formation de management. Cool. Il y a d’autres leçons à tirer de la plongée pour ma vie quotidienne.

Le lestage : si tu prends trop de poids, tu coules

En plongée, pour s’immerger, il faut se lester. Le nombre de poids qu’on prend dépend de son expérience (donc de son aisance, de sa stabilité au fond de l’eau), mais aussi de sa densité (densité naturelle (celle du corps), épaisseur de la combinaison, flottabilité du matériel qu’on embarque, etc).

Débutante, j’avais 5kg à la ceinture. Aujourd’hui, à conditions égales, j’en suis à 3.

Dans la vie, je suis plus expérimentée qu’il y a quelques années. Je suis capable d’assumer plus de responsabilités, d’assumer une plus grande charge de travail qu’il y a quelques années. Mais ça ne veut pas dire que je peux continuer à me charger progressivement.

Tout comme je ne serai jamais à 0kg de lestage, à conditions égales.

Pourtant, au quotidien, je continue de m’ajouter des tâches, des missions, des objectifs, des responsabilités, comme si ma capacité d’assimilation était infinie.

Leçon n°1 : know the weight you can carry. Si tu prends trop, tu coules. Tout simplement.

Le profil de plongée : si tu prévois trop ambitieux, tu étouffes

Une plongée, ça se planifie. Tu sais pour quelle durée et quelle profondeur max tu pars, tu anticipes ton itinéraire, et tu t’équipes en conséquence.

Voici ce qui ne peut pas arriver en plongée : continuer de s’enfoncer, de mètre en mètre, parce que, tu comprends, « il faut bien y aller ».

Si tu ne respectes pas ton profil de plongée, si tu pars plus ambitieuse que tes ressources ne le permettent (c’est-à-dire : ton air!!), tu vas au devant de sérieuses déconvenues. (Comme par exemple : la mort!!! Excellent délire).

Qu’est-ce qui me prend de blinder 2 jours de taf dans une seule journée, et qu’est-ce qui me pousse à croire que « nan mais ça va passer » ? J’ai déjà réussi à faire « une troisième après-midi » comme je les appelle, de 20h à minuit ?

Oui j’y arrive mais je tape dans la réserve, et on ne doit pas y toucher, elle ne doit servir qu’en cas d’urgence, justement. Je me fous toute seule dans le rouge en ne respectant pas cette règle élémentaire : les ressources d’urgence sont réservées aux urgences. Pas aux « mais dans 3 jours c’est le week-end alors j’aurais le temps de récupérer ». Ne marche pas mieux avec « mais dans 3 semaines j’ai une semaine de vacances alors jpeux dormir 4h par nuit, on est large ».

Je sais pourquoi je fais ça : je suis ambitieuse. J’ai l’impression de manquer d’ambition lorsque je ne remplis pas mon agenda au taquet de la réserve. Comme si je ne respectais pas les opportunités que m’offrent ma position, le moment.

Mais c’est aussi pété que de vouloir sucer les dernières lampées d’air au fond de la bouteille, au motif que l’océan est trop vaste pour se limiter seulement à 34 minutes de plongée.

Oui ben minute, on remonte, on recharge et on revient. ON RECHARGE. C’est en ne prenant pas le temps de recharger convenablement, en sous-estimant les ressources nécessaires que je ne respecte pas les opportunités qui me sont offertes.

Leçon n°2 : know the fuel you can burn. Si tu ne recharges pas, tu crames. Tout simplement.

Focus sur ce que tu es en train de faire

Une autre magie de la plongée : sous l’eau, je ne pense à rien d’autre. J’ai connu si peu de situations dans ma vie, capables d’absorber toute mon attention sans qu’elle ne se divise.

Mais sous l’eau, impossible de penser à mon agenda qui se remplit à vue d’oeil, y compris en mon absence. Impossible d’anticiper les problèmes que je vois poindre dans les semaines à venir, les challenges qui m’attendent, les noeuds que je n’ai pas encore attaqués et qui auront encore empiré en mon absence.

Sous l’eau, il n’y a que : sous l’eau. Ce qu’il se passe devant mes yeux, le froid, les mouvements gracieux des poissons, le froid, la lumière bleue, la danse des algues, le froid, les rayons du soleil, le froid. Le bleu. Et moi, en apesanteur.

Ok, ça ne m’est pas naturel, mais j’en suis capable. Si je dois déployer des efforts dans les semaines à venir, essayons celui-ci : focus sur ce que tu es en train de faire.

