Le goût de l’effort (dans le dur)

Je ne me souviens plus si j’ai déjà écrit sur le sujet. J’avais oublié, pour la confiance. Ça m’est revenu cette semaine, en décantant les obstacles et les difficultés qui s’entrechoquaient dans mon esprit, engluées par le doute : la confiance est un muscle qui se travailleJe m’en suis souvenu.

Ça se pratique. Le doute s’amenuise, comme les courbatures se raréfient. Mais ça prend du temps, et beaucoup d’énergie.

Ça se travaille. Mais j’avais aussi oublié : ce travail n’est pas qu’un processus, il est aussi une fin en soi. J’aime ce travail, cette épreuve permanente, par laquelle je progresse, et donc, je m’accomplis.

Comment l’expliquer ? C’est tellement paradoxal. En chier pour kiffer, c’est comme souffrir pour être belle : on dirait un oxymore, une relation décorrelée. Un déséquilibre. Mais toute la différence se fait dans le choix d’être là, et celui d’avancer. Choisir ou subir, c’est toujours ça la différence essentielle, au fond, pour moi.

Je choisis d’être là. Pas au passé, mais au présent, chaque jour : je choisis d’être là. Je choisis de continuer à avancer, comme ça. Et c’est long, et c’est dur, et c’est parfois frustrant, et parfois gratifiant, mais c’est toujours éphémère, pratiquement instantané.

J’investis pour réussir. La mise de départ, c’est beaucoup de confiance et d’énergie, que je relance à tous les coups, parce que j’y crois comme j’ai jamais cru à rien avant ça, parce que je veux réussir plus que j’ai jamais voulu réussir quoi que ce soit avant ça. Parce que le jeu en vaut la chandelle, comme aucun autre avant celui-là.

Je dis que j’investis, parce que je n’attends pas de retour immédiat. C’est pas “action-récompense”, c’est une succession d’actions qui finira par déboucher sur un progrès. C’est pas des paris que je fais, c’est des briques que je pose. Il faut attendre que le ciment prenne. C’est long. C’est lent. Je suis dans le dur.

Mais j’ai retrouvé le goût de l’effort. La satisfaction d’en chier. La sensation que tes actions font bouger les lignes, mais très sensiblement. Comme un frémissement. C’est la conscience du battement d’aile d’un effet papillon. Je sème des graines. Et je bosse.

Le goût de l’effort, c’est le kiffe né dans la douleur. C’est le dernier kilomètre de la course qu’on finit au mental, quand les muscles hurlent mais que la tête prend le relai. Et qu’à l’arrivée, toute la souffrance est déjà oubliée.

C’est la satisfaction d’essayer et de persévérer, de continuer, de garder les yeux sur l’objectif même si ça prendra du temps et demandera beaucoup d’efforts, d’y arriver.

Ça y est, je me suis souvenue que j’aimais suer à grosses gouttes, avoir le souffle haletant et les mollets en feu. J’aime les courbatures qui te font dire à la fois « plus jamais ça » et « j’y retourne quand », pratiquement dans la même pensée. J’en peux plus et j’en redemande. Tout le temps.

Ouais. J’ai oublié de kiffer. J’ai le goût de l’effort au point d’oublier d’en profiter. J’aime suer jusqu’à m’en aveugler, m’essouffler jusqu’à l’épuisement, tirer sur la corde jusqu’à ce qu’elle se tende et menace de lâcher. C’est ça, mon kiffe. Repousser mes limites.

J’en fais toujours plus parce que j’en sors toujours grandie. J’essaie plus que les autres pour réussir mieux qu’eux. Je m’obstine et je persévère pour me rendre fière. Je suis perfectionniste parce que le diable est dans les détails et que je brûlerais l’enfer pour atteindre le paradis.

J’ai le goût de l’effort jusqu’à m’en épuiser. Et c’est ça mon addiction, c’est ça mon kiffe. Je l’avais juste oublié.

C’est pas la traversé du désert, ni même l’ascension de l’Everest. C’est un marathon, et je suis entrée dans le dur. C’est normal que ça tire, que ça fasse mal dans les jambes, que le mental flanche, et que j’en ai des nausées. Mais c’est ça qui est intéressant, pour moi. C’est l’épreuve qu’il représente, ce marathon, ce sont les haies que je dois sauter, la distance à tenir et les intempéries qui viennent tout compliquer.

Je me ferais vraiment chier à moins de ça. Et même dans le dur, j’ai qu’une seule envie : libérer ma foulée. Si j’avais pu courir le marathon au rythme d’un sprint, je l’aurais fait.

