Le bureau des pleurs n’enregistrera pas votre plainte

Je me suis relue, ce week-end. J’étais partie à Londres pour me recentrer : lorsque j’ai la sensation d’être écartelée par mon quotidien, c’est le signal de prendre une pause.

Si je me sens retenue en arrière dans mes projets perso, poussée vers l’avant dans mes projets pro, tiraillée à droite et à gauche entre mes impératifs et mes désirs, mes besoins et mes envies, mes contraintes et mes kifs, c’est que je ne suis plus au centre de ma vie.

Je pars donc me recentrer, si possible en cherchant le dépaysement, sous n’importe quelle forme : à l’étranger bien sûr, mais aussi à travers la perte du confort matériel élémentaire, ou encore via une épreuve sportive éreintante, histoire de secouer ma carcasse pour lui rappeler qu’elle est vivante.

L’objectif de ces breaks de « recentrage », c’est de revenir avec le centre de gravité bien en place, l’équilibre retrouvé, et bien entendu : les idées claires.

C’est-à-dire que je cherche à purger mon esprit de ses parasites les plus fréquents, qui prolifèrent sous l’effet de la fatigue et du stress combinés : les peurs, les angoisses, les doutes, qui, si je les laisse s’installer, finissent par provoquer une paralysie chronique.

Je ne fais plus rien, et pire : je ne sais plus rien faire.

Avec le temps, j’ai appris à réagir avant de souffrir d’un de ces épisodes de paralysie.

Qu’est-ce que je raconte, ce n’est pas « avec le temps », c’est depuis l’année dernière. Je le sais parce que ce week-end justement, je me suis relue.

J’ai peu publié de notes en un an — qui s’en fout, puisque trois dizaines de personnes à peine ont l’adresse de ce blog à l’heure où je rédige ce billet, j’écris pour moi, et justement, à me lire : mais bordel, qu’est-ce que je pleurniche depuis un an…

Je parle douleur, souffrance, effort, difficulté… Ma vie c’est une Spartan Race illimitée, c’est ça ? Mais pas du tout, c’est juste que j’ai passé un an à focaliser sur les montagnes que j’étais en train d’escalader.

Ah c’était pénible, je me suis blessée des dizaines de fois, j’ai craché mes poumons, j’ai cru que j’allais abandonner au moins trois fois, j’en ai chié comme jamais, mais… mais je l’ai fait, non ? Je suis restée ? Je me suis battue ? J’ai énormément appris ? J’ai… réussi ?

C’est si dur à admettre, cette réussite ? Juste parce qu’il n’y a jamais de ligne d’arrivée, que je n’ai pas une breloque ni un maillot de finisher à me foutre sur le dos, ça voudrait dire que j’ai pas fini d’en chier ?

Mais la vie et ses épreuves ne sont pas une course linéaire, avec un départ, un chrono et un classement à l’arrivée ! Bla bla bla c’est le chemin qui compte bla bla bla mais oui. C’est vraiment le chemin qui compte, t’es au courant ? Et oui, c’est dur, t’en as chié, t’as pas fini d’en chier, ça c’est la donnée de départ.

La vraie question, c’est : et est-ce que tu réussis ? Selon ta propre définition, parce qu’encore une fois, il n’y a ni critères ni classement. Donc : est-ce que tu réussis ?

Si je regarde le chemin parcouru, indubitablement : oui. Je ne suis plus la même personne qu’il y a un an. Je suis tellement plus loin, plus « haut » sur les flancs de la montagne qu’il y a un an.

Je sais où je suis, je sais d’où je viens, et pour la première fois de ma vie sans doute, je ne suis pas en train de chercher mon chemin : je suis en train de le tracer, et je suis plus confiante que je ne l’ai jamais été.

Je suis confiante dans le présent, et le présent me suffit. J’ai failli écrire « me comble », mais pas tout à fait, j’ai besoin d’être suffisamment insatisfaite pour continuer à avancer, vouloir toujours mieux. Ce n’est pas une mauvaise disposition, tant qu’elle ne m’empêche pas d’apprécier le présent. Je peux ressentir de la satisfaction vis-à-vis du présent, ET nourrir un désir de mieux pour l’avenir. Ce n’est pas incompatible. C’est l’équilibre que j’ai trouvé.

Je me suis relue ce week-end et ça m’a frappée : en quelques billets, je raconte un an et demi de souffrances et de galères. Ce tableau est injuste, il ne correspond pas à la réalité, il ne dépeint que les pics de « pire », les sensations de « chute libre » du roller-coaster qu’aura été cette période.

Alors, soyons honnête. Voici le vrai bilan de ma vie pro et perso depuis septembre 2016 :

J’ai beaucoup, beaucoup moins peur : moins peur de mes émotions, moins peur des autres, moins peur de l’échec, moins peur de la réussite, moins peur de me faire du mal, moins peur de décevoir.