Arrête d’anticiper, et surtout, arrête d’anticiper le négatif. Ça ne veut pas dire d’oublier les risques, ça veut dire : n’anticipe pas le pénible.

J’ai plus de 110 plongées au compteur, et jamais, pas une seule fois au cours d’une plongée, n’ai-je pensé : « ah trop relou quand il faudra laver-ramener-ranger le matériel tout à l’heure, au retour du bateau ».

Jamais.

Leçon n°3 : stand still to stand strong. Si tu penches toujours vers l’avant, tu perds l’équilibre.

Ne pas se laisser submerger : c’est ta décision

C’est pas toujours une partie de plaisir. Engoncée dans le néoprène rendu brûlant par le soleil, strappée aux douze kilos du scaphandre autonome, lestée de plomb, je suis tout sauf à l’aise. Le kif n’est pas présent.

Mais je sais pourquoi j’endure le calvaire de la préparation et du transport du matériel. Ce pourquoi donne du sens à la pénibilité, et la transforme en nécessité. Ce n’est pas une pénitence, c’est une étape.

Ma première fois, j’ai cru que j’allais couler direct dès la mise à l’eau. Forcément, je pesais une demi-tonne avec tout ce barda.

Sauf que non, tu ne coules pas. Cf la densité, Archimède, et caetera. Pour s’immerger, il faut faire un effort. Ce n’est pas naturel, et même complètement équipée pour plonger, l’immersion n’est pas automatique : elle se provoque.

Et voilà où je veux en venir. Comment je fais pour ne pas me laisser submerger ? C’est assez facile : tu décides de ne pas te laisser submerger. On n’est pas fait pour couler, tu sais. Naturellement, tu flottes. Quand tu coules, c’est que tu t’es coulée toute seule comme une grande.

Les voisins passent à ce moment précis « Je marche seul » à toute blinde, et je me rappelle à quel point j’aime les chansons de Goldman. Je ne me rappelle pas la dernière fois que j’ai pris le temps de hurler du Goldman à tue-tête toute seule chez moi. Je me demande s’il y a des soirées karaoké à Paris où ils passent du Goldman.

« Je m’en fous de tout, de ces chaînes qui pendent à mon cou,
J’m’enfuis, j’oublis,
Je m’offre une parenthèse, un sursis »

Ils enchaînent avec « Je te donne », l’une de mes chansons préférées au monde.

« Je te donne ce que j’ai, ce que je vaux ».

Oui, je donne beaucoup, je reçois beaucoup aussi. Mais je ne ME donne pas assez au quotidien, et je n’apprécie pas assez ce que je reçois.

Leçon n°4 : Don’t go under. Breathe in to stay afloat. Si tu arrêtes de respirer, tu coules. Si tu décides de couler, tu coules.

Des « Bonne Idée » à se remémorer

Ces neuf jours de vacances auront à peine suffi à me sortir du rouge. J’ai tellement l’habitude d’être au taquet de la réserve que j’avais même pas senti que j’y étais depuis des semaines déjà.

Il me faudra encore le week-end prochain pour revenir dans le vert. Mais je suis contente de m’être octroyé ces 9 neufs jours avant l’été, ça me donne donc tout l’été pour mettre en place ces excellentes leçons, dans le but de ne plus me laisser submerger.

(« Bonne idée », qui est clairement ma JJG pref, ex-aequo avec « Si j’étais né en 17 à Leidenstadt »).

« Bonnes idées » pour la semaine à venir :

  • ne pas reporter « tout ce qui ne rentre pas dans la semaine » sur le week-end (garder le week-end pour le kif, pas pour les nécessités).
  • ne pas reporter mes rendez-vous médicaux/bien-être au motif que « cette semaine, ça va être tendu ». Oui et ce sera d’autant plus tendu si je repousse ce qui est censé me faire du bien et me soulager. Duh.
  • ne pas planifier 3 demi-journées de travail sur une seule journée de travail. (On dirait de la logique élémentaire, n’est-ce pas)
  • solliciter de l’aide lorsque je me sens submergée.

Tu sais, comme en plongée, quand tu manques d’air. Combien de temps tu crois que t’attends avant d’appeler à l’aide ? Indice : vraiment pas longtemps!!!

Fais pareil à la surface, pour voir.

