Comment je fais pour ne pas me laisser submerger ?

J’adore la plongée parce qu’elle me ramène toujours à l’essentiel : respire, ne lutte pas contre l’hostilité de l’environnement (car tu vas perdre lol), et apprécie le spectacle, le moment.

Ton temps ici est compté, donc savoure-le, et quoiqu’il arrive : ne le subis pas, sinon il risque de t’arriver des bricoles.

Pourquoi c’est pas aussi simple à la surface ? La même urgence s’applique pourtant :

  • Respire.

Respire, comme priorité : si tu vas mal, rien ne pourra aller. Respire, comme base : si tu n’as ni le temps ni l’énergie de respirer, tu n’auras ni temps ni énergie pour quoi que ce soit d’autre.

  • Ne lutte pas.

Ne lutte pas contre les éléments : les éléments SONT. Ce sont des données. Tu peux parfois réussir à influer sur eux, mais au prix de quels efforts ? Pourquoi entrer en résistance d’emblée, lorsque tu peux t’adapter, utiliser les opportunités qu’offre cet environnement, même hostile ? Par exemple, sous l’eau, certes tous tes sens te lâchent plus ou moins, mais la gravité disparait. Franchement, ça s’apprécie. Et personne ne te conseillera de te barder de plombs pour refaire apparaître la gravité dans tes sensations…

  • Apprécie.

Apprécie le spectacle, le moment. Quoi, ta vie quotidienne n’est pas le théâtre d’émerveillements, d’émotions, de créations? Si bien sûr, c’est juste que tu ne prends ni le temps ni l’énergie de les apprécier.

* * * * *

Je suis posée sur la terrasse de Cap Croisette, et je regarde le soleil, pudiquement voilé de coton bleuté et rosé, se noyer silencieusement derrière l’horizon. Il laisse traîner quelques rayons sur la toile claire, striée d’or, de soie et de cuivre. Les cris de quelques mouettes viennent ponctuer le clapotis délicat de l’eau que les vents ont enfin cessé de tourmenter. Au-dessus de moi, le bleu m’aspire, il m’allège des derniers tracas que les masseuses du SPA de La Palud n’ont pas su extraire de mon dos.

Ce moment dure depuis plusieurs minutes, parce que je le fais durer. Ce n’est ni le soleil, ni le vent, ni la mer ni le ciel qui prennent leur temps pour me permettre d’apprécier ce spectacle. C’est moi qui m’offre ce temps, immobile, inactive, si ce n’est pour ces quelques lignes que je mets de longue minutes à taper.

Je laisse aux mots le temps de venir. Ils naissent lorsque je laisse éclore librement les émotions. Lorsque je ne les réprime pas, lorsque je ne les brusque pas. Lorsque je les laisse bourgeonner, éclore, fleurir, fâner, en quelques instants comme en plusieurs heures, souvent.

Comment je fais pour ne pas me laisser submerger ?

Ma première pensée face à ce coucher de soleil a été : « demain soir, retour à Paris ».

Non mais sérieux : « demain soir, retour à Paris ». Je m’auto-insupporte dans mon incapacité à apprécier ce qui se passe devant mes yeux, pour me projeter 24 heures plus tard, en plus dans une configuration négative: en vrai je suis heureuse de rentrer à Paris car ça fait bientôt 9 jours que je suis coupée d’Internet et donc d’environ 85% de ma vie, mais FORCÉMENT, comparer « retour à Paris » avec ce coucher de soleil idyllique, FORCÉMENT je viens greffer une émotion négative sur « retour à Paris ».

Mais je fais ça combien de fois par jour exactement?? C’est-à-dire :

  • Ne pas apprécier le moment présent
  • Me projet dans futur lointain (vraiment, 24h quand il me reste 2 plongées sur 3 à faire, c’est : LOIN.)
  • Amarrer une émotion négative à cette projection

À vue de nez, je dirais que je fais ça… En permanence. mdr.

¯\_(ツ)_/¯

Excellent. Surtout ne change rien, c’est par-fait!!! (J’adore être sarcastique envers moi-même. Ça me permet de dédramatiser ma propre bêtise).

J’ai passé tout un été à utiliser ma formation de plongeuse pour en faire une formation de management. Cool. Il y a d’autres leçons à tirer de la plongée pour ma vie quotidienne.

