Hier matin, Laura (mon instructrice) m’a laissé gérer les deux plongées de la journée. À charge pour moi de faire le briefing pré-plongée, de prendre toutes les décisions de la mise à l’eau à la remontée, et bien sûr, de guider la plongée.
Avec une seule plongeuse à bord hier, le challenge n’était pas le nombre, mais bien le rôle.
C’est dur, d’incarner le leadership. Il faut inspirer confiance, en démontrant de l’assurance. Il faut inspirer de la sympathie, en démontrant de l’humilité. Il faut être solide sur ses appuis, sans donner l’impression d’être bornée.
Il faut prendre des décisions, il faut remporter l’adhésion du groupe pour que ces décisions soient suivies. Il faut assumer les conséquences des problèmes qui surviennent, qu’ils découlent d’erreurs ou de circonstances, qu’on en porte la faute ou non : on en porte néanmoins la responsabilité.
Il faut être humain avec la force d’un être invincible, rester humble comme si le destin pouvait nous faucher demain.
Et de fait, en plongée, une erreur, un problème, peuvent avoir des conséquences dramatiques.
Leading takes practice…
Alors hier matin, même si je n’avais qu’une seule plongeuse à encadrer, plutôt expérimentée (50 plongées, Advanced), le défi était de taille.
Aujourd’hui, on a remis ça, mais avec 2 plongeurs Advanced, sur deux plongées supplémentaires. Mais cette fois-ci, Laura m’a laissée en charge de toute l’organisation, y compris l’accueil des clients, l’équipement, les formalités administratives, la vérification des certifications, bien sûr le briefing et toute la gestion de la plongée.
— Quelques notes à moi-même au sujet
du leadership et de ses challenges —
Confiance, sincérité et écoute de l’autre = la base
Ta confiance en toi doit être sincère, pas gonflée artificiellement. Ça sert à rien de se montrer plus sûre que l’on est, ça ne fait que renforcer la méfiance et le doute de l’autre.
Un bon moyen de le vérifier, c’est ma capacité à ressentir le niveau de stress de mon interlocutrice.
En l’occurrence, mon premier briefing était dans l’over-assurance. Je récitais dans ma tête les points obligatoires, les débitant avec la confiance d’une hôtesse de l’air qui démontre les règles de sécurité pour la 12 657ème fois de sa vie.
Ce n’est qu’au moment où je suis sortie de « mon personnage » pour demander à Laura si je n’avais rien oublié d’essentiel (spoiler alert : j’avais oublié un truc essentiel) que j’ai remarqué que ma plongeuse écoutait mon échange « stagiaire-prof » avec la même attention religieuse que mon briefing… Et j’ai percuté : stress.
En fait elle avait peur des requins, elle n’en avait jamais vu en plongée, et on était au bien nommé « Shark Point ». Et elle n’était jamais descendue à plus de 25m, alors que je venais de lui annoncer 30m en profondeur max.
Bon. Je lui ai demandé si elle était stressée, et elle a répondu oui. Donc j’ai mis en place avec elle des signes pour qu’elle puisse me dire sous l’eau « je veux remonter un peu » et « stop je veux sortir de l’eau » pour éviter une panique.
J’ai vu dans son comportement que ça l’a considérablement détendue : elle avait désormais les moyens de désamorcer des situations la mettant potentiellement mal à l’aise.
Et j’ai percuté que si j’avais pas cherché à dissimuler mon manque criant d’expérience dans l’art du briefing en tentant d’apparaître bien plus confiante que je ne l’étais, j’aurais chopé son stress plus tôt, et adapté mon briefing en conséquence.
Et en prime, ça aurait boosté ma confiance à moi, de me retrouver en face d’une personne qui s’en remet à moi pour assurer sa sécurité, plutôt que de me dire « c’est une plongeuse expérimentée, elle va me juger si je me plante ».
Je propose de ne plus me préoccuper à l’avenir des « on va me juger SI », et de gérer le problème du jugement si et quand il se présente. #NoteToSelf
Calme et sérénité permettent de multi-tasker en paix
Mise à l’eau, on descend, et là, les ennuis commencent. Je dois :
- accompagner la descente de mon élève
- repérer et gérer ses (éventuels) problèmes (elle avait des cheveux dans son masque, qui causaient des fuites)
- toujours être plus bas, et devant elle…
- …mais rester assez proche pour intervenir en cas de problème
- surveiller mon profondimètre pour pas dépasser la profondeur max
- surveiller le décompte de mon temps avant paliers de décompression (pour ne pas choper de palier)
- surveiller ma consommation d’air
- surveiller sa consommation d’air en lui demandant régulièrement…
- …mais pas trop souvent non plus pour pas la saouler
- gérer nos efforts respectifs vis-à-vis du courant
- ET trouver des trucs à lui montrer planqués dans les coraux
- ET surveiller le bleu des fois que des gros trucs passent
- ET gérer l’orientation générale de notre progression
…Et tout ça c’est dans la phase zen, après on embraye avec la remontée.
