D. 33 Giving back is the greatest reward of all

Today was my first time diving with complete beginners. This German couple wanted to try diving, and what better place to do it than this remote backpackers’ camp, run by girls?!

I had spent quite some time with Andy (the guy), to share the tales of my first experience as a diver. I told him about my dread of going underwater, my panic attack on the boat, and about the adrenaline rush. I went on, telling my own diver’s story, and how much I had learned since then.

A day went by, and this morning, I found out that he and Frida had signed up to go on their very first dive with us. So I spent most of breakfast again with them, this time getting a bit more technical, and explaining the ear-equalising manoeuvre. I was careful not to overload them with information, merely taking a cue from their questions.

Frida was really tense, I could tell. So before we went for the dive, I told the Instructor about it. She took Frida with her to go down, and I stayed by Andy’s side. He barely had any trouble equalising, so we reached the bottom first.

We waited for Frida and Hannah to make it down as well. Then Hannah had them do the skills required before we could go on and do some exploring.

I stayed by Frida’s side the whole time, gesturing her to keep equalising as we went a bit deeper. I spotted a whip Ray half-buried in the sand, and signaled it to Hannah, who showed it to our buddies.

Andy got into some trouble keeping stabilised, which is perfectly normal for a beginner. But none of them encountered any major problem, and I kept checking with them all the way.

Hannah even discovered a baby shark and a blue spotted ray hanging out under a coral leaf, so I’d definitely call this very first dive a major treat.

We resurfaced, and though Frida seemed thoroughly relieved to be breathing above water (I inflated her BCD for her when she broke the surface), Andy was openly and vocally delighted.

Later than afternoon, I was walking towards my bungalow after having rinsed off and put away our gear. Frida was coming down, and as she saw me, she said:

« Thank you so much for this great experience! »

I could tell that it was sincere, because it felt great to hear.

Later still, I was cleaning my sunglasses by the restaurant, when Andy came along:

« Thank you so much for this afternoon, we are really grateful that you were with us, Frida felt so much better having you by her side all the time.

It was really amazing! You were so calm, it was so reassuring. And thank you so much for all the talks we had, I really hope you become an Instructor! And you should have a diving blog or something! »

Way ahead of you pal, way ahead of you… So « The Dive Never Ends » doesn’t have its first post up yet, but it already has a reader.

I’ve done it: I’ve shared my passion with someone else. Through words, conversation, I managed to convey that deep love for diving to another person. I even managed to break through the fear and apprehension building up to that very first dive.

Giving back feels amazing. It is the greatest reward of all. But in scuba diving, I can only do this for one person at a time.

By writing & working for a website, I can do it for hundreds, thousands of readers at a time. Granted, I don’t get an individual feedback, not every day. But I know. I know what I can do, what it means, even if there is no effective reward at the end of the day.

Giving back is the greatest reward. And I don’t need a pat in the back to know that I’ve done my job right. Yet every time I do, it’s always a surprise. That’s because I never take that reward for granted, I guess.

D. 31 Time is of the essence

De toutes les forces et les pressions qui s’exercent sur moi, dans ma vie, le temps est celle que j’ai le plus de mal à comprendre.

Le temps est à la fois relatif et absolu. Absolu, parce qu’il est impossible d’altérer son cours, universel et constant. Relatif, parce qu’une « minute micro-ondes » est infiniment plus longue que celle qui précède la fermeture des portes avant le départ du train, et s’évapore en une seconde. Une journée de travail dure moins longtemps qu’une heure de cours soporifique, elle-même insolemment plus courte qu’une semaine de vacances.

La relativité du temps est ce qui m’autorise à croire qu’il faut l’économiser, le rentabiliser, parfois même le perdre.

Le temps nous est conté

Je compte les jours en écrivant ce journal, pour avoir une idée du temps qui passe, mais aussi pour éviter qu’il ne m’échappe et me surprenne, la veille de mon départ, à me demander où est-ce qu’il a filé.

On dit que le temps, c’est de l’argent, mais c’est pas tout à fait vrai : le temps, c’est une monnaie dont le cours est extrêmement volatile (cf sa relativité…) Parfois huit heures de sommeil vaudraient tout l’or du monde, parfois j’aurais vendu mon âme contre une minute d’avance sur le quai de la gare.