Le lestage : si tu prends trop de poids, tu coules

En plongée, pour s’immerger, il faut se lester. Le nombre de poids qu’on prend dépend de son expérience (donc de son aisance, de sa stabilité au fond de l’eau), mais aussi de sa densité (densité naturelle (celle du corps), épaisseur de la combinaison, flottabilité du matériel qu’on embarque, etc).

Débutante, j’avais 5kg à la ceinture. Aujourd’hui, à conditions égales, j’en suis à 3.

Dans la vie, je suis plus expérimentée qu’il y a quelques années. Je suis capable d’assumer plus de responsabilités, d’assumer une plus grande charge de travail qu’il y a quelques années. Mais ça ne veut pas dire que je peux continuer à me charger progressivement.

Tout comme je ne serai jamais à 0kg de lestage, à conditions égales.

Pourtant, au quotidien, je continue de m’ajouter des tâches, des missions, des objectifs, des responsabilités, comme si ma capacité d’assimilation était infinie.

Leçon n°1 : know the weight you can carry. Si tu prends trop, tu coules. Tout simplement.

Le profil de plongée : si tu prévois trop ambitieux, tu étouffes

Une plongée, ça se planifie. Tu sais pour quelle durée et quelle profondeur max tu pars, tu anticipes ton itinéraire, et tu t’équipes en conséquence.

Voici ce qui ne peut pas arriver en plongée : continuer de s’enfoncer, de mètre en mètre, parce que, tu comprends, « il faut bien y aller ».

Si tu ne respectes pas ton profil de plongée, si tu pars plus ambitieuse que tes ressources ne le permettent (c’est-à-dire : ton air!!), tu vas au devant de sérieuses déconvenues. (Comme par exemple : la mort!!! Excellent délire).

Qu’est-ce qui me prend de blinder 2 jours de taf dans une seule journée, et qu’est-ce qui me pousse à croire que « nan mais ça va passer » ? J’ai déjà réussi à faire « une troisième après-midi » comme je les appelle, de 20h à minuit ?

Oui j’y arrive mais je tape dans la réserve, et on ne doit pas y toucher, elle ne doit servir qu’en cas d’urgence, justement. Je me fous toute seule dans le rouge en ne respectant pas cette règle élémentaire : les ressources d’urgence sont réservées aux urgences. Pas aux « mais dans 3 jours c’est le week-end alors j’aurais le temps de récupérer ». Ne marche pas mieux avec « mais dans 3 semaines j’ai une semaine de vacances alors jpeux dormir 4h par nuit, on est large ».

Je sais pourquoi je fais ça : je suis ambitieuse. J’ai l’impression de manquer d’ambition lorsque je ne remplis pas mon agenda au taquet de la réserve. Comme si je ne respectais pas les opportunités que m’offrent ma position, le moment.

Mais c’est aussi pété que de vouloir sucer les dernières lampées d’air au fond de la bouteille, au motif que l’océan est trop vaste pour se limiter seulement à 34 minutes de plongée.

Oui ben minute, on remonte, on recharge et on revient. ON RECHARGE. C’est en ne prenant pas le temps de recharger convenablement, en sous-estimant les ressources nécessaires que je ne respecte pas les opportunités qui me sont offertes.

Leçon n°2 : know the fuel you can burn. Si tu ne recharges pas, tu crames. Tout simplement.

Focus sur ce que tu es en train de faire

Une autre magie de la plongée : sous l’eau, je ne pense à rien d’autre. J’ai connu si peu de situations dans ma vie, capables d’absorber toute mon attention sans qu’elle ne se divise.

Mais sous l’eau, impossible de penser à mon agenda qui se remplit à vue d’oeil, y compris en mon absence. Impossible d’anticiper les problèmes que je vois poindre dans les semaines à venir, les challenges qui m’attendent, les noeuds que je n’ai pas encore attaqués et qui auront encore empiré en mon absence.

Sous l’eau, il n’y a que : sous l’eau. Ce qu’il se passe devant mes yeux, le froid, les mouvements gracieux des poissons, le froid, la lumière bleue, la danse des algues, le froid, les rayons du soleil, le froid. Le bleu. Et moi, en apesanteur.

Ok, ça ne m’est pas naturel, mais j’en suis capable. Si je dois déployer des efforts dans les semaines à venir, essayons celui-ci : focus sur ce que tu es en train de faire.

