D. 58 L’autre ciel, plus dense que le velours et plus doux que la soie

J’ai toujours aimé l’odeur de la mer, tout en étant terrifiée par son étendue. Elle incarnait pour moi l’angoisse de l’inconnu, je pense. Face à elle, tu vois loin, jusqu’à l’horizon, et pourtant tu vois rien : en-dessous de la surface tout est un mystère. Pour de vrai, en plus.

L’Homme sait explorer l’Univers aux confins de la Galaxie par toute une tripotée d’instruments, mais on est toujours au moins aussi ignorants de ce qu’il se passe à des années lumières de la Terre, qu’à quelques kilomètres de fond entre deux continents.

L’activité humaine, entre pollution et surpêche, est en train de bouleverser l’équilibre d’écosystèmes dont on ignore encore l’existence. Les espèces marines meurent et disparaissent plus vite qu’on ne les découvre. La chaîne alimentaire aquatique se casse la gueule à mesure que la pêche intensive en pulvérise des maillons entiers. Les déchets de nos élevages intensifs charrient des polluants mortels pour la faune et la flore sous-marine.

J’ai toujours eu peur de la mer, mais c’est elle qui devrait avoir peur de nous.

J’avais arrêté d’acheter des fruits de mer ou du poisson avant de mettre la tête sous l’eau pour la première fois. Avant de découvrir la richesse, la majesté, la grâce, la beauté de cette environnement. Que dis-je, d’une infinitésimale fraction de cet environnement seulement.

J’ai effectué 109 plongées. Passé plus de soixante heures sous l’eau. Vécu des rencontres émouvantes, intrigantes, impressionnantes, excitantes… De l’extraordinairement petit (un hippocampe pygmée, moins de 5 millimètres), à l’incroyablement grand (une raie manta).

Et j’ai encore rien vu.

Sunset above the clouds

Lorsque mon avion a percé la couche de nuages, le soleil éclairait encore la voûte céleste, peignant un bandeau rose fluorescent par-dessus l’horizon.

La lumière descendante jetait un voile irisée sur la soie des nuages, et le velours de la mer, quelques kilomètres plus bas.

Voilà, ça y est, j’ai obtenu un niveau de plongée « pro », une étape seulement, comme une licence pour aller explorer toujours plus, toujours plus loin… Mais je ne peux pas m’empêcher de me demander ce qu’il restera à explorer d’ici quelques années.

Déjà, la différence est flippante entre les eaux ouvertes à la pêche et aux loisirs, versus les espaces protégés, les réserves marines. C’est bien simple, hors réserve, on ne voit pas de « gros » (pêchés, ou barrés vu qu’on pêche leurs proies). Il n’y a pas de « moyen » non plus (pêchés, barrés ou décimés par la pollution). On ne voit que du « petit », de l’anémone, de l’éponge, du petit crustacé, mais eux aussi souffrent de la pollution et disparaissent.

C’est marrant, parce que je m’étais toujours dit que je ne serais probablement pas végane si je n’habitais pas à Paris. Je consommerais du local si je vivais dans un îlot perdu, au bord d’une plage, au fin fond de l’Indonésie.

Sauf que le fin fond de l’Indonésie, j’en reviens. Et que même « manger local » augmente la demande, donc la pression sur les pêcheurs locaux, donc sur l’environnement. Donc en fait, c’est toujours non. Je ne sais pas quand est-ce qu’on finira par collectivement s’y résoudre, l’océan n’est pas notre garde-manger, c’est notre réserve d’oxygène, et le problème c’est qu’il ne peut pas continuer à assouvir ses deux fonctions en même temps.

C’est soit l’un, soit l’autre, à terme. Tu préfères : manger ou respirer ? Y a pas de piège…

Ma rencontre avec les tortues

C’était fascinant, et en même temps, j’ai eu un vrai choc en côtoyant les tortues de mer. Elles sont vraiment magnifiques. Il y a quelque chose de profondément surréaliste à voir des animaux aussi gros flotter sans effort. Ils vivent dans un autre monde, où la gravité n’a pas de prise.

Mais ils sont soudain rappelés au nôtre lorsqu’ils suffoquent en avalant des sacs en plastique, ou qu’ils se prennent au piège de filet dérivants.

J’ai vu ça de mes propres yeux. Des filets que même moi, avec mes yeux d’humain bien protégés à l’air de mon masque, je distingue à peine, malgré l’effet loupe.

J’ai scruté le bleu en plissant les yeux, persuadée d’apercevoir une méduse irisée, un calmar translucide, un animal marin non identifié batifoler à quelques mètres… C’était un sac en plastique. À chaque fois.

Décider et agir

Alors voilà. Tu prends les tortues, les filets, les sacs plastiques, et tu les additionnes. On serait choqués de donner de la mort au rat à des chats, pourquoi on ne s’émeut pas du fait qu’on approvisionne les tortues en sacs étouffoirs ?

Encore des questions que je ne peux pas poser, que je ne peux pas écrire, parce que c’est culpabilisant, n’est-ce pas. Moi je crois que c’est responsabilisant, et que c’est ça qui fait mal. Parce qu’on ne peut plus ignorer que notre utilisation abusive et fainéante du plastique nuit gravement, et directement à la faune océanique. (Je parle même pas de manger de la soupe de tortue, parce qu’après avoir nagé avec les bestioles, je sais pas, elles imposent tellement de respect et de majesté que finir en soupe, c’est vraiment une honte).