C’est une monnaie, parce qu’on peut en faire bien des choses, mais il n’a que la valeur qu’on lui donne, et celle qu’on lui reconnaît.

Le temps de 12 litres à 200 bars

Le temps, sous l’eau, c’est une aiguille qui glisse vers la gauche. Elle commence à 200 bars, et à mesure que je respire, elle descend sur le cadran. À mi-chemin, elle m’intime d’entamer mon retour. À 50 bars, la sortie est impérative.

Je regarde défiler les minutes sur l’ordinateur, mais c’est ma respiration qui mesure en réalité le temps qui passe.

Je crois que c’est pareil, à la surface. Le seul temps qui compte vraiment, c’est celui qui me reste à respirer sans entrave. Sauf qu’il n’y a pas de manomètre pour m’indiquer si j’ai de la marge devant moi, et combien… Si ça vaut le coup de s’attarder les yeux dans le bleu, à attendre que quelque chose se passe, ou si j’ai plutôt intérêt à continuer ma route, à chercher moi-même un lieu remarquable.

On fait l’erreur de croire qu’il n’y a que sous l’eau que notre temps est compté, mais c’est faux. Juste parce que le temps n’est pas mesuré, ça ne veut pas dire qu’il est infini.

Temps que je respire…

Sous l’eau, j’ai un excellent management du temps. Je garde un oeil attentif sur le manomètre, juste au cas où un mouvement excessif de l’aiguille indiquerait un problème.

Sinon, je connais mon rythme de respiration, je sais qu’il s’accélère en cas d’effort, je sais que mon volume d’inspiration augmente proportionnellement à la pression… Plus je descends au fond des choses, et plus le temps passe vite.

Mais ce n’est qu’un oeil que je dédie à cette surveillance. L’autre est ouvert, alerte, et m’immerge dans mon environnement. J’ai vu des merveilles sous l’eau, des bestiaux trois fois mon envergure les ailes déployées, des torpilles souples et agiles, aux dents acérés. Des bolides argentés, des arcs-en-ciel en dissolution, des feux d’artifice en slow motion, des monstres légendaires aux gueules fantastiques… Tout ça, dans le temps imparti.

Respirer l’air du temps

Je vais arrêter de vivre contre la montre, comme si chaque jour était une course qu’il fallait que je termine en tête. J’ai pas de record de vitesse à battre, et si le temps est une monnaie, on peut pas le mettre en banque. J’ai rien à gagner à le mettre de côté, ni à gratter des secondes comme si c’était des pièces. Le genre dont on finit souvent par se débarrasser, en plus.

Le temps n’est ni une contrainte ni un allié, c’est juste l’unité de mesure de l’existence, de la dimension dans laquelle j’évolue. Je garde un oeil sur la montre pour ne pas me perdre dans l’infini, ne pas laisser le temps filer, ni attendre que la vie commence.

Un nouveau cap, quelques coups de palmes, et c’est parti. Parfois les courants m’entraînent, parfois je suivrai mes propres envies. On verra où ça nous mène. Il n’y a pas de demi-tour prévu au programme, et je ne risque pas de manquer la sortie, elle s’imposera certainement à moi.

Entre temps, il sera toujours temps de faire ce dont j’ai envie, à condition de ne pas attendre « que ce soit le (bon ?) moment ». « Le bon moment » n’existe pas, c’est moi qui le décide.

Et j’ai décidé que compte tenu de mes paramètres, j’avais amplement le temps de respirer, avant de replonger dans la vie parisienne.

D. 30 Thirty day sober

Je me suis noyée dans le ciel, au crépuscule. Dix-huit heures et des poussières, comme celles de corail blanc qui donnent au sable clair ses reflets de nacre.

On voit bien que la Terre est ronde quand on s’allonge à ses frontières, le corps et les yeux offerts à l’infini qui l’enveloppe.

Des traînées de nuages perlaient vers le couchant, filées de soie rose. À l’Est, un velours sombre bordait l’horizon. La lune est redevenue un croissant horizontal, comme au deuxième jour, un sourire de chat fou qui réfléchit le mien.

Trentième jour. La moitié seulement, la moitié déjà, j’en sais trop rien et ça n’a pas d’importance aujourd’hui. Parce qu’aujourd’hui : trentième jour… de sobriété.