« Et puis y a toi qui débarque en ouvrant grand mes rideaux,
Et des flots de couleurs éclatent, et le beau semble bien plus beau,
Et rien vraiment ne change, mais tout est différent,
Comme ces festins qu’on mange seul ou en les partageant »

* * * * *

J’ai fini ma dernière relecture. Les voisins passent « place des Grands Hommes », mais je te propose qu’on se donne plutôt rendez-vous dans dix semaines.

Parce que dix ans, c’est trop loin. C’est maintenant que j’ai envie d’aller mieux, pas dans le futur.

(Ah bah tu vois quand tu veux!!)

No time like the present.

* * * * *

Je me suis interrompue pour faire ma méditation du jour, parce que j’en avais envie, et tant pis si j’avais pas fini d’écrire ce billet. Résultat : la Terre ne s’est pas arrêté de tourner (fou!!). Mais aussi : les clins d’oeil de l’univers…

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Ton temps ici est compté, donc savoure-le. Et quoiqu’il arrive : ne le subis pas, sinon tu en crèveras.

« Je marche seul
Quand ma vie déraisonne
Quand l’envie m’abandonne
Je marche seul
Pour me noyer d’ailleurs
Je marche seul
Dans les rues qui se donnent.
Et la nuit me pardonne, je marche seul.
En oubliant les heures.
Je marche seul.
Sans témoin, sans personne.
Que mes pas qui résonnent, je marche seul.
Acteur et voyeur.
Je marche seul.
Dans les rues qui se donnent.
Et la nuit me pardonne.
Je marche seul.
En oubliant les heures.
Je marche seul.
Sans témoin, sans personne. »

Écoute le silence, et réponds quand la peur te parle

Oui, je t’écoute, pas la peine de crier. Ce n’est plus la peine de crier. Je t’entends. Et mieux : je t’écoute.

Je croyais n’avoir aucune peur parce que je n’avais peur de rien, mais c’était tout le contraire : j’ai énormément de peurs, c’est juste que je les ignorais.

Ma peur a ressurgi au fond de cette calanque, que je connais pourtant. Ce décor familier devenait le théâtre d’une nouveauté déconcertante: ma première plongée depuis ma dernière plongée. La peur s’est invitée aux retrouvailles.

Penser à tout, cette tannée. Ne rien oublier, cette angoisse.

Et si je monte mal mon matos, j’ai oublié comment on sangle la bouteille. Et si je zappe une vérification essentielle ? Ça fait tellement longtemps. Ça s’oublie pas, car les réflexes sont toujours là, mais comment sais-tu que tu peux faire confiance à des gestes dont tu as oublié le sens ?

Pourquoi je tire sur cette sangle ? De quoi d’autre ai-je besoin ? J’ai déjà fait marcher ce parachute ? Je sais le faire ? Vraiment ?

Il n’y a pas si longtemps, j’aurais été aveugle et sourde à ces inquiétudes, à ce doute, à ma peur et tous ses avatars. J’aurais mis mon souffle court sur le compte de l’excitation, mes boyaux un peu trop mouvementés sur celui d’un repas trop riche et mal digéré. J’aurais trouvé mille excuses et le double d’explications à mon état perturbé.

Mais j’ai travaillé sur moi, sur ma peur. Maintenant, je l’entends lorsqu’elle arrive, même très discrètement. J’ai peur d’avoir oublié les gestes essentiels. J’ai peur d’avoir perdu ma technique. J’ai peur du bateau putain, surtout quand la houle est forte et que le zodiac décroche sans prévenir par moments.

Les habitudes qui sauvent

J’entends ma peur, et donc j’entends tout ce qu’elle cherche à me dire. Justine Dupont a tellement raison : « La peur est un repère, elle nous aide et nous protège ».

Alors, je cherche en moi les réponses à cette information. Je me souviens des gestes et je leur fais confiance : ce sont mes habitudes qui sauvent, elles sont toujours en place.

Le bateau tangue fortement, mais si je respire bien profondément, que je garde la tête haute et le regard droit devant, que j’assouplis mes appuis, que je veille à ne pas crisper tous mes membres et à partir en apnée de panique, alors ça va beaucoup mieux. Je me sens plus sereine.

J’aime pas le putain de bateau quand ça tangue. Mais j’en ai moins peur. La nuance est de taille.

J’ai peur que le matos me lâche, même si je l’ai vérifié. Et devine quoi ? Mon ordi m’a lâchée. Sans doute la batterie. J’ai sans doute mal interprété ses warnings.