Alors, pour tenir l’effort, j’ai voulu ralentir, mais ça me rend folle de frustration, en fait. Et c’est pas ça le problème, au fond. J’ai pas besoin d’être patiente, j’ai juste besoin de me rappeler du goût de l’effort. Et pourquoi j’y suis autant accro.

J’ai juste oublié de kiffer ce pourquoi j’investis tant : la satisfaction d’avancer. Pas toute seule : en équipe, tou•tes ensemble, moi et tout•es celles dont la vie est touchée par les mots qu’on répand.

Le goût de l’effort, c’est ce qui me fait kiffer, même en plein dans le dur. Surtout quand le pire est déjà passé, et que l’avenir nous gave de promesses plus hautes que l’Everest.

« Do or do not. There is not try ».

Yoda a tellement raison. J’ai pas le time pour les hésitations. J’ai trop d’énergie, trop de volonté, trop de motivation pour les coups d’essai.

Je prends des risques parce que je ne supporte pas les regrets. J’avais juste oublié que j’avais le droit à l’erreur… et donc le droit de kiffer les réussites, même si elles sont triviales.

C’est ça, le goût de l’effort. Le kiffe à chaque pas qu’on prend, de ceux qui s’enchaînent à ceux qu’on s’arrache. Plus c’est dur, plus je kiffe. Pour le challenge, et même dans le dur : c’est là que ça devient intéressant.

Le goût de l’effort, c’est apprécier le chemin, pas la destination. L’histoire de la vie, au fond. Sauf qu’on va plus vite pour aller plus loin. Qu’on se donne plus, parce qu’on en a les moyens. Et que je vais crever si je me mets au pas, au diapason des autres qui avancent trop lentement dans leurs vies sécurisées… quand j’affronte la mienne à pic, que j’escalade en tête la piste de mes projets.

Je suis dans le dur. Et à moins de ça, je me ferais chier à en crever.

Tempo

Cinq mois. Et pas une nouvelle note à publier. Mais plein de fausses notes, de ratures sur la partition, d’heures passées au clavier à recommencer, à s’entraîner, à réciter, à répéter, à jouer, à s’éclater.

J’ai pas (encore) trouvé mon rythme alors j’écoute celui des autres et je cours après le tempo. J’écoute les cor(p)s qui prennent le dessus et parfois se mettent en sourdine. Je tends l’oreille vers les cordes qu’on tire et qu’on détend avant qu’elles ne lâchent, qui grincent et pleurent lorsqu’on les gratte, qui surprennent et enchantent lorsqu’on les accorde.

Je cherche l’harmonie dans la cacophonie des choeurs en formation.

Cinq mois. Je me suis sentie seule et noyée dans la foule, étouffée par les silences et assourdie par les bruits. J’ai été bousculée par le rythme, et figée par l’inertie d’un orchestre trop complexe à diriger. J’ai été emportée par les symphonies déchaînées comme une tempête sur les plaines, je me suis laissée émouvoir et surprendre par les mélodies timides, improvisées par les solistes, comme un secret murmuré.

J’ignore le métronome dont les allers-retours arrogants me narguent, et m’insupporteront tant que je n’aurai pas trouvé le rythme. Je suis partie pour courir un marathon au rythme d’un sprint…

Et j’ai pris le contrôle.

J’ai cherché ma métaphore pendant de longues semaines, et je l’ai trouvée dans l’image qui m’est la plus étrangère. Debout sur l’estrade, écrasée par l’obscurité, je ne vois que la partition que j’ai sous les yeux. Silence. Tout autour, le néant, jusqu’à ce que je lève le poignet.

C’est fou, ce pouvoir de lancer la musique d’un geste si léger.

Moi je pensais que pour être un leader, il fallait incarner une forme d’autorité. Il faut des épaules larges et une voix qui porte, une posture droite et un regard d’acier. Il faut aveugler les autres et rester soi-même dans l’obscurité. Il faut transpirer l’assurance et proscrire toute vulnérabilité.

Mais je n’avais jamais vu de chef d’orchestre. Seul, debout dans la lumière, c’est lui qui est aveuglé. Il ne voit que son propre chemin, les autres le suivront car ils ont confiance. C’est cette confiance qui lie tous ces instruments à l’extrémité de sa baguette, à la dextérité de ses gestes. Ses erreurs à lui deviendront les leurs, il le saura et ne leur en tiendra pas rigueur.

Perfection takes practice

Et tous les jours, recommencer. Il y aura des fausses notes tant qu’il y aura des humains à l’exécution, parce qu’entre les ratures griffonnées sur la partition et la magie des sons qui envahissent l’espace et transpercent les carapaces, il se passe un miracle.

Et le miracle, c’est de toujours réussir à produire un résultat unique, à force de répétitions.