Ma vie sans alcool est beaucoup plus simple à bien des niveaux. Financièrement, pour commencer. Mais à tant d’autres.

Ma grande peur, c’était de perdre une source d’inspiration. Mes meilleurs écrits (de mon point de vue), je les ai crachés après un, voire plusieurs verres. La lettre à mes parents, ma crise d’adolescence, mes lettres ouvertes, mon roman, les bonnes parties de l’autre aussi… Tout ce qui vient du coeur et des tripes, je suis allée le chercher au tire-bouchon.

La pression sociale, le goût, la convivialité, tout ça, je les ai dépassés avec le véganisme, j’aurais pu les dépasser avec l’alcool. Mais si en rebouchant la bouteille, je rebouche aussi le stylo, si je perds le moyen de connecter mes émotions à ma plume… Je ne peux pas. Je ne peux pas faire ça.

Alors, ça donne quoi, trente jours sans alcool ? J’ai écrit tous les jours. Parfois plusieurs textes, très différents. Et je n’ai pas l’impression d’avoir râpé la feuille avec mon sang pour trouver de l’authenticité. Oui c’est plus dur de déterrer mes émotions sans un peu de houblon pour huiler le passage. C’est plus dur, au début. Et puis, on s’habitue.

C’est toujours le même principe, le même processus : arrêter de se faire violence. Avant, je me mettais un coup dans le nez pour faire sortir des trucs, là, maintenant, extraire la matière brute en forçant.

Maintenant, je fais remonter à la surface progressivement, j’amène par la pensée consciente les matériaux que je veux travailler.

Le processus est doux, le résultat l’est aussi, plus subtil. Il y a moins de colère dans le solvant, il y a moins d’impatience dans l’extract et moins d’angoisses dans le résidu. C’est déjà fluide, raffiné.

J’ai les idées claires, tout le temps. Ça marche parce que je suis aussi plus indulgente, en général, je lâche prise avec mon corps et mon esprit quand je fatigue. Plus besoin de me faucher d’une cuite un peu provoquée, pour me forcer à glander pendant 24 heures. J’ai pas besoin d’une gueule de bois pour passer une journée-gueule de bois.

J’ai les idées claires le matin au réveil, le soir au coucher, et ça me faisait peur. J’avais peur de les laisser couler en permanence, qu’elles prennent feu et me tiennent éveillée. Je les noyais dans l’alcool pour griper les rouages et taire les dialogues. Après trois verres, y en a plus qu’une qui parle, les autres se taisent.

Mais quand j’ai les idées claires tout le temps, j’ai aussi la force et l’énergie de demander le silence, de classer les choses par ordre d’importance et par thèmes, j’ai toujours l’équilibre alors je suis les mouvements où ils m’entraînent en permanence… J’avais peur d’être noyée dans la foule, mais je suis le chef d’orchestre, en fait.

Je crois que j’avais peur de m’affronter, et que j’avais besoin, parfois, d’une excuse pour perdre un contrôle que j’avais tant de mal à imposer, tant de mal à céder. C’était une soupape de décompression, c’est pour ça que les émotions fusaient aussi vite, aussi fortes, il suffisait de me mettre devant un clavier, tu m’étonnes que les mots viennent tout seuls, dommage que je tape aussi lentement quand j’ai trois grammes dans le sang…

Avant, quand je me relisais le lendemain matin, je rajoutais un mot sur trois et je corrigeais les fautes. Maintenant, je rectifie trois coquilles et je fais la mise en page.

Le seul obstacle entre mon clavier et mes émotions, c’est moi. Le chemin le plus direct entre mes textes et mes émotions, c’est aussi moi.

Trente jours. Je ne serai pas sobre à vie, j’en ai pas envie, et j’en ai pas besoin. Ça y est, je me suis prouvé que je n’ai pas besoin d’alcool pour écrire.

Je me suis noyée dans le ciel, ce soir. Et je me suis rappelée de mes plus belles ivresses. Toutes avaient en commun d’avoir été vécues à jeun.