Arrête d’anticiper, et surtout, arrête d’anticiper le négatif. Ça ne veut pas dire d’oublier les risques, ça veut dire : n’anticipe pas le pénible.

J’ai plus de 110 plongées au compteur, et jamais, pas une seule fois au cours d’une plongée, n’ai-je pensé : « ah trop relou quand il faudra laver-ramener-ranger le matériel tout à l’heure, au retour du bateau ».

Jamais.

Leçon n°3 : stand still to stand strong. Si tu penches toujours vers l’avant, tu perds l’équilibre.

Ne pas se laisser submerger : c’est ta décision

C’est pas toujours une partie de plaisir. Engoncée dans le néoprène rendu brûlant par le soleil, strappée aux douze kilos du scaphandre autonome, lestée de plomb, je suis tout sauf à l’aise. Le kif n’est pas présent.

Mais je sais pourquoi j’endure le calvaire de la préparation et du transport du matériel. Ce pourquoi donne du sens à la pénibilité, et la transforme en nécessité. Ce n’est pas une pénitence, c’est une étape.

Ma première fois, j’ai cru que j’allais couler direct dès la mise à l’eau. Forcément, je pesais une demi-tonne avec tout ce barda.

Sauf que non, tu ne coules pas. Cf la densité, Archimède, et caetera. Pour s’immerger, il faut faire un effort. Ce n’est pas naturel, et même complètement équipée pour plonger, l’immersion n’est pas automatique : elle se provoque.

Et voilà où je veux en venir. Comment je fais pour ne pas me laisser submerger ? C’est assez facile : tu décides de ne pas te laisser submerger. On n’est pas fait pour couler, tu sais. Naturellement, tu flottes. Quand tu coules, c’est que tu t’es coulée toute seule comme une grande.

Les voisins passent à ce moment précis « Je marche seul » à toute blinde, et je me rappelle à quel point j’aime les chansons de Goldman. Je ne me rappelle pas la dernière fois que j’ai pris le temps de hurler du Goldman à tue-tête toute seule chez moi. Je me demande s’il y a des soirées karaoké à Paris où ils passent du Goldman.

« Je m’en fous de tout, de ces chaînes qui pendent à mon cou,
J’m’enfuis, j’oublis,
Je m’offre une parenthèse, un sursis »

Ils enchaînent avec « Je te donne », l’une de mes chansons préférées au monde.

« Je te donne ce que j’ai, ce que je vaux ».

Oui, je donne beaucoup, je reçois beaucoup aussi. Mais je ne ME donne pas assez au quotidien, et je n’apprécie pas assez ce que je reçois.

Leçon n°4 : Don’t go under. Breathe in to stay afloat. Si tu arrêtes de respirer, tu coules. Si tu décides de couler, tu coules.

Des « Bonne Idée » à se remémorer

Ces neuf jours de vacances auront à peine suffi à me sortir du rouge. J’ai tellement l’habitude d’être au taquet de la réserve que j’avais même pas senti que j’y étais depuis des semaines déjà.

Il me faudra encore le week-end prochain pour revenir dans le vert. Mais je suis contente de m’être octroyé ces 9 neufs jours avant l’été, ça me donne donc tout l’été pour mettre en place ces excellentes leçons, dans le but de ne plus me laisser submerger.

(« Bonne idée », qui est clairement ma JJG pref, ex-aequo avec « Si j’étais né en 17 à Leidenstadt »).

« Bonnes idées » pour la semaine à venir :

  • ne pas reporter « tout ce qui ne rentre pas dans la semaine » sur le week-end (garder le week-end pour le kif, pas pour les nécessités).
  • ne pas reporter mes rendez-vous médicaux/bien-être au motif que « cette semaine, ça va être tendu ». Oui et ce sera d’autant plus tendu si je repousse ce qui est censé me faire du bien et me soulager. Duh.
  • ne pas planifier 3 demi-journées de travail sur une seule journée de travail. (On dirait de la logique élémentaire, n’est-ce pas)
  • solliciter de l’aide lorsque je me sens submergée.

Tu sais, comme en plongée, quand tu manques d’air. Combien de temps tu crois que t’attends avant d’appeler à l’aide ? Indice : vraiment pas longtemps!!!

Fais pareil à la surface, pour voir.