On ne peut plus ignorer non plus qu’on a le pouvoir de changer tout ça. C’est extrêmement facile. On a juste besoin de le décider, de le faire, et d’ajouter au nombre. C’est aussi simple, et compliqué que ça : décider et agir.

Dommage collatéral de mon voyage, je songe sérieusement à militer pour Sea Shepherd (mais je suis moyennement chaude à l’idée d’être fichée « éco-terroriste » aux RG pour la décennie à venir… Donc bof).

De la responsabilité…

J’avais commencé à écrire ce billet hier soir, et j’avais pas prévu de lui donner un tournant aussi pessimiste. Mais en fait, je sais pourquoi j’ai fait ça. Entre temps, depuis l’atterrissage, j’ai fait un tour dans Kuta, passé du temps à feuilleter les cartes des resto. Boeuf, porc, poulet, poisson, crevettes… Déclinés à toutes les sauces.

Oh, y a bien quelques plats végétariens, mais ils sont relégués en fin de carte. On peut bien sûr obtenir un curry sur demande, hein. Mais faut demander. Ce n’est pas proposé.

Boeuf, porc, poulet, poisson, crevettes… Multiplié par combien de resto ? Par combien de touristes ? Par combien de repas ? C’est pour les touristes, tout ça. Les locaux mangent beaucoup moins de viande, et alternent pas mal avec le tofu et le tempeh.

Et donc, vous croyez que tous ces boeufs poussent à Bali ? Que tout ce commerce n’a aucune incidence sur la population et l’environnement, dans un pays qui peine à organiser la collecte de ses déchets (je ne parle pas de tri, hein. Je parle de COLLECTE. Du fait qu’il n’y a pas de poubelles dans les rues, ou plutôt, que les bords de rues deviennent des poubelles par endroits…)

On est en train de détruire des paradis à coups de fourchette. Qu’on se le dise. C’est pas pour se culpabiliser, j’en ai rien à secouer de nos états d’âme. C’est pour nous responsabiliser.

Qu’on arrête enfin de se convaincre que « poulet ou poisson » c’est notre choix, comme s’il n’impactait que notre taux de cholestérol.

Ça va au-delà de l’empathie pour l’animal ou l’être humain, et ça va bientôt devenir une question de survie, pour nous tous.

Une fois au pied du mur, est-ce qu’on attendra encore une loi, ou que « les autres » fassent le premier pas ?

Here we go again…

C’est fou, j’étais persuadée que ce voyage me ferait lâcher du leste sur le véganisme. C’était ma grande réserve, à ce sujet : n’est-ce pas là un régime de petit bourgeois, au fond ? Est-ce que les populations moins aisées n’ont pas d’autres préoccupations que celle de l’éthique alimentaire et la sauvegarde de l’environnement ?

Eh bien non, figurez-vous. Les populations moins aisées sont d’autant plus vulnérables à la tension qui pèse sur les ressources naturelles. Nos fruits de mer sont contaminés par la hausse de température et l’apparition de micro-organismes nocifs ? Oh bah. Ça râle, mais on se rabattra sur le foie gras à Noël.

Sauf qu’il n’y a pas de « plan B » pour les gens qui vivent directement de l’exploitation d’une ressource. Sous nos latitudes, y a toujours quelques subventions publiques, assurances ou aides exceptionnelles pour tenir jusqu’à la saison prochaine.

Mais ici, il n’a pas vraiment pas de « plan B ».

Bref. Encore une mise au point avec moi-même : je peux désormais embrasser le véganisme en toute sérénité, j’ai vu que c’était aussi une nécessité pour les gens que j’imaginais vivre de la pêche ici. Ils en vivent, oui. Nous, on s’en gave. La nuance est de taille.

— Samedi, 3 septembre 2016

D. 51 The Captain with the right hand hook

So I’ve talked a while ago about my body being the stallion and my mind being the rider, and how I need to listen to my body as if I were riding a horse. That is, if I intent to go the distance. I could very well keep burning through my power, and see where that would get me.

Then I figured out that I couldn’t let my body dictate the terms either: if I indulge too much in resting, we’ll get used to moving slowly, and I can’t have that.

All in all, throughout this trip, I have finally managed to get my mind & my body to find a sort of balance between them. But there’s one more lesson I need to learn.

So I wasn’t at the top of my game today, which is the understatement of the year. I had been extremely tired the day before, and both my ears were ringing. When I woke up, the right ear (A-G-A-I-N) felt stiff, swollen, and painful.

I felt it coming though. It was already burning pretty badly the day before, but not yet painful. I am so used to discarding pain, that when I feel something is painful, it’s the sort of pain I cannot ignore anymore.

I guess I got that from the leg muscle-tear I got playing soccer when I was 10 years old. Because all the adults assumed that I was faking it because I hated soccer at school, they kept saying that I was faking it to get out of soccer practice. (I honestly don’t know how they got to this conclusion, since I had been playing soccer with my brothers all the time, and it was about THE ONLY SPORT I actually liked).

I guess I ended up telling myself that I was not really hurt, and I kept walking — or rather, limping on that injured leg for about 2 weeks. Until one morning, I couldn’t take it anymore. I sat up on the stairs of our house, and demanded to see a doctor, refusing to move until promised so. My dad said he would take me after school, so I limped another day on it, until finally, a doctor examined me.

What might have been a minor tear if treated & rested properly early on, had become a knee tendinitis, made worse by my constant limping on it.

3 weeks of rest left this knee weaker than the other for years.