Note to self: ça va être chaud de traduire ça en mode « grande soeur » mais I’ll give it my best shot…

21h06 : ptin j’ai pas commencé ma note du jour, je sais pas comment la prendre, elle est importante celle-là, et si « elle me vient pas » ? :/ 

21h26 : *clics « Publier »* 

Non seulement j’écris plus vite, mais en plus y a moins de fautes. ZBHRLÀ.

 

D. 28 Need for Speed

Ça va mieux. J’ai toujours la crève, mais j’ai l’esprit beaucoup moins embrouillé. C’est très paradoxal, mais du coup, j’ai eu beaucoup plus de mal à maintenir ma concentration sur la lecture de mon manuel de plongée, aujourd’hui.

Hier, je tournais au ralentit. J’avais qu’un seul « canal » ouvert, il suffisait de lire et de ne pas bouger pour que mon esprit, aussi embrumé qu’il était, imprime néanmoins l’essence de ma lecture en mémoire.

Mais aujourd’hui, la moindre phrase me lançait dans une fourche. Mes yeux lisaient déjà le paragraphe suivant, tandis que mon cerveau déroulait des fils dans tous les sens. Je devais mobiliser de l’énergie à me concentrer activement sur ma lecture, pour ne pas réfléchir d’un lobe aux différents scénarios pratiques que j’étais susceptible de rencontrer, à la lecture théorique en cours par l’autre lobe.

C’est une des raisons qui fait que je m’épuise toute seule, je crois bien. Je cours sans arrêt après mon esprit, au lieu d’investir de l’énergie à me ralentir quand c’est nécessaire. Rien ne va jamais assez vite, je ne parle pas assez vite, les autres ne répondent pas assez vite, les conversations ne vont pas assez vite, la lecture ne va pas assez vite, pas assez droit au but, pas assez à l’essentiel.

Je m’épuise à courir en me plaignant que c’est la faute du reste du monde si l’essence des choses est enfouie derrière tant de pertes de temps. Mais c’est de ma faute, je crée et je nourrie au moins autant de « bruits » parasites que ceux qui me fatiguent. Moi non plus, je ne vais pas à l’essentiel dans mes propres pensées.

Pourquoi je m’inflige la lecture extensive de tout un bouquin dont je connais déjà 70% du contenu, et dont le « test de connaissance » sera un QCM ? Pourquoi je ne saute pas l’étape « lire le bouquin comme on me l’a demandé », et que je n’attaque pas le problème exactement comme je devrais, c’est-à-dire en procédant à l’extraction de son essence :

– lire le sommaire
– identifier les notions clés
– passer sur chaque chapitre en diagonale et noter la notion-clé de chaque sous-section
– repasser sur le sommaire pour vérifier que je connais désormais la notion-clé de chaque titre
– croiser avec les tests de fin de chapitre pour vérifier que j’ai pas zappé une question utile à l’examen.

Le syndrome de la bonne élève

Pourquoi je fais pas ça, pourquoi je prends pas « le raccourci efficace » mais que je passe par la route principale ? Parce qu’on me l’a demandé. C’est le syndrome de la bonne élève, n’est-ce pas. Il faut suivre la consigne, suivre la méthode donnée par le prof. C’est une obligation de moyens ET de résultats. Mais se plier à l’obligation de moyens est une assurance de résultat : si je me plante, je pourrais me justifier « pourtant, j’ai bien lu le bouquin ! »

Si j’en fais qu’à ma tête et que j’échoue, j’ai pas d’excuse. C’était comme ça, à l’école.

Sauf qu’on n’est plus à l’école, et qu’au fond, il n’y a toujours eu que le résultat qui comptait. Et la méthode, elle ne me convient pas. J’emprunte une route qui me mène dans le mur, parce que les informations ne sont pas « rangées » correctement, et que le test (un QCM) me les demande de façon illogique.

Je sais expliquer toute la théorie de la plongée, mais je peux me planter dans un texte à trou, si « la » bonne réponse est celle qui est donnée dans le livre. Trouver un mot qui manque, c’est con, expliquer un concept, c’est compliqué. Résultat.

Je me comprends.

Faut vraiment que j’arrête de faire ça. La bonne élève. À qui je vais faire signer mon bulletin ? C’est mon temps que je perds, et mes nerfs que j’épuise à faire ce qu’on me demande au lieu de réussir ce qui est attendu.