« Et puis y a toi qui débarque en ouvrant grand mes rideaux,
Et des flots de couleurs éclatent, et le beau semble bien plus beau,
Et rien vraiment ne change, mais tout est différent,
Comme ces festins qu’on mange seul ou en les partageant »

* * * * *

J’ai fini ma dernière relecture. Les voisins passent « place des Grands Hommes », mais je te propose qu’on se donne plutôt rendez-vous dans dix semaines.

Parce que dix ans, c’est trop loin. C’est maintenant que j’ai envie d’aller mieux, pas dans le futur.

(Ah bah tu vois quand tu veux!!)

No time like the present.

* * * * *

Je me suis interrompue pour faire ma méditation du jour, parce que j’en avais envie, et tant pis si j’avais pas fini d’écrire ce billet. Résultat : la Terre ne s’est pas arrêté de tourner (fou!!). Mais aussi : les clins d’oeil de l’univers…

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Ton temps ici est compté, donc savoure-le. Et quoiqu’il arrive : ne le subis pas, sinon tu en crèveras.

« Je marche seul
Quand ma vie déraisonne
Quand l’envie m’abandonne
Je marche seul
Pour me noyer d’ailleurs
Je marche seul
Dans les rues qui se donnent.
Et la nuit me pardonne, je marche seul.
En oubliant les heures.
Je marche seul.
Sans témoin, sans personne.
Que mes pas qui résonnent, je marche seul.
Acteur et voyeur.
Je marche seul.
Dans les rues qui se donnent.
Et la nuit me pardonne.
Je marche seul.
En oubliant les heures.
Je marche seul.
Sans témoin, sans personne. »

Écoute le silence, et réponds quand la peur te parle

Oui, je t’écoute, pas la peine de crier. Ce n’est plus la peine de crier. Je t’entends. Et mieux : je t’écoute.

Je croyais n’avoir aucune peur parce que je n’avais peur de rien, mais c’était tout le contraire : j’ai énormément de peurs, c’est juste que je les ignorais.

Ma peur a ressurgi au fond de cette calanque, que je connais pourtant. Ce décor familier devenait le théâtre d’une nouveauté déconcertante: ma première plongée depuis ma dernière plongée. La peur s’est invitée aux retrouvailles.

Penser à tout, cette tannée. Ne rien oublier, cette angoisse.

Et si je monte mal mon matos, j’ai oublié comment on sangle la bouteille. Et si je zappe une vérification essentielle ? Ça fait tellement longtemps. Ça s’oublie pas, car les réflexes sont toujours là, mais comment sais-tu que tu peux faire confiance à des gestes dont tu as oublié le sens ?

Pourquoi je tire sur cette sangle ? De quoi d’autre ai-je besoin ? J’ai déjà fait marcher ce parachute ? Je sais le faire ? Vraiment ?

Il n’y a pas si longtemps, j’aurais été aveugle et sourde à ces inquiétudes, à ce doute, à ma peur et tous ses avatars. J’aurais mis mon souffle court sur le compte de l’excitation, mes boyaux un peu trop mouvementés sur celui d’un repas trop riche et mal digéré. J’aurais trouvé mille excuses et le double d’explications à mon état perturbé.

Mais j’ai travaillé sur moi, sur ma peur. Maintenant, je l’entends lorsqu’elle arrive, même très discrètement. J’ai peur d’avoir oublié les gestes essentiels. J’ai peur d’avoir perdu ma technique. J’ai peur du bateau putain, surtout quand la houle est forte et que le zodiac décroche sans prévenir par moments.

Les habitudes qui sauvent

J’entends ma peur, et donc j’entends tout ce qu’elle cherche à me dire. Justine Dupont a tellement raison : « La peur est un repère, elle nous aide et nous protège ».

Alors, je cherche en moi les réponses à cette information. Je me souviens des gestes et je leur fais confiance : ce sont mes habitudes qui sauvent, elles sont toujours en place.

Le bateau tangue fortement, mais si je respire bien profondément, que je garde la tête haute et le regard droit devant, que j’assouplis mes appuis, que je veille à ne pas crisper tous mes membres et à partir en apnée de panique, alors ça va beaucoup mieux. Je me sens plus sereine.

J’aime pas le putain de bateau quand ça tangue. Mais j’en ai moins peur. La nuance est de taille.

J’ai peur que le matos me lâche, même si je l’ai vérifié. Et devine quoi ? Mon ordi m’a lâchée. Sans doute la batterie. J’ai sans doute mal interprété ses warnings.