I should have learnt then to take care of pain when it first manifests, but I was 10 years old. Instead, I learnt that if it’s anything serious, the pain will come back worse after I have discarded it.

And most of the time, biting through it combined with a little rest usually works. And if it doesn’t, I’m usually the only one to pay the price.

« Usually ». Well. I had to sit the day out yesterday, and we had 8 guests wanting to do a Try Dive. A fourth Divemaster would have been appreciated. Because I was unable to dive, the team had to divide the try divers in 2 groups, and do 2 rotations each.

It’s not the ear that hurt me most yesterday, although the lack of painkillers on the boat made itself sharply obvious. It’s the feeling that I’m letting the team down, and they have to handle double work because I’m out.

Try Dives can be really tough to monitor, because they tend to go up and down a lot, failing to equalise properly, or to maintain their buoyancy underwater. This very enthusiastic crew was no exception, and everybody’s ears were subjected to quite a strain. Twice.

And a third time that day, with 3 other Try Divers.

Helping out with equipment set up on the boat, rinsing and clearing out the gear was the least I could do that day, and it felt like not enough.

Not because the girls made me feel like I was letting them down (on the contrary), but because I felt like I could have avoided this situation by taking a day off earlier, when I first felt tired and strained.

I won’t be the only one paying the price anymore

I need to remember that I’m not the only one paying the price anymore. I may be paying the highest toll, but as long as I’ll be part of a team, it’s the collaterals I need to think of, not just my own stakes in the matter.

That lesson gets even more essential transposed to team captain, instead of just team member. Sure, I can be a captain with a right hand hook, even with a wooden leg and a glass eye.

But wouldn’t I be better at it if I kept all my parts, to the best of my ability? Doesn’t it make more sense to rest when I need to, instead of when I can’t handle it anymore?

Isn’t it easier to plan a day off, than to suffer through sick days, waiting for my body to be functional again?

I probably have an ear inflammation. AGAIN. I probably need to stay out of the water for a couple of days. AGAIN. Yet I barely have more than « a couple of days » left here, and 4 trials to complete, 2 of which underwater.

I need to accept 2 things about myself:

My mind is in far better shape than my body. I’m faster, smoother, sharper in my mind than with my body.

My mind can always negotiate a little extra energy, I can always persuade myself that « I’m OK ». I waited 18 hours with 2 broken wrists last year, before asking to go to a hospital. I should have known right away that this kind of pain meant that something WAS wrong. But no matter what my mind tells me, my body will always have the last word.

There really is no point in being a healthy, exercising, non-drinking vegan, if I keep ignoring the earliest signs of something going wrong.

I’m not talking about making a fuss every time I have an itch, I just need to stop ignoring the small signals my body sends me.

It’s like clicking « later » on the important updates pop ups on your computer: sooner or later, the thing shuts down and you have to wait out the installation of the 12 657 updates you neglected to download earlier.

I might have to leave this place without completing my Divemaster. It’s a dire price to pay for this lesson, but again, it’s one I really should have learnt by now. And one I really cannot afford to suffer through again.

…Worst case scenario, though: I’ll have to come back here to complete all of my trials.

— Saturday, August 27th

#CheatDay because, once again, I was too tired to be bothered to open up my computer.

D. 50 Parfois, il pleut même au Paradis

L’heure de départ le matin dépend de la marée. Mais comme j’essaie d’habituer mon corps à un rythme régulier, j’ai toujours un réveil à 7h00. Il ne m’a jamais réveillée, d’ailleurs. Les macaques qui sautent sur le toit à l’aube s’en chargent généralement, mais avec l’habitude, j’ouvre toujours le premier oeil entre 6h et 6h45. De quoi s’étirer comme un chat, et se lever en douceur.

Ça me laisse le temps de prendre un petit déjeuner au calme, avant que la terrasse ne soit envahie par les clients. Je m’assois face à la mer, dont le bruit des vagues rythme le passage du temps comme un métronome, en continu.

L’espace d’un moment, je règne sur le Paradis. Le vent ne s’est pas encore levé, le soleil n’écrase pas encore la plage, sa lumière est douce, comme l’air matinal.

Le parfum du thé au gingembre qu’on me sert brûlant et le goût des fruits frais chassent pour quelques instants l’odeur salée de la mer, omniprésente.

Mais ce matin, le ciel est gris. J’ai rendez-vous à 8h avec mon instructrice, on part faire deux plongées avec notre élève Open Water, à 8h30. Il est bientôt 8h et la terrasse est déserte. Et le ciel s’assombrit.

Un coup de tonnerre retentit, et soudain les nuages se déchirent, laissant tomber un rideau de pluie, dense et frais. C’est tombé si fort que j’ai eu peur que les couleurs délavent, et qu’elles se diluent sur la plage.

C’était beau.

On est sorties en mer ce matin-là, et la tempête tropicale avait laissé la place à une journée de grisaille. Du vent qui siffle aux oreilles et fouette la peau humide et nue, de l’eau tiède qui brûle les tympans et la gorge.

J’avais pas envie d’y retourner, j’avais qu’une seule envie, ou plutôt plusieurs, en fait : prendre une douche chaude, mettre des habits doux et secs, boire un thé chaud, manger un repas chaud. Mais j’oublie qu’il n’y a pas d’eau chaude dans les douches, que je vis dans une hutte ouverte donc si c’est humide dehors, tout est humide dedans, et que le repas chaud devra attendre ce soir.