Je dois assimiler un manuel de 250 pages. Pour la plupart des gens, ça passe par le lire. Et pour moi, ça passe par un autre chemin.

Au lieu de passer mon temps à pester que ça va pas assez vite, j’ai qu’à m’engager dans les raccourcis, et arrêter d’avoir peur de me faire engueuler si on me chope à traîner loin des rues principales.

Je me comprends.

J’aurais pu intituler ce billet « Fuck You Hermione Granger », mais ça aurait été de la mauvaise foi. Même Hermione a compris qu’elle avait le droit de tracer sa propre route quand il n’y avait pas de voie assez efficace pour atteindre ses objectifs.

D. 25 À l’équilibre

Comment je le saurais, si j’étais heureuse ? On court tous après le bonheur, mais ça m’épuise. Je sais que le bonheur n’est pas un endroit, c’est un moment, un mouvement dans le temps. C’est forcément éphémère, et je le trouve souvent davantage dans sa recherche. L’atteindre, c’est un peu la cerise sur le gâteau, c’est la récompense, comme un orgasme, bref et intense, sitôt consommé sitôt éteint.

La recherche du bonheur, pour moi, a toujours été une course en avant. Si je m’arrête je tombe, je m’ennuie, je perds l’intérêt pour ce qui m’entoure, alors il faut toujours que ça change, aller ailleurs, rencontrer d’autres gens, vivre de nouvelles histoires, plus loin, forcément.

Parce que c’est plus facile de garder l’équilibre quand on est toujours en mouvement. Parce que le reste du monde bouge, alors si je m’arrête, forcément, je perds l’équilibre précaire que je peine à trouver, à chaque fois que j’arrache un moment de bonheur au chaos du quotidien.

Pourtant, c’est possible de trouver l’équilibre en restant sur place. C’est plus difficile, c’est sûr, il faut de l’entraînement, je pense, de la patience et de la persévérance, sans doute, et un certain talent d’équilibriste, peut-être. Je cherche.

C’est toujours une première fois

À chaque fois que j’arrête de plonger, je me demande pourquoi j’y retourne. Ok, c’est cool, mais regardons la réalité en face : le matos pèse une tonne et demi, y a-t-il pire vêtement au monde que la combinaison en Néoprène, je pose la question ? Pourquoi tu t’infliges le bateau, toi qui as le mal de mer à dégueuler tes tripes même au bout de cinq minutes de houle gentillette ?

Dans quelques minutes, la crème solaire qui colle à ma sueur va me brûler les yeux, quand l’eau salée la fera couler dans mes sourcils. Mais c’est ça où je finis le pif brûlé au troisième degré. On arrive sur site, y a de la houle, on s’équipe, putain mais c’est vraiment lourd et en plus je me rajoute du plomb, la ceinture me lacère le bide et ho bordel, si on n’y va pas bientôt je vais VRAIMENT vomir. Dernières vérifications, je vois pas ce que je fais, cette veste m’étouffe, les lanières m’étranglent, je teste le détendeur, l’air est dégueulasse, il m’assèche la gorge et me chatouille les bronches, pire que la fumée des clopes sur les terrasses parisiennes.

3…2…1…GO

Je me jette en arrière et j’expire au moment où la bouteille perce l’eau. Elle est chaude mais la première sensation est fraîche, en contraste avec l’extérieur. On s’immerge. Une inspiration. Deux inspirations. L’air n’est plus aussi sec, curieusement. Mes yeux papillonnent à cause du sel, mais j’ai rincé la crème alors dans quelques secondes, ce sera bon.

Je souffle pour équilibrer la pression sur mes tympans, à mesure que la gravité et la poussée d’Archimède se disputent mon corps. La gravité l’emporte, parce que je l’aide. Archimède aura le dessus à la fin de la plongée.

Mais en attendant, je suis à l’équilibre. Je ne bouge plus. Je flotte, en suspension dans le bleu. Partout du bleu, tout autour de moi, et des myriades de poissons en proie au même enchantement. Ils restent immobiles, ou dansent au gré des courants.

À chaque fois j’oublie, et à chaque fois, ça me revient : c’est pour ça que je m’inflige tout ça. Sous l’eau, le Néoprène me tient chaud à la poitrine.