Je suis sous l’eau, j’ai plus d’ordi. Le pire truc. Tu sais, quand t’es lâchée par LE pilier, quand LE truc dont tu as le plus besoin te fait défaut.

Tu fais quoi ? Tu paniques ? Tu t’énerves ? Tu pleures ?

Ou alors… Tu t’écoutes.

Gérer l’urgent et l’important sous pression

La première pensée à émerger du triage qui s’opère désormais au sein de mon bide et de ma tête, maintenant que je sais détacher la peur qui polluait les ondes, c’est : respire.

C’est toujours la base, c’est toujours un bon conseil, c’est toujours la première étape vers la solution : respire. Tant que je peux respirer, ça va. Point. Les jours où je me prive d’une respiration sont ceux que je me plombe toute seule.

Je respire. Ensuite ?

Je ne suis pas seule. Fou, mais même quand les autres font partie du problème, ils font aussi partie de la solution. Je ne sais pas communiquer mon besoin, mais je sais qu’on partage le même : avoir un profil de plongée sécurisé.

Je reste près de mon binôme et de notre guide, et un peu au-dessus d’eux. Comme ça, je m’assure d’avoir un profil de plongée au plus proche du leur — et nous ne sommes pas partis pour une plongée profonde, on ne part pas dans des paliers.

Je m’appuie sur les autres. Ensuite ?

Ensuite, j’écoute : tout ce que je n’entendais pas lorsque je me reposais sur l’ordinateur pour répondre à mes questions. L’indication de la profondeur m’est donnée en continu par mes tympans. Ils crissent lorsque je descends, ils craquèlent lorsque je monte. Ils m’alertent des plus subtiles variations de pression. C’est qu’elle est fragile, cette membrane.

L’indication du temps m’est donnée par le manomètre : c’est l’air qu’il me reste à respirer, dans la bouteille. Tic tac tic tac. À 100 bars il faut faire demi-tour. Le premier qui arrive à mi-pression donne le signal aux autres. Le temps qu’on passe sous l’eau est conditionné par le volume d’air qu’on respire.

Mes sensations de plongée sont revenues en quelques minutes. La peur, le stress, l’inconfort de cette combi de néoprène (qui ne m’avait décidément pas manqué), toutes ces épreuves me faisaient appréhender, douter, redouter.

Les premières minutes sont une véritable mise à l’épreuve : le froid, le poids, le bruit, l’oppression, l’obscurité, le sel dans les yeux, et ce scaphandre qui m’écrase, me coule, me domine tant que je ne prends pas le pouvoir sur ma respiration et le contrôle de mes mouvements.

C’est dur putain, c’est toujours dur, c’est toujours pénible, c’est toujours une tannée de se préparer à cet exercice. C’est toujours flippant, inconfortable, c’est toujours désagréable… Puis ça devient un kif, quand je me rappelle pourquoi j’endure tout ça, pourquoi j’y reviens, pourquoi je persévère, pourquoi j’affronte mes peurs.

C’est toujours un kif de respirer dans cet environnement hostile : je me sens comme un voleur qui mettrait la main sur les joyaux de la couronne. C’est impossible ? Regarde-moi respirer dans ce monde bâti pour me tuer.

C’est toujours un kif d’oublier la gravité, de lâcher prise, de s’élever à la force de ses poumons, de s’enfoncer par la relaxation des membres et l’immobilité.

C’est toujours un kif de s’inviter dans un musée vivant, où les créatures t’ignorent et t’honorent de leur indifférence. Enfin un règne animal qui ne me craint pas, qui ne se soumet pas, mais qui m’accepte avec détachement, curiosité, et beaucoup de dédain. Je suis un animal étrange et gauche, eux sont les maîtres de ce territoire où je ne fais que passer, le temps d’une respiration.

J’aime toujours autant les bancs de castagnoles, qui virevoltent dans le bleu comme un nuage d’hirondelles en slow motion. J’aime toujours autant la sensation d’être engloutie par le froid, dans une bulle de cristal qui éclate si je bouge.

J’aime toujours autant tout ça, avec un peu de peur, dont je ne me débarrasserai pas. Comme une pointe de piment, elle relève le plaisir, au bord du gouffre que je surplombe en volant.

J’aime toujours autant ce silence oppressant, et la solitude de ce moment affranchi de la gravité et du temps terrestre.