Mais en fait, je me rappelle que ça fait partie du deal : on peut pas vivre au Paradis et s’attendre à des jours 100% heureux. Il y aura aussi des jours sans, des jours plus difficiles, des jours plus chiants, des jours pluvieux.

Au moment de retourner sous l’eau, contre toute fibre de volonté de mon corps, je me suis repassé les raisons pour lesquelles je me retrouvais là, à ce moment, au bord d’un bateau traditionnel maltraité par les flots, sous une pluie tiède.

Parce que je kiffe ça. Parce que j’ai choisis d’être là. Parce que j’ai envie d’être là, pour le meilleur ET pour le pire.

C’est important de garder à l’esprit les raisons et les envies qui me motivent à poursuivre une voie, pour les jours de pluie et de grisaille, où elles ne seront peut-être plus aussi évidentes.

C’est toute la différence entre la vraie vie et les cartes postales, n’est-ce pas ? Parfois il pleut, même au Paradis. Mais ça a son charme aussi.

— Vendredi, 26 août 2016

#CheatDay parce que j’étais tellement claquée à la fin de cette journée que j’ai pas sorti l’ordi et je suis allée dormir 12h, pour la peine.

D. 23 Sea sickness is a real thing (and curse this shit)

I just spent twenty-eight hours on that goddamn ferry, the better part of it contorted with stomach pain. I flat out refused to believe that I was being sea sick, on the account that I don’t believe in sea sickness, to start with. Even if such an affliction did, in fact, exist, it could not affect someone who had already spent over seven days at sea, in much worse conditions than these, for instance.

For one, I was lying down the whole time, under proper ventilation, and with a view to the outside, not canned up somewhere below deck. And the size of the ship was so that I could barely feel the movement of the wave underneath.

So there was really no way I could be subjected to « sea sickness », and again: I’d sooner believe in ghosts than in the existence of a stomach disease, caused by the simple fact of being aboard a boat. I do believe that my own mind could cause my body to feel sick, but that can happen in various situations. What the mind does, the mind can undo. If I don’t allow myself to entertain the reality of sea sickness, then my body cannot be afflicted by it, can it?

But there I was, unable to move from my position, bed-ridden by my stomach, threatening to relinquish its content without warning at any sudden move on my behalf.

Well, I must be having my period, then. For sure. Intense nausea has been a symptom before, especially on an empty stomach. I should eat something, drink more, and place my mooncup as a preventive measure.

Eating made it worse. Oh well, then I must have given myself food poisoning, by eating these awful crackers. After all, they do contain some milk products, that must be the reason why I can’t seem to be able to digest them. Even though I had eaten those last week, to no side effects. Fuck this. I need more water.

Well, I’ve been drinking over 1,5 L of water over the last 20 hours, with no feeling of thirst, and no need to go to the bathroom… Something if definitely wrong with me. My body isn’t processing anything at the moment.

Why isn’t my digestive system functioning properly? WHAT THE FUCK, BODY?

By the time we reached Bira, (Saturday, around 6pm, having left Friday at 3pm), I was seriously considering jumping ship. Then again, the full blast karaoke session that had been going on for the past SIX FUCKING HOURS made for a greater incentive than this pretend-sea sickness I still don’t really believe in.

I waited for my ride a few steps away from the ferry docks, praying it would be a car, not a bike of any kind. The ground was moving all around me, and I ended up sitting down on the warm stone, increasingly aware of my stomach, which content had not been released in over twenty-eight hours.

My ride came. Of course it was a motorbike. Of course there was no helmet. The driver took my backpack in front of him, and I remembered just enough indonesian to ask « pran-pran »: slowly please. It was only about ten minutes but it felt agonisingly longer, although at this point, I had no resistance left. I think my body went to survival mode, and I wasn’t as fear-ridden as I would have been, riding by night on the back of a motorcycle, clinging to some guy’s shoulders for dear life.

When we passed the gates of « Bira Dive Camp », I let out a sigh of relief. I was trembling when I got off of the bike, thanking my driver for his skills. He took me to meet the staff, then to my dorm, and let me get settled in.

But he was gone for about a minute when my stomach decided that it was time to let it all out. Ha, so here’s the water I’ve been drinking, but that my body hasn’t been getting.

I went down to the terrace only to bade everyone good night and fill up my water bottle, which I drained once for good measure. I was dehydrated for sure, and it was pointless to eat in these conditions.

As I lay flat on my mattress, I could here the soft rustling sound of the waves, less than fifty meters below. The noise alone was giving me a funny feeling inside. I drained another bottle of water during the night, and thought I’d best pass on the invitation to join in for the next morning’s first dive. Diving while dehydrated isn’t exactly the best idea.

So, I guess, that these past two days have taught me this: sea sickness is real. I am prone to sea sickness. I need to find a way to get past this. I will then get as much information as I can find about this illness, why it happens, how to get rid of it. There has to be a way. I like the sea too much to let it keep me at bay, on the ground that my stomach can’t — well, can’t « stomach » it.

I am the boss here. And I say that since I cannot ignore the problem anymore, I’ll solve it. Period.

— Saturday, July 30th

D. 22 Un défi en suspens

J’écris depuis la terre ferme, donc on n’est pas vraiment vendredi 29 juillet, mais dimanche 31 juillet. C’est un #CheatDay comme je les appelle, des pages de journal écrites a posteriori. Mais je les écris quand même, parce que je me remémore clairement le moment de la journée où je me suis dit « ok, c’est de ça dont j’ai envie de parler aujourd’hui », c’est cette idée ou cet instant que je veux cristalliser, développer à l’écrit. Et comme vendredi, j’étais clouée à l’horizontal sur un ferry (voir le post suivant… hem hem…) j’ai pas pu écrire tout ça sur le moment. Mais en vingt-huit heures, j’ai eu le temps d’y réfléchir.