Je suis sous l’eau, j’ai plus d’ordi. Le pire truc. Tu sais, quand t’es lâchée par LE pilier, quand LE truc dont tu as le plus besoin te fait défaut.

Tu fais quoi ? Tu paniques ? Tu t’énerves ? Tu pleures ?

Ou alors… Tu t’écoutes.

Gérer l’urgent et l’important sous pression

La première pensée à émerger du triage qui s’opère désormais au sein de mon bide et de ma tête, maintenant que je sais détacher la peur qui polluait les ondes, c’est : respire.

C’est toujours la base, c’est toujours un bon conseil, c’est toujours la première étape vers la solution : respire. Tant que je peux respirer, ça va. Point. Les jours où je me prive d’une respiration sont ceux que je me plombe toute seule.

Je respire. Ensuite ?

Je ne suis pas seule. Fou, mais même quand les autres font partie du problème, ils font aussi partie de la solution. Je ne sais pas communiquer mon besoin, mais je sais qu’on partage le même : avoir un profil de plongée sécurisé.

Je reste près de mon binôme et de notre guide, et un peu au-dessus d’eux. Comme ça, je m’assure d’avoir un profil de plongée au plus proche du leur — et nous ne sommes pas partis pour une plongée profonde, on ne part pas dans des paliers.

Je m’appuie sur les autres. Ensuite ?

Ensuite, j’écoute : tout ce que je n’entendais pas lorsque je me reposais sur l’ordinateur pour répondre à mes questions. L’indication de la profondeur m’est donnée en continu par mes tympans. Ils crissent lorsque je descends, ils craquèlent lorsque je monte. Ils m’alertent des plus subtiles variations de pression. C’est qu’elle est fragile, cette membrane.

L’indication du temps m’est donnée par le manomètre : c’est l’air qu’il me reste à respirer, dans la bouteille. Tic tac tic tac. À 100 bars il faut faire demi-tour. Le premier qui arrive à mi-pression donne le signal aux autres. Le temps qu’on passe sous l’eau est conditionné par le volume d’air qu’on respire.

Mes sensations de plongée sont revenues en quelques minutes. La peur, le stress, l’inconfort de cette combi de néoprène (qui ne m’avait décidément pas manqué), toutes ces épreuves me faisaient appréhender, douter, redouter.

Les premières minutes sont une véritable mise à l’épreuve : le froid, le poids, le bruit, l’oppression, l’obscurité, le sel dans les yeux, et ce scaphandre qui m’écrase, me coule, me domine tant que je ne prends pas le pouvoir sur ma respiration et le contrôle de mes mouvements.

C’est dur putain, c’est toujours dur, c’est toujours pénible, c’est toujours une tannée de se préparer à cet exercice. C’est toujours flippant, inconfortable, c’est toujours désagréable… Puis ça devient un kif, quand je me rappelle pourquoi j’endure tout ça, pourquoi j’y reviens, pourquoi je persévère, pourquoi j’affronte mes peurs.

C’est toujours un kif de respirer dans cet environnement hostile : je me sens comme un voleur qui mettrait la main sur les joyaux de la couronne. C’est impossible ? Regarde-moi respirer dans ce monde bâti pour me tuer.

C’est toujours un kif d’oublier la gravité, de lâcher prise, de s’élever à la force de ses poumons, de s’enfoncer par la relaxation des membres et l’immobilité.

C’est toujours un kif de s’inviter dans un musée vivant, où les créatures t’ignorent et t’honorent de leur indifférence. Enfin un règne animal qui ne me craint pas, qui ne se soumet pas, mais qui m’accepte avec détachement, curiosité, et beaucoup de dédain. Je suis un animal étrange et gauche, eux sont les maîtres de ce territoire où je ne fais que passer, le temps d’une respiration.

J’aime toujours autant les bancs de castagnoles, qui virevoltent dans le bleu comme un nuage d’hirondelles en slow motion. J’aime toujours autant la sensation d’être engloutie par le froid, dans une bulle de cristal qui éclate si je bouge.

J’aime toujours autant tout ça, avec un peu de peur, dont je ne me débarrasserai pas. Comme une pointe de piment, elle relève le plaisir, au bord du gouffre que je surplombe en volant.

J’aime toujours autant ce silence oppressant, et la solitude de ce moment affranchi de la gravité et du temps terrestre.