C’est ça, l’équilibre

Ça m’a pris comme le jour de mon baptême : la réalisation s’est imposée comme une évidence. C’est ça, l’équilibre. C’est ce mélange de contraintes et de kiff. Effectivement, c’est pas un endroit, c’est pas un lieu précis qui me permettrait d’être heureuse. Je suis capable de me lasser de cette plage paradisiaque plus vite encore que je me suis lassée de Paris. Certainement beaucoup plus vite, d’ailleurs, vu les opportunités de rencontres extrêmement limitées.

Excentrée, recentrée

J’ai trouvé l’équilibre, j’en ai la conviction, parce que ça a été un processus. D’abord, m’extraire de mon quotidien, m’arracher à ma zone de confort, pour pouvoir m’observer « à nu », en dehors de tout ce qui me conditionne, d’une manière ou d’une autre.

J’ai trouvé l’équilibre assez rapidement dans cet environnement.

Ensuite, me réconcilier avec mon corps. Apprendre à écouter son langage, moi qui ai tant l’habitude d’ignorer ses suppliques, ne réagissant qu’aux ultimes sommations, souvent lorsqu’il est déjà trop tard, et qu’une fatigue est devenue une maladie.

J’ai l’impression d’avoir maltraité ma monture, donnant sans cesse des coups de talons dans la belle bête qui m’a portée si loin. Après trois semaines passées à n’avoir pas d’autre choix que de m’écouter moi-même (douloureusement consciente qu’une aide médicale pourrait être difficile à trouver, et donc bien plus prudente quant à ma traditionnelle technique du « au pire si ça dégénère, j’irais voir un médecin »), ça y est, j’ai la sensation profonde d’avoir fait la paix avec « mon cheval ». Ouais, c’est un cheval, mon corps. Il est beau et puissant, et il peut me tuer si je le maltraite.

Enfin, il y a eu ces réflexions sur le confort et les habitudes. Et cette confirmation, que mon bonheur n’est pas dans la possession, de quoi ou qui que ce soit.

Alors, il ne restait que l’intensité. Vais-je rester cette espèce de junkie, accroc au rush d’adrénaline que me provoque toujours la recherche de la prochaine aventure ? Est-ce que je vais me condamner à toujours fuir en avant, me déraciner sans cesse pour retrouver toujours l’euphorie des premiers instants ?

Non. J’ai trouvé l’équilibre. Entre l’envie de rester et le besoin de partir, entre mes aspirations de voyages et mes ambitions de création, entre mes passions… Avec tout ce qu’elles impliquent de contraintes, de stress, de fatigue… Que je me sens désormais prête à affronter, sans risquer de me noyer.

J’ai la sensation de voir le monde différemment, ce soir. Non plus comme un labyrinthe, qui m’interroge à chaque carrefour, mais comme un océan, sur lequel je peux filer droit — en équilibre à sa surface, à charge pour moi de mettre la tête sous l’eau de temps à autres, pour explorer ses trésors.

Ce ne sera pas facile, mais la facilité a toujours suscité chez moi autant de méfiance que d’ennui. Et j’aurai sans doute parfois le mal de mer, je l’accepte. Mais je n’ai plus peur de jeter l’ancre et de rester au mouillage pendant un temps. Je saurai garder l’équilibre, même par gros temps.

Paris, je pourrais rentrer demain, et j’y serais bien. Mais il me reste 31 et 3 jours sous ce tropique, et autant de crépuscules à 18h. De quoi ancrer dans ma mémoire la chaleur de ces soirs, et la tiédeur du sable blanc entre mes orteils. La couleur de l’eau à l’aube et au zénith, la majesté des requins qui infestent les profondeurs, le goût du sel et du gingembre, l’odeur de la mer chaude et des feuilles sèches.

J’ai commencé la méditation. Sans grand succès aujourd’hui, je pense que ça demande de l’entraînement, ça aussi. Mais j’ai la bonne base. De quoi construire une bulle de sérénité que je garderai précieusement dans la poitrine, à regonfler autant de fois que nécessaire, si jamais je venais à perdre l’équilibre : j’aurai de quoi rester à flots.