Je sais pourquoi j’écris presqu’un jour sur deux en anglais. Ça dépend du moment où me vient l’inspiration, je pense, et quand je suis entourée de gens, je parle (donc je pense) en anglais. Forcément, les mots me viennent en anglais. Mais ça m’arrive aussi quand je me parle à moi-même, parce que je lis en anglais.

Et mon livre de voyage, celui qui me permet de tuer le temps quand je suis clouée sur un ferry pendant vingt-huit heures, c’est Outlander. J’avais commencé à regarder la série, et je me suis téléchargé tous les bouquins sur Kindle. J’aime les séries à lire, déjà parce que j’ai en tête d’en écrire une, donc je trouve ça hyper instructif sur le rythme de narration, la diversité des personnages et des actions, mais aussi parce que je lis vite (et que je saute pas mal de descriptions) donc j’ai pas vraiment le temps de m’attacher aux personnages sur un seul roman.

Pendant le trajet, j’ai fini la partie que je connaissais déjà, pour avoir vue les saisons 1 et 2 (presque finie !) de la série sur Netflix. J’adore le moment où j’arrive dans l’inconnu, déjà parce que ça me force à ralentir, et c’est comme un supplice : il y a plus de suspense, et je dois lire moins vite. C’est totalement contre intuitif. En plus, sur Kindle, je peux pas fouiner dans les pages comme j’aime le faire avec les livres papier. Je peux aller voir les titres des chapitres, et glaner quelques infos ça et là, mais c’est vraiment difficile de sauter d’une page à l’autre. Je suis obligée de suivre le fil, et je ne vois pas les pages diminuer à droite, à mesure que je les tourne d’un clic.

Kindle est à la fois la pire et la meilleure invention du monde, pour moi. Ça me permet d’avoir plusieurs livres commencés en même temps, et de zapper entre les moments de la journée, tout ça sans avoir à porter le poids des bouquins. Or c’est toujours en voyage que j’ai l’envie (et le temps !) de lire, donc si c’est pas sur Kindle, je ne lis pas entier. Et surtout, si c’est pas sur Kindle, je peux commencer par la fin, indisciplinée et terroriste de la lecture que je suis. Ça m’oblige à suivre le rythme, et si je saute des parties, je suis obligée de tourner page par page.

Je lisais Outlander, donc, mais j’avais un oeil sur la structure. C’est assez proche de ce que j’ai en tête, même si j’aimerais vraiment éviter qu’un seul personnage prenne le dessus de la narration, comme Claire. Pour le coup, je préfère le « zapping » à la Game of Thrones, même si j’ai pas encore trouvé de façon plus élégante de faire passer la main, que de brutalement intituler le chapitre du nom du protagoniste. Et j’ai détesté aussi le « roulement » des Dan Brown, où la narration passe d’un lieu à l’autre, presque mécaniquement, à tel point que ça en devient vraiment chiant.

Pour mon premier tome, le problème ne se pose pas trop. Mes trois protagonistes restent ensemble la plupart du temps, et j’ai besoin que le lecteur suive leur processus d’intégration et de découverte. Mais par la suite, je veux développer l’histoire plus largement, et je n’ai pas encore trouvé de technique qui me permette de le faire sans les redondances propres aux séries.

À lire tous les romans de Diana Gabaldon à la suite, je note ses répétitions, au début de chaque nouvel opus : rappeler qui sont les personnages, leurs relations, amener à nouveau les faits marquants de leurs histoires personnelles… C’est redondant pour qui s’enquille plusieurs volumes à la suite, mais c’est nécessaire pour le lecteur qui attendra plusieurs mois avant la parution du prochain roman.

J’aime bien le personnage de Claire. Trop maternante à mon goût, mais je crois bien que c’est le premier personnage féminin que je ne trouve pas « trop féminin ». Elle est féministe même pour son époque, alors au XVIIIème siècle, c’est un OVNI. Elle est intelligente et diplomate, loyale et bornée, elle réfléchit avant d’agir, elle est complexe et juste. C’est un « vrai » personnage.

Je crois que si j’arrive à raconter l’histoire de femmes aussi intéressantes que Claire dans Outlander, j’aurais pas perdu le temps investi à écrire tout ça.

J’ai lu Harry Potter en me disant : wow, c’est tellement bien écrit (en anglais). J’ai lu Hunger Games en me disant : hum, je peux faire mieux que ça. Twilight m’est tombé des mains avant la moitié du premier bouquin en me disant : je peux VRAIMENT faire mieux que ça.

Les extraits seuls de Fifty Shades of Grey m’ont fait soupirer : quand est-ce que je m’y mets ?

Outlander me fait dire : ok, y a du level. Je suis capable de matcher ça. Diana Gabaldon l’a écrit comme « practice novel ». Elle faisait un « test » pour écrire un roman historique. C’était pour s’amuser. C’est un peu la même chose, pour moi : j’ai commencé par défi envers moi-même, pour voir si j’étais capable de cracher sur le papier une de ces folles histoires que j’aime me raconter pour m’endormir, le soir.

Et puis, j’y ai mis mes angoisses et mes espoirs, tous les dilemmes qui me tourmentent, ces leçons que j’aimerais qu’on apprenne, ces tiraillements et ces débats qui animent les soirées, les repas, et qui me font questionner mon existence, encore, même lorsque le sujet de conversation change.