Le bureau des pleurs n’enregistrera pas votre plainte

Je me suis relue, ce week-end. J’étais partie à Londres pour me recentrer : lorsque j’ai la sensation d’être écartelée par mon quotidien, c’est le signal de prendre une pause.

Si je me sens retenue en arrière dans mes projets perso, poussée vers l’avant dans mes projets pro, tiraillée à droite et à gauche entre mes impératifs et mes désirs, mes besoins et mes envies, mes contraintes et mes kifs, c’est que je ne suis plus au centre de ma vie.

Je pars donc me recentrer, si possible en cherchant le dépaysement, sous n’importe quelle forme : à l’étranger bien sûr, mais aussi à travers la perte du confort matériel élémentaire, ou encore via une épreuve sportive éreintante, histoire de secouer ma carcasse pour lui rappeler qu’elle est vivante.

L’objectif de ces breaks de « recentrage », c’est de revenir avec le centre de gravité bien en place, l’équilibre retrouvé, et bien entendu : les idées claires.

C’est-à-dire que je cherche à purger mon esprit de ses parasites les plus fréquents, qui prolifèrent sous l’effet de la fatigue et du stress combinés : les peurs, les angoisses, les doutes, qui, si je les laisse s’installer, finissent par provoquer une paralysie chronique.

Je ne fais plus rien, et pire : je ne sais plus rien faire.

Avec le temps, j’ai appris à réagir avant de souffrir d’un de ces épisodes de paralysie.

Qu’est-ce que je raconte, ce n’est pas « avec le temps », c’est depuis l’année dernière. Je le sais parce que ce week-end justement, je me suis relue.

J’ai peu publié de notes en un an — qui s’en fout, puisque trois dizaines de personnes à peine ont l’adresse de ce blog à l’heure où je rédige ce billet, j’écris pour moi, et justement, à me lire : mais bordel, qu’est-ce que je pleurniche depuis un an…

Je parle douleur, souffrance, effort, difficulté… Ma vie c’est une Spartan Race illimitée, c’est ça ? Mais pas du tout, c’est juste que j’ai passé un an à focaliser sur les montagnes que j’étais en train d’escalader.

Ah c’était pénible, je me suis blessée des dizaines de fois, j’ai craché mes poumons, j’ai cru que j’allais abandonner au moins trois fois, j’en ai chié comme jamais, mais… mais je l’ai fait, non ? Je suis restée ? Je me suis battue ? J’ai énormément appris ? J’ai… réussi ?

C’est si dur à admettre, cette réussite ? Juste parce qu’il n’y a jamais de ligne d’arrivée, que je n’ai pas une breloque ni un maillot de finisher à me foutre sur le dos, ça voudrait dire que j’ai pas fini d’en chier ?

Mais la vie et ses épreuves ne sont pas une course linéaire, avec un départ, un chrono et un classement à l’arrivée ! Bla bla bla c’est le chemin qui compte bla bla bla mais oui. C’est vraiment le chemin qui compte, t’es au courant ? Et oui, c’est dur, t’en as chié, t’as pas fini d’en chier, ça c’est la donnée de départ.

La vraie question, c’est : et est-ce que tu réussis ? Selon ta propre définition, parce qu’encore une fois, il n’y a ni critères ni classement. Donc : est-ce que tu réussis ?

Si je regarde le chemin parcouru, indubitablement : oui. Je ne suis plus la même personne qu’il y a un an. Je suis tellement plus loin, plus « haut » sur les flancs de la montagne qu’il y a un an.

Je sais où je suis, je sais d’où je viens, et pour la première fois de ma vie sans doute, je ne suis pas en train de chercher mon chemin : je suis en train de le tracer, et je suis plus confiante que je ne l’ai jamais été.

Je suis confiante dans le présent, et le présent me suffit. J’ai failli écrire « me comble », mais pas tout à fait, j’ai besoin d’être suffisamment insatisfaite pour continuer à avancer, vouloir toujours mieux. Ce n’est pas une mauvaise disposition, tant qu’elle ne m’empêche pas d’apprécier le présent. Je peux ressentir de la satisfaction vis-à-vis du présent, ET nourrir un désir de mieux pour l’avenir. Ce n’est pas incompatible. C’est l’équilibre que j’ai trouvé.

