Je sais que j’ai dit que ça ne me touchait plus, mais en fait ça me touche. J’ai beau me répéter que je suis au-dessus de ça, que j’ai grandi, que c’est bon, c’est une étape franchie pour moi, ça me touche quand même.
Ça fait presque un an et j’arrive pas à lui pardonner, pire encore, non seulement plus le temps passe, et plus je réalise que je n’arriverai pas à lui pardonner, mais moins je pardonne à tous ceux qui ne se rangent pas de mon côté. Qui choisissent le statut quo, ou pire : son côté. J’en sais rien, je veux pas savoir en fait, parce que si c’était le cas, j’arriverais encore moins à le leur pardonner.
Je comprends pas pourquoi c’est à moi de faire les pas dans le bon sens, comme si c’était moi qui m’étais éloignée de je ne sais quel droit chemin, dans lequel il faudrait que je revienne.
Je ne comprends pas comment des gens que j’ai pu aimer, admirer, prendre en exemple puissent faire aujourd’hui preuve d’autant de dédain et de lâcheté.
Tu vois que les mots sont durs, parce que les lire te blesse. Alors pourquoi tu comprends pas que les entendre lancés contre moi, à pleine vitesse, me laisse des plaies sans cesse réouvertes à chaque fois que la même voix résonne, que sa fausse innocence claironne ?
On a rien à se dire quand on ne se respecte pas.
L’ironie de l’histoire, c’est que j’écris ça 72 heures après la victoire de Trump, et ce refrain qu’on chante en boucle sur tous mes channels de communication : faut s’écouter. Faut se parler. Faut arrêter de mépriser ceux qui ne pensent pas comme nous, faut arrêter de les prendre de haut parce que l’Histoire nous donnera raison, et qu’ils sont à la traîne du progrès. Je sais.
Tu peux retirer le couteau que tu m’as planté dans le dos ? C’est juste histoire que je reprenne mon souffle, et que je change de ton. Parce qu’il est là le problème avec ces belles intentions. Je la trouve où, la patience de le rester face à tous ceux qui me crachent au visage ?
Je voudrais bien continuer à faire semblant… Parfois je me dis que j’aurais dû continuer à faire semblant, à jouer les caméléons, passer pour invisible dans le canevas des différences. Oui je sais c’était lâche, mais personne ne me l’aurait reproché, même s’ils l’avaient su. Parce qu’ils savent aussi ce que ça coûte que de lever le voile et de se mettre à nu. Mais en fait non, je ne peux plus faire semblant.
J’étais surtout terrifiée par la réaction des hordes d’inconnus, parce que c’est terrifiant de susciter la haine de ceux qu’on n’aura jamais vu, à qui on n’aura jamais parlé, qui ne savent rien de nous sinon une étiquette qui semble justifier à elle-seule le rejet de tout un être. C’est vraiment terrifiant d’être haïe parce qu’on est. Ça ne laisse que deux choix : accepter ou disparaître. Littéralement, être malgré la haine, ou arrêter d’être.
Je me disais que ça n’arriverait pas avec les gens qui me connaissent déjà. Tu peux pas réduire quelqu’un que tu connais à un détail de ce qu’il est, et que t’avais jamais remarqué en plus, ou juste soupçonné. D’autant plus que les gens qui t’ont appris la tolérance ne peuvent pas être intolérants à ton égard, c’est ridicule, insensé. C’est très con. C’est décevant.
C’est tout un dégradé de déceptions que j’ai du mal à formuler, entre le mot de travers et le rejet assumé. C’est des mots que j’arrive pas à pardonner, même en allant chercher toutes les excuses du monde.
Ça fera bientôt un an, encore une date que je voudrais pouvoir oublier, mais que la saison me rappelle, sans que je puisse y échapper.
« Faut amputer »
Je croyais qu’en un an, l’écart se serait résorbé, qu’on se serait retrouvés, quelque part à mi-chemin. Mais le temps nous éloigne, et les mots qu’on s’envoie rouvrent des plaies que je ne sais plus refermer.
À chaque fois que je me blesse, je ne compte plus les fois où tu me disais, pour rigoler : « faut amputer ».
Ouais. Faut amputer. Ça va faire mal, ça va saigner, mais moins que ces saloperies de déchirures qui ne veulent pas cicatriser et qui me lancent à chaque fois que je me prends à faire un pas l’esprit ouvert à ce qu’il pourrait se passer.
La chute des idoles est vraiment dure à accepter. Faut amputer. Sinon ça va finir par vraiment s’infecter.
Après tout, on a déjà guéri l’homophobie. Alors je garde espoir, mais j’ai arrêté d’avoir des attentes. J’ampute. Tant pis si l’absence de ces membres me lance, ça fait toujours moins mal que les plaies béantes.