C’est parti comme un défi d’un mois, et maintenant, c’est un projet qui me fait peur, parce qu’il est presque fini, ou plutôt, il attend que je le finisse. Que je prenne mon courage à deux mains et mes exigences, que je termine les derniers chapitres écrits à la va-vite, pour me prouver que je pouvais poser un point final. Mais il faut désormais repasser sur le texte, partout, encore une fois, parce que les mailles du récit sont trop lâches par endroit.

J’aurais pu passer mon Dive Master n’importe où ailleurs. J’aurais pu d’ailleurs ne pas m’arrêter cinq semaines au même endroit, un camp posé sur une plage, sur une côte peu habitée du sud de Sulawesi. Mais c’est un test, pour moi. J’ai de quoi m’occuper pour ces cinq semaines, pensez-vous. Je vais suivre une formation de Dive Master. Sauf que la nuit tombe à dix-huit heures, et que je ne vais pas me coucher à sept heures tous les soirs. Qu’il n’y a RIEN ici, pas une télé, pas de wifi, pas d’autres activités…

Juste moi, une plage paradisiaque, des banquettes confortables qui lui font face… Et ce défi, qui m’attend depuis presque deux ans. J’ai commencé à écrire l’intrigue en août 2014. À la veille d’août 2016, je me pose la question, à moi-même : tu vas continuer longtemps à lire les séries des autres, avec cette certitude arrogante que « tu peux mieux faire », ou est-ce que tu vas te le prouver, une bonne fois pour toutes ?

Il ne reste que quelques milliers de mots, de ces descriptions pourtant nécessaires qui te font tant suer… Et la volonté de repasser sur ces textes déjà travaillés plusieurs fois…

J’aimerais repartir de Bira avec mon Dive Master, ce serait un super accomplissement, c’est sûr. Mais si je pouvais en repartir avec mon premier manuscrit, prêt à démarcher des éditeurs, ce serait un vrai défi relevé. Et la suite, qui me brûle les doigts, et qui n’attend que mon temps et ma volonté pour glisser sur le clavier…

— Vendredi, 29 juillet

D. 19 Days borrowed away from eternity

I wish I could waste a lifetime of getting carried away to an unknown destination. We were off schedule by a day, and I was most likely going east only to fly back to my starting point. There was nothing more I could see before returning to Labuan Bajo, yet I continued on, just for the sake of moving forward, in great company.

I still have etched on my face the glorious smile of our early morning ride from Denge, back to Ruteng. I had felt a world away from where I had started, as if I had switched to a completely different trip.

So today, we didn’t do anything. We got off a car shooting too fast through the road, in the hand of a careless, dangerous driver. We settled in a medium hotel, and chilled around our cheap, bare rooms, for a highly needed nap. Rian continued on to Ende, but the girls, Magnus and I stopped in Bajawa for the evening.

We took care of our future travelling arrangements, and set out to find a restaurant for dinner, which turned out to prove quite a challenge, since nothing vegetarian seemed to be on the menu in each wahrung we tried.

This day got me thinking about time and value. I had been thinking about the relations between price, cost and value, but time is also valuable, yet highly difficult to praise. What’s the value of a minute? I’ve got plenty on my hands, on a daily basis. But if I’m short one after my boarding time, here goes the price of a plane ticket.

My time in indonesian is very precious. It’s not like I can come back any day, I would need time and money, and I’ve got neither of those things in unlimited quantity. But what would be the point of running to the next sight, rushing to check out boxes on the must-see tour of Florès?

There was plenty to see around Bajawa, but I was in no mood to do anything. Just chilling with my new friends was more than enough to make this day memorable.

This is what I love most about travelling. It’s not the places you go to, or the things you see, it’s the people you meet, the experiences you have, and how it makes you feel.

I never thought myself capable of living out of backpack for more than five days, yet this is already the 19th of my trip. I never thought myself capable to go without hot water, modern showers, or even familiar foods.

I was the kind of person who needed to know beforehand the complete route and schedule of a bus before deciding on a mean of transportation. Was. I like how a slow day like this one makes me realise how much I’ve already changed, so early on in this trip.

Because it is still quite early in this trip. I’m barely getting started.

— Tuesday, July 26th

D. 13 Force of habit

J’avais jamais remarqué à quelle vitesse les habitudes s’installent. Un jour nouveau, plus de structure, et il n’en faut qu’un deuxième au même endroit, dans les mêmes conditions, pour que déjà, des mécanismes apparaissent. Les prémices des habitudes ne sont autres que des rudiments de confort : ce sont des graines plantées sur la terre brûlée, qui en germant, installeront un environnement de sécurité. Plus le temps passe, et plus leurs racines sont profondes. Plus il devient difficile de s’en détacher.

Jusqu’à ce qu’un feu ravage tout, et que l’on se retrouve à nu.

Un jour, deux jours, six jours et ces manies du quotidien sont revenues, plus coriaces que la mauvaise graine. Elles pousseraient n’importe où, même sur le pont d’un navire violemment balloté par la houle. J’ai passé sept jours sur le Lambo, et c’était déjà un de trop, sur la fin. Le sixième jour était trop confortable pour me surprendre. Au septième, je n’ai même pas pris la peine de monter sur le sundeck pour admirer le coucher du soleil.