On reprend à la clé, je gomme les essais de la veille et on improvise les mouvements du jour, pour n’écrire que le meilleur. Si ça marche, on répètera. Si ça coince, on persévèrera.

On vise la perfection pour atteindre l’excellence, une note à la fois. L’ensemble est toujours unique, et c’est ce qui le rend beau, même les soirs où j’ai le bras lourd et les doigts crispés sur le bois. Les jours où les violons sont désaccordés, où la batterie résonne trop fort et mes solistes se noient dans le bruit, les moments où je n’entends plus l’harmonie.

Mais lorsque le rideau tombe et que le silence se fait, le répit me pèse vite. Heureusement qu’il est de courte durée…

Cinq mois. J’arrive au bout de ma partition, et la perspective qui me paralysait il y a un an m’excite à présent : à nous d’écrire la suite, à nous de la jouer.

À nous de mettre en musique la poésie du quotidien, les espoirs et les doutes que les mots ne savent plus exprimer, les attentes qu’on ne s’avoue qu’à plusieurs parce qu’elles sont trop lourdes à porter pour une seule personne.

À nous de faire rêver.

Silence. Rideau…

En scène…

Et musique, maestro.

Le problème avec les petites roues

Le problème avec les petites roues, c’est que tu peux pas prendre de vitesse. Le problème quand tu les enlèves, c’est que tu peux plus t’arrêter sans mettre le pied à terre.

Bien sûr que ça fout le vertige. Tu t’attendais à quoi ? T’avais passé ta vie avec quatre points d’appui, et toujours un adulte à une longueur de bras. Tu pédales mais pas trop vite parce que ça suit pas, la bécane tangue et tu t’épuises pour rien.

Ça commence à t’emmerder sérieusement, de ralentir au moindre virage, de ne pas avoir la liberté et l’indépendance de tracer ta route, loin devant. C’est pas vraiment la vitesse qui te manquait, mais en même temps, qu’est-ce que t’en savais ? T’avais jamais vraiment testé.

Alors, un jour, on t’enlève les petites roues. T’es prête ? T’es sûre ? Tu serres le guidon, les pieds sur les pédales, et tu prends une inspiration. Dans ton dos, une main rassurante reste encore un peu pour te donner l’impulsion.

Et puis c’est parti, t’appuies sur les pédales avec un peu plus de force que de raison, c’est l’enthousiasme et la peur aussi, un peu. T’as les doigts sur le frein et sur le klaxon, prête à appeler à l’aide et ralentir si jamais tu sens que tu perds le contrôle.

Ça souffle, bordel, ça souffle vraiment beaucoup plus qu’avant. Et ça bouge aussi, c’est marrant, de sentir la puissance de l’engin répondre à tes impulsions. Il pourrait te foutre à terre si tu lui mettais un gros coup de frein, mais en attendant il te porte bien plus vite et tu le sens, au quotidien.

Bien sûr que ça fout le vertige. C’est la vitesse, le mouvement, la perspective, c’est un tout qui change. Dans ton dos, pas très loin, y a toujours le fantôme d’une main, prête à redresser le guidon si tu flanches, prête à te redonner l’impulsion si tu ralentis, prête à rassurer tes appuis si tu glisses.

Bien sûr que ça fout quand même le vertige. Mais c’est aussi cette sensation qui te fait avancer.

Bientôt, ça va tirer dans les mollets, c’est normal, c’est nouveau, va falloir faire et entraîner de nouveaux muscles, soigner le corps à mesure qu’on le sollicite, va falloir sortir les efforts pour attaquer les cotes, faudra aussi tenir le cap à travers les nouvelles directions, en dehors des sentiers bien tracés — parce que ça sert à quoi de se libérer si c’est pour continuer à suivre la trace des autres ?

Et il faudra aussi serrer les freins dans les descentes, ne pas se laisser avaler par la pente.

Et si ça tangue, si ça secoue trop, si je perds l’équilibre, je peux toujours mettre un pied à terre. C’est toujours dur de repartir, mais ça vaut toujours mieux que finir étalée dans la poussière.

Ça fout le vertige, c’est sûr. Mais c’est rien à côté du kiff que ça procure de filer comme ça, débridée, à toute allure. Ça souffle mais je me sens légère comme jamais au-dessus du sol, ça tangue mais c’est tellement plus facile de garder l’équilibre quand on est toujours en mouvement, et de garder le cap quand on a les yeux rivés vers l’avant.

Le problème avec les petites roues, c’est que tu ne peux pas prendre de vitesse. Le problème quand on te les enlève, c’est qu’on ne pourra plus jamais t’en remettre.

— Samedi 8 octobre 2016