J’ai infiniment plus confiance en les autres : là où j’étais incapable de déléguer la moindre tâche un tant soit peu significative, j’arrive même à déléguer des projets entiers qui me tiennent à coeur. Parce que j’ai confiance en la capacité des gens de mon équipe à les réaliser mieux que moi.

J’ai infiniment plus confiance en moi : j’étais dans une situation de crise où je prenais des décisions « par nécessité ». Il fallait décider, donc j’en étais capable. Lorsque la crise s’est dissipée, je me suis d’abord retrouvée incapable de prendre des décisions. Il n’y a plus l’urgence, alors comment réussir à trancher, quand on a tout le loisir d’hésiter ? J’ai dû trouver d’autres mécanismes que la pression et la nécessité pour réussir à prendre des décisions pertinentes. M’écouter, écouter les autres, des évidences impossibles à mettre en oeuvre lorsque l’on a confiance ni en soi, ni en les autres…

J’ai rompu avec ma dépression. Tel cet ex odieux et désagréable, elle est revenue à la charge, insidieusement d’abord, comme une notification sur Messenger. Je l’ai vue venir, je l’ai ignorée. Elle a forcé, elle est allée jusqu’à frapper à ma porte, j’ai eu peur, j’avais pas changé la serrure, je lui avais juste repris la clé, mais si jamais elle avait gardé un double… J’ai ouvert la porte, je lui ai fait face, je l’ai envoyée bouler. J’ai claqué la porte. Elle peut revenir aussi souvent qu’elle veut, je n’ai plus peur de lui faire face, j’ai réussi une fois à la rembarrer, j’y arriverai à nouveau.

Je ne suis plus nulle en sport, et mieux que ça, je me suis dépassée. Moi, la petite grosse qui se blesse au bout de trois mois, je suis toujours une plongeuse N2 (Dive Master PADI même si j’ai pas payé la licence et donc que j’ai pas la carte, dans ma tête, j’ai débloqué le niveau), et depuis dix mois, je fais du trail. Je cours, je fais de la préparation physique (ok, en dilettante, parce que je déteste ça), mais je progresse, ma morphologie a sensiblement évolué, et surtout, je me suis découvert une puissance que j’ignorais.

Tu crois vraiment que j’aurais réussi à courir 30km en trail, sous la pluie et la neige, pendant quatre putain d’heures et trente-huit fucking minutes, si l’année et demi qui vient de passer avait réellement été aussi dramatique que ce blog pouvait le laisser penser ? Mais non bien sûr. Qui a les ressources de se dépasser physiquement et mentalement quand on est au fond du gouffre ? Pas moi, évidemment. Si j’en ai été capable, si je continue de croire et de cultiver mes capacités à repousser mes limites, c’est bien parce que je suis à l’attaque d’une pente ascendante, et pas au trente-sixième dessous. Wesh.

J’ai complètement guéri ma claustrophobie, l’un des principaux symptômes du syndrome de « control freak » que je soigne… J’y pense parce que je suis en train d’écrire dans l’Eurostar, et qu’on vient de sortir du tunnel. Il y a trois ans, je prenais ce tunnel en bus pour la première fois de ma vie (et par surprise mdr, je croyais qu’on allait prendre le ferry haha j’ai failli demander à descendre tellement j’étais paniquée. Ce fut la crise d’angoisse la plus longue de ma vie, je tremblais à la sortie du tunnel hahaha).

Je reviens de loin, bordel. Il paraît qu’une montagne, ça se gravit en mettant un pied devant l’autre, et je sais ça, j’ai justement trop tendance à regarder mes pieds, et à me dire que ça tire quand même vachement dans les mollets, cette connerie. J’oublie parfois que j’ai aussi le droit de lever les yeux et de profiter de la vue. Encore mieux : de regarder derrière moi tout le chemin parcouru, et m’en féliciter parce que bordel, je viens de loin.

Je suis fière de moi. Et je vais le redire pour toutes les fois où j’ai oublié de me le dire, alors que je le méritais : je suis fière de moi.

Je suis fière du chemin parcouru. Je suis heureuse d’être là où je suis aujourd’hui. Je suis curieuse d’arpenter les chemins qui se dessinent devant moi. Et s’ils ne me plaisent pas, aucun problème : je tracerai ma propre voie.

Le bureau des plaintes est fermé, j’en ai abusé, et c’était sans doute nécessaire : j’ai dû apprendre à m’écouter, reconnaître que j’avais le droit de me plaindre et d’être malheureuse étaient des étapes nécessaires à cette thérapie.

Il était temps, à présent, que j’apprenne à être fière, à être reconnaissante envers moi-même, et à être heureuse, tout simplement.