Force of habit. Parce que des habitudes nait la routine, et de la routine nait l’ennui. Sans que je ne m’en rende compte, mes habitudes parisiennes étaient devenues une camisole de force, qui m’immobilisait. « Pas le temps » pour ci ou ça, vous comprenez, je dois d’abord faire toutes ces tâches dont certaines finissent davantage par relever du rituel que d’une quelconque recherche de productivité.

Les habitudes m’étouffent bien plus qu’elles ne me soulagent. Je m’en fous, finalement, de ne pas savoir où je vais dormir la nuit prochaine. Je trouve bien plus anxiogène le prospect de connaître avec certitude le déroulé des 365 jours à venir. Manger à heures fixes plutôt que selon mon appétit, dormir un « quota » quotidien plutôt que selon mes besoins, faire du sport en salle comme un hamster en cage, pour éliminer le surplus des calories ingurgitées lors de repas trop riches et trop nombreux pour une vie trop sédentaire… Quelle angoisse !

Il m’aura fallu cinq jours en mer et pas moins de dix jours à des années lumières de ma zone de confort pour me rendre compte qu’une importante partie de l’ennuie qui m’étouffe inexorablement provient de mes propres habitudes. De moi-même, donc. Parce que je ne pensais vraiment pas réussir à m’ennuyer au bout du monde.

Mais les habitudes poussent toujours aussi vite sous les tropiques.

Le chef de croisière avait ses habitudes, à Labuan Bajo. Apéro au « Pirate », depuis un rooftop certes très classe, mais au standing et aux prix très européens : pas du tout le genre d’établissement dans lequel j’aime dépenser mes dollars en voyage. Puis, dîner dans un resto italien, supposément le meilleur de la ville (ce qui ne devrait pas être trop difficile, vu la taille de l’agglomération et le peu d’appétence des locaux pour la pizza). Là encore, mon coeur ne se serait pas tourné vers un choix entre pasta et pizza, pour ma première soirée sur l’île de Florès. Fussent-elles les meilleures de l’île.

Mais j’avoue que c’est étrange de dîner dans une terrasse couverte abondamment ventilé (avec un four à pizza par 30°C, aussi…), de déguster des plats parfaitement européens (c’est un vrai Italien qui dirige la maison), le tout pour une addition de… 7€, pour ma part : une pizza végétarienne sans fromage et un jus de citron.

Et puis, sans nous demander notre avis, il nous a embarqué pour « Le Paradise », un autre bar avec vue, où des musiciens se succédaient sur l’estrade.

On n’aurait pas pu lui faire entendre qu’on préférait aller flâner au marché aux poissons, ou dîner dans un boui-boui où la carte n’est pas traduite en anglais — profitant de sa présence à nos côtés pour appréhender cette situation légèrement périlleuse ! Mais non, il avait sa pizza en tête depuis le début du voyage, il nous en avait parlé dès le premier jour.

C’est marrant, de voir un grand baroudeur aussi englué dans ses habitudes. T’as beau parcourir les sept mers, quand t’arrives au port, tu ne te poses pas de questions.

Je vais mettre à profit les jours à venir pour faire le tri dans mes habitudes. Je vais faire l’inventaire de mes manies, de mes rituels, définir les bases de mon confort et les limites du luxe. Et je serai attentive, dès la rentrée, à ne pas laisser ces graines dégénérer en forêt vierge, me faire clouer sur place par un lierre de petites contraintes fondues dans une sensation de familier.

Cet été, je laisse mon quotidien en jachère. Avec la ferme intention d’y faire pousser des merveilles dès la rentrée.

— Mercredi 20 juillet

D. 11 L’île aux chauve-souris

J’avais jamais vu autant de chauve-souris de ma vie, surtout pas d’aussi grosses ! On aurait dit des poulets volants.

On était là, posé•es sur le pont supérieur du Lambo, à admirer le coucher du soleil — encore un, quelque peu étouffé par les nuages moutonnants, au-dessus des monts coniques de Komodo. Devant nous, au premier plan, un îlot marécageux recouvert de jungle émet des couinements inquiétants.

Dès les derniers rayons absorbés par la terre, au moment où le ciel laisse déteindre ses derniers éclats de roses en bleu, elles ont commencé à sortir de la jungle, en une nuée lente et gracieuse. Elles passaient au-dessus de nous, à quelques mètres de nos têtes — elles étaient énormes !

Le spectacle a duré une quinzaine de minutes, et je ne saurais le décrire. J’ai commencé par m’exclamer toutes les trente secondes, pour finir le souffle coupé. Les chauve-souris de Komodo partent chasser, elles reviendront se coucher dans ces marécages feuillus avant l’aube.

Ce soir, les nuages ont étouffé la lune, presque pleine, qui m’éblouissait il y a quelques minutes encore.

Ce matin, lorsque j’ai ouvert les yeux, j’ai été surprise de me trouver là, sur le pont intermédiaire d’un navire en bois, qui grince doucement à chaque mouvement d’eau sous sa coque. Un vent déjà chaud me chatouillait les orteils, tout doucement. Suffisamment doux pour avoir laissé les paravents rangés avant de nous coucher. Alors ce matin, rien n’obstruait la vue, au réveil.

La lagune où nous avions mouillé pour la nuit prenait progressivement sa couleur insolente, et à l’horizon, le vert saisissant des collines volcaniques de l’archipel de Komodo contrastait avec le ciel bleu tissé de soie blanche.

J’avais toujours mal à l’oreille, mais ce matin, j’ai éclaté de rire. Bordel. Je crois que c’est le réveil le plus incroyable de ma vie.