Je me suis relue ce week-end et ça m’a frappée : en quelques billets, je raconte un an et demi de souffrances et de galères. Ce tableau est injuste, il ne correspond pas à la réalité, il ne dépeint que les pics de « pire », les sensations de « chute libre » du roller-coaster qu’aura été cette période.

Alors, soyons honnête. Voici le vrai bilan de ma vie pro et perso depuis septembre 2016 :

J’ai beaucoup, beaucoup moins peur : moins peur de mes émotions, moins peur des autres, moins peur de l’échec, moins peur de la réussite, moins peur de me faire du mal, moins peur de décevoir.

J’ai infiniment plus confiance en les autres : là où j’étais incapable de déléguer la moindre tâche un tant soit peu significative, j’arrive même à déléguer des projets entiers qui me tiennent à coeur. Parce que j’ai confiance en la capacité des gens de mon équipe à les réaliser mieux que moi.

J’ai infiniment plus confiance en moi : j’étais dans une situation de crise où je prenais des décisions « par nécessité ». Il fallait décider, donc j’en étais capable. Lorsque la crise s’est dissipée, je me suis d’abord retrouvée incapable de prendre des décisions. Il n’y a plus l’urgence, alors comment réussir à trancher, quand on a tout le loisir d’hésiter ? J’ai dû trouver d’autres mécanismes que la pression et la nécessité pour réussir à prendre des décisions pertinentes. M’écouter, écouter les autres, des évidences impossibles à mettre en oeuvre lorsque l’on a confiance ni en soi, ni en les autres…

J’ai rompu avec ma dépression. Tel cet ex odieux et désagréable, elle est revenue à la charge, insidieusement d’abord, comme une notification sur Messenger. Je l’ai vue venir, je l’ai ignorée. Elle a forcé, elle est allée jusqu’à frapper à ma porte, j’ai eu peur, j’avais pas changé la serrure, je lui avais juste repris la clé, mais si jamais elle avait gardé un double… J’ai ouvert la porte, je lui ai fait face, je l’ai envoyée bouler. J’ai claqué la porte. Elle peut revenir aussi souvent qu’elle veut, je n’ai plus peur de lui faire face, j’ai réussi une fois à la rembarrer, j’y arriverai à nouveau.

Je ne suis plus nulle en sport, et mieux que ça, je me suis dépassée. Moi, la petite grosse qui se blesse au bout de trois mois, je suis toujours une plongeuse N2 (Dive Master PADI même si j’ai pas payé la licence et donc que j’ai pas la carte, dans ma tête, j’ai débloqué le niveau), et depuis dix mois, je fais du trail. Je cours, je fais de la préparation physique (ok, en dilettante, parce que je déteste ça), mais je progresse, ma morphologie a sensiblement évolué, et surtout, je me suis découvert une puissance que j’ignorais.

Tu crois vraiment que j’aurais réussi à courir 30km en trail, sous la pluie et la neige, pendant quatre putain d’heures et trente-huit fucking minutes, si l’année et demi qui vient de passer avait réellement été aussi dramatique que ce blog pouvait le laisser penser ? Mais non bien sûr. Qui a les ressources de se dépasser physiquement et mentalement quand on est au fond du gouffre ? Pas moi, évidemment. Si j’en ai été capable, si je continue de croire et de cultiver mes capacités à repousser mes limites, c’est bien parce que je suis à l’attaque d’une pente ascendante, et pas au trente-sixième dessous. Wesh.

J’ai complètement guéri ma claustrophobie, l’un des principaux symptômes du syndrome de « control freak » que je soigne… J’y pense parce que je suis en train d’écrire dans l’Eurostar, et qu’on vient de sortir du tunnel. Il y a trois ans, je prenais ce tunnel en bus pour la première fois de ma vie (et par surprise mdr, je croyais qu’on allait prendre le ferry haha j’ai failli demander à descendre tellement j’étais paniquée. Ce fut la crise d’angoisse la plus longue de ma vie, je tremblais à la sortie du tunnel hahaha).

Je reviens de loin, bordel. Il paraît qu’une montagne, ça se gravit en mettant un pied devant l’autre, et je sais ça, j’ai justement trop tendance à regarder mes pieds, et à me dire que ça tire quand même vachement dans les mollets, cette connerie. J’oublie parfois que j’ai aussi le droit de lever les yeux et de profiter de la vue. Encore mieux : de regarder derrière moi tout le chemin parcouru, et m’en féliciter parce que bordel, je viens de loin.