Donc que s’est-il passé dans les premières dix minutes ? J’étais débordée. Je chéckais tout en boucle, sans retenir ce que je voyais, et j’ai eu mal au crâne. LA PRESSION, mais pas celle de l’eau, lol.
Ça sert à rien de tout faire en même temps, et bloquer mon cerveau en mode « HIGH ALERT » ou « VIGILANCE CONSTANTE » ne me rend pas plus efficace, au contraire : ça m’épuise. Ça me pompe l’air, littéralement. J’ai jamais consommé autant en dix minutes.
Bref. Stop. Respire. Relax. Zen. Et on reprend.
Et en fait, en mode « ZEN », j’ai trouvé une séquence pratique qui me permet de combiner toutes mes tâches dans un ordre logique, et efficace.
Est-ce que c’était si difficile ? Non. J’ai remis ça cet après-midi, pour ma 4ème plongée en guide, avec ma palanquée de deux plongeurs et mon instructrice. J’ai mené le groupe dans le plus grand des calmes, malgré plusieurs difficultés qui m’auraient sans doute stressée la veille :
- descente très lente car mon oreille droite passait mal
- je ne connaissais pas DU TOUT le site, première plongée dessus
- ma palanquée comprenait un photographe, pire espèce de plongeurs à encadrer, vu qu’ils s’arrêtent douze plombes pour prendre des photos
- j’ai flirté avec ma limite de décompression sur la fin, mon ordinateur étant visiblement beaucoup plus pénalisant que celui de Laura.
C’est fou ce que j’arrive à gérer quand je ne m’autorise pas à stresser, mais que je me concentre uniquement sur la gestion du ou des problèmes à anticiper, éviter ou résoudre.
Je me propose de ranger le stress dans la boîte à énergie, à vidanger quotidiennement par le sport, par exemple. #NoteToSelf
Listen & Learn : les deux ailes du succès
Pour être honnête, je pratique déjà cette philosophie, mais je me la répète ici pour bien continuer à l’inclure comme l’un des piliers essentiels de mon leadership.
C’est pas écrit dans les bouquins de théorie, parce qu’on peut pas savoir à l’avance sur quel type de plongeurs on va tomber, s’ils aiment le macro, le micro, le bleu, le fond, le courant,… S’ils sont à l’aise, nerveux, s’ils veulent se laisser guider ou si ça les fait chier parce qu’ils aiment l’autonomie, s’ils consomment beaucoup ou pas, s’ils sont susceptibles au stress et à la panique…
C’est pas écrit. Je peux en deviner une partie, mais surtout, je peux leur parler. Je peux leur demander ces informations. Je peux les écouter, quand ils parlent entre eux, quand ils posent des questions. Je peux leur poser des questions, la façon dont je les pose, la façon dont ils répondent me donnent d’autres informations.
Je peux les écouter quand ils me donnent du feedback, quand des gens plus expérimentés me racontent leurs faits d’armes, lorsqu’ils me donnent des conseils ciblés. Quand des gens moins expérimentés me font un rapport d’étonnement, me posent des questions « naïves » en apparence, mais pertinentes au fond.
L’information est un flux constant, à moi d’en tirer le nécessaire et l’utile, et de l’alimenter pour ceux qui y puisent aussi leurs ressources.
Je propose de continuer à considérer les gens qui m’entourent comme des ressources, une mine d’information, et jamais comme des pions à gérer. Respecter et prendre en compte leur individualité n’est pas seulement la clé d’un management safe et épanouissant pour tout le monde, c’est aussi une garantie d’enrichissement et d’amélioration continue pour moi.
Les gens qui réussissent ne réussissent jamais seuls. #NoteToSelf
…Oublie pas de kiffer
J’ai failli oublier. Et pourtant, ça aussi, c’est un essentiel du leadership. Je ne suis pas un martyr. J’ai pas perdu à la courte paille. J’ai choisi d’être là, j’ai choisi d’assumer cette responsabilité, parce que JE KIFFE ÇA.
C’est fucking grisant d’être à la barre, d’avoir face à moi des gens qui écoutent mes consignes, parce qu’ils savent que c’est la clé d’une plongée zen et cool.
Et même si j’ai une sacrée part de cerveau investie à anticiper et gérer les problèmes des autres, quand je suis en équilibre dans le bleu, je suis dans le kiff absolu.
C’est dur, c’est stressant, y a de la pression, y aura des défis que j’imagine pas encore, y aura des attentes, des décisions difficiles à prendre, de l’autorité à démontrer et à faire respecter, ce sera pas toujours facile au quotidien, je sais.
Mais j’ai choisi ça parce que je kiffe. Je ne risque pas de l’oublier.
…Mais juste au cas où : meuf, n’oublie pas de kiffer. #NoteToSelf
Le leadership, ça demande de l’entraînement, de l’expérience. Mais j’ai déjà des bonnes bases, il me semble.
Une réflexion sur “D. 44 Good Leadership Takes Practice”