J’ai occupé une partie de ma journée à lire le Lonely Planet sur Java, où se trouvent plusieurs volcans qui me font clairement de l’oeil. Si ma prochaine visite chez un médecin se conclut par une interdiction de plonger (ou qu’on me le déconseille) pendant plusieurs semaines, je change de plans. Je largue les palmes et le shorty, et je prends un avion pour Jakarta.

De là, je vais tenter de vivre quelques jours chez l’habitant (un programme d’échange culturel sympathique trouvé dans le guide), et je consacre le mois prochain à faire la tournée des volcans.

On a connu pire plan B.
🙂

— Lundi 18 juillet

D 10. We’ve been through worse times

On va pas se mentir, aujourd’hui, c’était dur. C’était dur, parce que j’ai réalisé que je n’allais plus pouvoir plonger jusqu’à la fin de la croisière. On arrivait sur les plus beaux sites de plongée du monde, et j’étais incapable de mettre la tête sous l’eau.

La veille encore, l’oreille bien rêche, je nourrissais l’espoir de sentir mon tympan se détendre en l’espace de 24-48h. Mais aujourd’hui, il fallait pourtant bien accepter l’évidence. Je n’entends plus rien du côté gauche, le moindre bâillement me déclenche une décharge électrique dans la mâchoire, et sans anti-inflammatoires, la douleur me fend le crâne en deux.

Le meilleur scénario que je puisse espérer de cette situation, c’est de m’en sortir sans infection, sans séquelles, avec une récupération de moins de 2 semaines au sec. C’est pas « au mieux, je peux replonger demain », c’est « au mieux, je vais pouvoir replonger avant la fin de mon séjour en Indonésie ».

Et ça sur le coup, ça pique un peu. J’ai laissé la déception me tomber dans la gorge, puis j’ai relevé la tête, et j’ai vu où j’étais. Dans le parc de Komodo, une merveille de la nature. J’ai pris l’habitude d’attendre le coucher du soleil sur le pont supérieur du Lambo, et le spectacle ne déçoit jamais.

Certes, je ne peux plus mettre la tête sous l’eau, mais le spectacle à la surface m’en fout plein la vue à toutes les heures de la journée, et particulièrement au crépuscule.

Tout bien réfléchi, on a connu pire endroit pour se payer une otite. On a connu pires circonstances, vraiment.

Les requins de Komodo m’attendront. À chaque plongée, mes compagnons de voyage en aperçoivent une flopée, à quelques mètres d’eux. C’est le spot, c’est écrit dans les guides. Donc je reviendrai, et ils seront toujours là.

Je suis un peu venue ici avec une idée fixe, celle de plonger, plonger, plonger, plonger, mais au final, j’en aurais presque oublié de lever les yeux du guidon pour apprécier tout ce qui m’entoure.

J’ai mis à profit les jours passés sur le bateau à apprendre des rudiments d’indonésien (déjà incollable sur les nombres, eh ouais), à lire l’histoire du pays et les guides de voyage qui me tombent sous les mains.

Tout compte fait, il n’y a pas que la plongée qui vaut le détour, dans le coin. Je fais bien de m’en rappeler.

— Dimanche 17 juillet

D 7. Mon premier requin <3

Pourquoi a-t-on si peur des requins ? C’est eux qui ont peur de nous.

J’ai arrêté d’écrire mon journal pour plusieurs raisons. La première est essentiellement pragmatique : embarquée sur un bateau, je me suis retrouvée dans l’incapacité de me tenir en position assise, devant un écran, à taper des trucs. J’ai passé la première nuit allongée, et la deuxième nuit aussi, mais sans le contenu de mon estomac cette fois-ci.

Autant dire qu’étaler mes états d’âme était loin de mes priorités, j’étais trop occupée à tenter de ne pas étaler mes tripes un peu partout sur notre vaisseau.

Et puis surtout, jeudi 14 juillet, lorsque nous avons traversé une zone de réception 3G, il y a eu ces messages incompréhensibles, ces tweets étranges, ces conversations communes dont j’avais perdu le fil, vraisemblablement, et ce SMS cryptique de mon père, qui contenait finalement la clé :

« Tu as vu l’actu ? Nice ? »

Le fait que j’ai immédiatement pensé à un attentat en dit long sur le conditionnement de la terreur subi depuis janvier 2015. Encore un attentat, donc. Encore des morts, provoqués délibérément, dans le but de faire mal, de choquer, de faire peur, de faire souffrir, de faire pleurer.

Jeudi 14 juillet, au soir, j’avais l’oreille gauche en feu, ça voulait dire plus de plongée jusqu’à ce que la douleur disparaisse complètement, on va pas risquer de se perforer un tympan dès le deuxième jour de la croisière, ce serait vraiment con, et irresponsable.

Mais ce soir-là, au final, c’était pas grave. C’est quoi, une otite sous les tropiques, quand à six heures de décalage horaire, mes ami•es, mes collègues, mes concitoyen•nes, nous pleurons encore des morts, des morts injustes, des morts absurdes, des morts insupportables de violence et d’inutilité.

Bref. J’ai cinq jours de journal à rattraper… Et je vais doubler mes planches dès mon retour sur la terre ferme : une le matin, une le soir avant la douche.

Jeudi 14 juillet 2016, j’ai vu mon premier requin, et fait ma 70ème plongée. Mais tout ceci a été rendu anecdotique par une tragédie qui me dépasse.

— Jeudi 14 juillet