Je suis nulle en maths (mais badass en auto-persuasion).
Ça me tue. Je me souviens du moment exact où j’ai arrêté les maths, dans ma tête. Je ne sais plus quel jour c’était, mais j’avais 10 ans, j’étais en CM2, j’avais des zéros en problèmes, et je comprenais pas pourquoi j’avais faux.
« L’excuse »
Et c’est la première fois que j’ai entendu « c’est une littéraire ! ». Comme une excuse. Une excuse comme un sortilège. Et à mesure que ma scolarité progressait, l’excuse est revenue, jusque dans la bouche de mes professeurs. Je pensais avoir repris la main, retrouvé confiance, mais la prof principale, ma prof de maths en 3ème l’a (re)dit à mon père :
« Clémence n’est pas une matheuse, c’est une bosseuse.»
J’ai raccroché une deuxième fois. De là, je n’ai plus réussi à reprendre la main. En Seconde, les problèmes étaient devenus insolubles. En Première, j’échangeais les réponses des DM de maths contre des plans de dissertations de philo. J’essayais même plus. Play to your strength, right. À quoi ça sert de nager à contre courant ? Je m’épuise et je perds mon temps. Je ne suis pas une matheuse. Adios la carrière scientifique, c’est pas pour moi.
En Terminale, j’avais abandonné. J’ai préféré apprendre par coeur des corrigés d’exercice, 3 par chapitre, plus de 40 chapitres au programme, excusez du peu. J’ai préféré apprendre par coeur des putains de corrigés d’exercice plutôt que d’essayer de comprendre ce qu’on me demandait, ce que je faisais. C’était plus facile de faire marcher ma mémoire que mes méninges.
Je ne suis pas une matheuse.
Je ne suis pas une matheuse.
J’avais même pas besoin de me le répéter, j’en étais déjà convaincue.
Je ne suis pas une matheuse.
Je me suis rendue incapable
Je m’étais dit que je n’avais pas le choix : je ne suis pas une matheuse, vous comprenez. Je ne PEUX PAS résoudre des problèmes, j’ai pas le bon logiciel installé dans la tête.
Je ne peux pas. Je ne sais pas. Je ne suis pas capable.
J’ai eu mon bac en 2005. On est en 2016. Onze ans plus tard, je suis vautrée dans un canap’, avec vue sur la plage, mon bouquin de théorie ouvert à côté. Mais je m’en sers même pas, je me souviens encore de certaines formules : PV = nRT. La constante d’Avogadro. Le principe d’Archimède. Toutes celles qui j’avais gravé « par coeur » dans le disque dur, sans savoir qu’en faire.
Les énoncés de problèmes qui me faisaient perdre mes moyens, parce que j’avais pas les moyens de les comprendre, n’est-ce pas.
L’inertie des croyances limitantes…
En onze ans, qu’est-ce qui a changé ? J’ai arrêté de me dire que j’en étais pas capable. C’est du français, je sais lire le français. C’est des chiffres, je sais faire des calculs. Si je sais compter la monnaie au bar, je sais additionner les pressions en plongée. Au pire, si j’ai un doute, j’arrive à évaluer l’ordre de grandeur de la réponse. Si ça doit être beaucoup plus ou beaucoup moins, ou à peu près pareil.
Reste à traduire les mots en chiffres. Poser le problème. Mais poser le problème, c’est utiliser des outils pour construire le raisonnement. Ça aussi, je sais faire. Parfois les outils ne me sont pas familiers : je lis la notice. C’est le théorème, la règle, le principe.
Parfois j’ai besoin d’exemples pour apprendre à manier l’outil. Parfois j’ai besoin de m’exercer pour être sûre de bien savoir l’utiliser. Parfois je me plante, et je me corrige, pour utiliser l’outil correctement.
Et aujourd’hui, face à la mer, dans le chill le plus total, j’enchaîne les calculs de pressions-volumes-densités comme si j’avais fait ça toute ma vie. J’ai même de la musique en fond, parce que ça me faisait chier.
Don’t ever tell me again that I can’t do something
C’est les mêmes problèmes qui me faisaient suer il y a onze ans, et j’ai pas ouvert un bouquin de physique depuis onze ans. À quoi bon, je suis pas une matheuse, vous comprenez.
Mais bordel. Combien d’autres trucs dans ma vie, me suis-je persuadée (ou laissée convaincre) que j’étais incapable de faire ?
Il suffisait juste que je me débarrasse de cette conviction erronée : je ne suis pas une matheuse. Non écoutez, je n’ai pas un don inné pour les maths. Comme je n’ai pas des capacités sportives naturelles exceptionnelles. Je ne suis pas pour autant handicapée : les muscles, ça se travaille. Le muscle des maths aussi.
Ça fatigue, ça fait suer, parfois ça fait mal, parfois faut faire un break, mais c’est possible. J’en suis capable. Pourquoi je n’en serais pas capable, au fond ?
J’ai l’impression d’avoir entretenue une cécité hystérique pendant toutes ces années. Juste parce qu’en maths, les réponses ne me venaient pas aussi spontanément que les dates des batailles napoléoniennes (vachement moins utile que les applications pratiques du principe d’Archimede, by the way).
Ne vous avisez plus jamais de me dire que je ne suis « pas ceci » ou « pas faite pour cela ».
Ou plutôt, faites-le. Je me ferais un plaisir de vous démontrer le contraire.
Les démonstrations, ça me vient tout seul maintenant.
PS : un de mes plans de carrière « pré-retraite », c’était de finir par passer des concours externes de la fonction publique et quand même bosser dans la juridiction administrative. Parce que le droit c’est mon dada, et que je suis cap’ de réussir un concours en candidat libre.
Forget that. J’en suis à me dire que j’vais finir par devenir ingénieure et développer la recherche en plongée. S’il y a une frontière ouverte, c’est bien celle qui sépare l’homme des fonds marins.
Ça m’occupera jusqu’à la mort.
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