PS : oh, j’ai vu déjà tellement de requins en deux plongées que j’en ai perdu le compte. Vraiment pas la peine de risquer de se percer un tympan, donc, si quelqu’un en doutait encore…

D. 17 Le prix, le coût et la valeur

Wae Rebo, ça se mérite. Mais je vais commencer par le début.

Au départ de Ruteng, notre plan s’est déroulé sans accroc. Mieux que du papier à musique. On s’est renseigné auprès de notre hôtel, le Rima, partiellement en construction (ou en rénovation, question de point de vue j’imagine).

On voulait rallier Denge en bus public, non merci pas louer de scooter, encore moins monter à l’arrière d’un conducteur indonésien, et non merci, on ne veut pas non plus louer une voiture avec chauffeur pour la journée, pour la modique somme d’un demi-million et plus. Même si ça faisait toujours que 250 000Rp par tête, soit moins de 30€, on en a fait une question de principe. On n’est pas là pour se faire balader en jeep climatisée.

Le bus public donc, c’est un « Truck-sport » (ils disent TRACHPORT mais je suis pas sûre d’avoir compris.) Il part du Terminal Mena à 11h maximum, ou dès qu’il est plein. Mieux vaut ne pas trop traîner, donc.

Comment rejoindre le Terminal depuis notre hôtel ? On s’apprête à héler deux scooter (PLEASE GOD NOT AGAIN), quand un bemo arrive à l’horizon. Sauvée. Le patron de l’hôtel, qui nous avait briefé sur le trek de Wae Rebo (et tous les paiements dont il faudra s’acquitter d’ici là), nous aide à négocier le prix du bemo. Ce sera 10 000Rp chacun, ce qui correspond au juste prix.

9h20, nous voici au Terminal. J’ai pas le temps de ressortir mon Kindle pour vérifier comment on dit « où est le bus pour Denge » qu’un jeune crie à la cantonade :

« Wae Rebo ! Wae Rebo ! »

Je n’ai plus qu’à vérifier quelques informations auprès du chauffeur, démontrant mes nouvelles compétences en indonésien : combien de temps dure le trajet ? On arrive à quelle heure ? Environ quatre heures de route, et on arrive à 14h. Exactement ce qu’on nous avait dit à l’hôtel, parfait. C’est 50 000Rp le trajet, là encore, nos infos sont justes.

Embarquement immédiat… Telle une princesse, je me présente à l’arrière du carrosse, m’attendant à y trouver une échelle. LOL. Les indonésien•nes, déjà entassé•es à l’intérieur, m’indiquent une rangée de libre. On nous crie de passer nos affaires, et j’ai pas le temps de réagir, mon sac est déjà plaqué sur le toit de la carlingue avant que je n’ai pu en extraire mon « petit sac » de voyage. Mais à part ma bouteille d’eau, il ne m’a rien manqué. Je n’aurais pas pu continuer de lectures pendant ce trajet…

Le « truck », donc, c’est un camion de transport de bois transformé en bus ouvert sur les côtés. À l’intérieur, sept planches parallèles marquent les bancs, tous ont un dossier sauf le dernier, juste avant la barrière arrière. On peut donc s’y assoir face ou dos à la route.

Capacité : +60 personnes et un cochon vivant

Nous partîmes à environ quatre par rang, et deux mecs sur le toit. Nous finîmes par atteindre sept par rang (enfants compris) et douze sur le toit, aux dires de Magnus qui, à l’instar des jeunes hommes présents, a été invité à laisser sa place à une jeune femme en rejoignant ces messieurs sur le pont supérieur.

Moi, j’ai commencé le voyage aux côté de Tata, étudiante indonésienne de 22 ans originaire de Java (qui parle très bien anglais), puis au-dessus d’un cochon vivant, sur la dernière planche face à la route.

On est parti à 9h42, et on a été débarqué à Denge vers 15h30. Ce sont donc près de six heures que Magnus et moi avons passées dans ce bus, au milieu des locaux qui se rendaient d’un point à un autre sur la route entre Ruteng et Denge, et de trois autres touristes indonésien•nes, qui comme nous, prévoyaient de rallier Wae Rebo pour la nuit.

C’est ainsi que nous avons fait la connaissance de Tata, Ticka et Rian, deux jeunes filles et un garçon venus aussi visiter le village indigène.