Je suis fière de moi. Et je vais le redire pour toutes les fois où j’ai oublié de me le dire, alors que je le méritais : je suis fière de moi.

Je suis fière du chemin parcouru. Je suis heureuse d’être là où je suis aujourd’hui. Je suis curieuse d’arpenter les chemins qui se dessinent devant moi. Et s’ils ne me plaisent pas, aucun problème : je tracerai ma propre voie.

Le bureau des plaintes est fermé, j’en ai abusé, et c’était sans doute nécessaire : j’ai dû apprendre à m’écouter, reconnaître que j’avais le droit de me plaindre et d’être malheureuse étaient des étapes nécessaires à cette thérapie.

Il était temps, à présent, que j’apprenne à être fière, à être reconnaissante envers moi-même, et à être heureuse, tout simplement.

Lose the round, win the fight

« Vous avez déjà entendu parler de l’endométriose ? »

C’est étrange, de perdre un bras de fer contre soi-même.

C’est étrange, aussi, de poser une question à laquelle il n’y a aucune bonne réponse. Pas de réponse n’est pas une bonne réponse. Toutes les réponses connues sont des mauvaises réponses.

C’est étrange, d’être malade à cause de l’étranger en soi.

C’est la définition même du cancer, n’est-ce pas ? Un corps étranger qui se développe, caché dans ton corps, jusqu’à ce qu’il interfère avec le fonctionnement normal de ton organisme.

Reprends ton « cadeau » empoisonné, Mère Nature

Tous les mois, environ, souvent un peu plus, parfois un peu moins, il fait des siennes, cet organe que je n’ai jamais demandé, mais qui apparemment, est installé en série.

De « mauvais moment à passer », mes règles sont devenues un moment qui ne passe plus.

Il a fallu que pour le 4ème mois consécutif, je me retrouve prostrée, prise de tremblements, de violentes nausées, de diarrhées, que je gémisse et que je pleure de douleur pour trouver enfin la force de m’avouer vaincue.

Non, je ne tiendrai pas. Non, je ne peux pas « serrer les dents » quelques heures par mois, un ou deux jours tout au plus. Je ne peux plus miser sur ma capacité à supporter cette douleur : l’idée même de cette douleur m’est déjà insupportable. L’idée de sa normalité m’est intolérable.

Dimanche soir, la douleur a dépassé le seuil de ce que je pouvais endurer. Je me suis brûlé la peau avec la bouillotte médicale, j’ai failli m’assommer, j’ai hésité à me blesser pour pouvoir appeler les pompiers, qu’on vienne me chercher, qu’on me shoote un anti-douleur vraiment efficace et qu’on m’emmène à l’hôpital.

Au lieu de ça, j’haletais comme un cheval à l’agonie, qui attend d’être abattu : pourvu que ça s’arrête.

Je ne veux ni d’une maladie inconnue, ni d’une maladie incurable

Ça ne s’arrêtera pas.

La sage femme m’a posé une batterie de questions sur moi, sur ma vie, sur les cycles de la douleur, ses intensités, tout. Quand elle m’a demandé si j’avais déjà entendu parler de l’endométriose, j’ai voulu lui répondre que je ne voulais pas en entendre parler.

Je ne veux pas d’une maladie incurable.
Je ne veux pas d’une maladie qu’on ne peut que gérer, et qu’avec des hormones.
Je ne veux pas d’une maladie dont on ne peut se débarrasser que par l’ablation de l’utérus, et encore, sans garantie de ne plus jamais subir des relents d’attaque. Un putain de cancer, cette saloperie.

Je ne veux pas non plus rester sans réponse.

J’écris ce soir parce que demain, je vais subir une échographie pelvienne et endovaginale, à la recherche de signes d’endométriose.

Je ne veux pas rester sans réponse, et je ne veux pas de la seule réponse accessible : c’est l’endométriose ou c’est pas l’endométriose.

Je ne veux plus souffrir

J’ai mal. Une partie de mon corps produit chaque mois une douleur que le reste de mon corps n’encaisse pas. Ça ne peut pas être normal, ça ne peut pas rester sans réponse.

Je ne peux plus accepter cette situation, je n’en peux plus de subir cette situation, et c’est bien là le noeud de mon problème: entre subir et choisir, la distinction est parfois ténue, mais il y a toujours la possibilité de choisir, tant qu’on peut choisir l’acceptation.

Or, je n’accepte plus cette souffrance.

Peu importe la réponse qu’on me donnera dans les semaines à venir, ce sera une mauvaise nouvelle. Il n’y a pas de bonne nouvelle quand il n’y a pas de solution.

Et si je pleure ce soir, c’est que je termine le deuil d’une partie de moi qui a pris trop de place dans ma vie, qui m’a causé trop de souffrances, et dont je dois envisager de me séparer, avec les risques que cela comporte.

C’est la pire des trahisons : celle de ta propre chair.

J’en peux plus. J’ai vraiment plus la force. Alors, j’ai perdu le bras de fer.

J’hésite : je ne sais pas si je préfère une réponse sans solution, ou des solutions sans réponse. Mais si, au fond, je le sais.

Je me satisferais de : ne plus souffrir. Et ne pas finir aux urgences avec un couteau en céramique planté dans le bas-ventre.

Je n’aurai sans doute pas de réponse, mais je ne cherche pas des réponses, je veux des solutions.

Take your losses.
Quit this round.
Breathe.
Get back up.
Win the fight.

Impuissance

D’abord, un choc assourdissant, qui te laisse débile. Un coup dans la tête, qui te fait perdre l’équilibre. Un coup dans l’estomac, qui te fait perdre l’appétit. Un coup dans la poitrine, qui te coupe le souffle.

Et puis, la chute. Tu t’allonges le temps de reprendre tes esprits, mais le poison qui s’infiltre et se répand dans tout ton organisme te paralyse.

Le lit qui te soutient devient ton sarcophage: il t’engouffre, t’engloutit. T’immobilise.

Tu respires à travers un masque de plomb, fondu sur les os de ton crâne. Tu le sais, parce que tu le sens: ses pattes métalliques pénètrent tes sinus, les tréfonds de ta boîte crânienne. Chaque mouvement trop soudain déclenche une décharge électrique, suivie d’un coup de massue.

Alors, tu ne bouges plus. Jusqu’à ce que la douleur disparaisse, et que tu oublies qu’elle reviendra. Immobile, ça va. Alors, tu te lèves, et le masque de plomb t’étouffe, le coup de massue t’assomme.

Tu te recouches. Tu ne dors pas, parce que tu respires mal à travers le masque de plomb. Tu restes prostrée. Attendre que ça passe. La patience est la seule force que tu peux actionner sans faire un mouvement. C’est la seule force qui te reste.

L’impuissance est un état vertigineux. La sensation de ne plus avoir les pieds sur terre ni la tête sur les épaules, et en même temps, sentir le poids du monde écraser ces épaules, la peine du monde t’éclater la tête, le passage du temps éroder tous tes membres.

À chaque fois, je suis impressionnée, à tel point que j’oublie. Et la fois suivante devient une première fois, parce que j’ai oublié le poids du sarcophage, et du masque de plomb.

Cette fois-ci, le poison était dans mes poumons. Insupportable niveau d’impuissance, rarement atteint. J’ai cherché dans ces souvenirs que je n’appelle pourtant jamais, ceux des impuissances passées.

Trois visites chez un médecin pour une maladie, ce qu’il fallait pour trouver le bon antidote. La bonne combinaison de pilules pour réussir à faire fondre le masque.

Parfois je me dis que c’est dans ma tête. Que c’est ma peur de la pollution qui me colle ce masque de plomb. Mais cette fois, c’était loin de ma tête, jusqu’à ce que la toubib pose le diagnostic. Ça ne m’avait même pas traversé l’esprit.

Je n’ai pas compris ce qui m’arrivait, mais pour une fois, j’ai écouté. Démonstration par l’exemple qu’on peut écouter sans comprendre, c’est une question de volonté.

J’ai regardé mon corps s’effondrer, s’enliser dans le sarcophage, lutter vainement quelques instants contre le masque de plomb avant de rendre les armes.

Je me suis regardée, à quelques pas de moi-même, impuissante. Et j’ai accepté cet état, moi qui l’ai tant nié, aggravant mes blessures à lutter sans ressources contre des forces qui me dépassaient.

Pour une fois, je me suis écoutée. Impuissante, certes, mais pas encore battue. Ni obstinée.

C’est sans doute la première fois depuis longtemps que je gagne un bras de fer seulement par la patience. Aucune autre force, puisque je n’en avais plus.

Ironique, n’est-ce pas ? Que la dernière de mes forces soit la patience.

À méditer.