Tata a été la première à m’adresser la parole et à se présenter, dès le départ. Et cette question : « pourquoi vous n’avez pas pris un chauffeur ? » Parce qu’on voulait voyager avec des Indonésien•nes, rencontrer des gens ! Mais après ces six heures, j’aurais plutôt répondu : « Tu plaisantes ? Je ne manquerais ça pour rien au monde ! »

Je vais pas le survendre. Le trucksport, c’est sportif. Le confort n’est pas garanti et le vol n’est pas non fumeur. Niveau climatisation, ça va, pas besoin, y a du vent quand on roule, mais ça tape très fort quand on s’arrête en plein soleil, soit environ toutes les vingt minutes, parce que ce truc s’arrête PARTOUT et même quand il est plein à craquer, les gens montent encore.

À mi-parcours, on a chargé un cochon vivant, et j’ai échangé ma place loin de la bête avec les jeunes femmes apeurées par le comportement peu coopératif de l’animal.

Et j’étais là, à l’arrière du truck, à utiliser mes deux mains et mes deux pieds comme amortisseurs, calés où je pouvais mais pas au sol à cause du cochon, à me dire : j’échangerais pas ma place contre un fauteuil en business class.

Je volais à travers les bananiers, les rizières, et oui, ça secoue, mais tout d’un coup l’odeur de la mer me saisit les narines et j’oublie que j’ai mal au dos dans cette position. C’est pas grave parce que vingt minutes plus tard, j’ai déjà changé, des gens sont descendu, j’ai plus de place pour mes jambes.

Ces six heures de transport extrêmement folkloriques m’ont donné tout le temps nécessaire pour continuer ma réflexion sur la valeur des choses. Le prix, le coût et la valeur. Trois notions extrêmement différentes, qui se confondent pourtant souvent dans mon quotidien, et dans mon esprit.

La vie ici ne me coûte rien, ou si peu que ç’en est dérisoire. Les prix que je paie me semblent totalement déconnectés de la valeur que j’accorde aux choses.

On a traversé tellement de rizières et de villages de paysans, et je me disais : c’est eux qui nourrissent la planète. C’est leur riz, en train de sécher au soleil, que je vais faire cuire à Paris. Ce riz qui transite par sacs en toile de jute comme ceux qui jonchent le plancher de notre vaisseau (à côté du cochon).

Pourquoi vous n’êtes pas riches ?

Pourquoi ces gens ne sont pas millionnaires ? Pourquoi ils vivent dans des baraques à l’air si précaire, et pas dans des villas avec piscine, comme les grands exploitants texans ? (qui non seulement ne nourrissent pas grand monde, mais ont plutôt tendance à empoisonner les gens avec leurs pesticides, leurs OGM et leurs cheptels envahissants).

Pourquoi on n’a pas plus de reconnaissance, ou de la reconnaissance tout court d’ailleurs, pour tous ces gens qui nous nourrissent ? Pourquoi le kilo de riz est si peu cher alors qu’il vient de si loin ? Et quelle est la part qui revient au final à ces gens qui prennent soin des plants les pieds dans l’eau, à longueur de saison ? Qui se cassent le dos à les extraire du sol, à sécher les graines avec tant de précaution ?

Pourquoi ça coûte RIEN de manger leur travail, alors que sans eux, on crèverait vraiment de faim ?

On arrive à Denge, ou plutôt, on nous largue au terminus, au pied du départ du trek. Les filles ont une bonne adresse : il y a un vieux monsieur qui héberge gratuitement les voyageurs, et chez qui on peut aussi laisser des affaires. Moi j’ai allégé mon sac au max pour ces cinq jours, mais Magnus ne revient pas à Labuan Bajo, donc il a tout avec lui.

On nous offre un thé, et je comprends qu’on arrive trop tard pour faire le trek en entier. On doit arriver avant 20 heures pour le dîner, et on nous propose de nous avancer au maximum à dos de moto (MAIS ENCORE PUTAIN). Je fais très vite le calcul de préférences entre 4 kilomètres de moto et garder mes deux guides indonésiennes, ou reporter le trek au lendemain matin mais perdre toute possibilité de communiquer avec mes hôtes.

Va pour la moto. (GOD PLEASE MAKE IT STOP).

Le trek des débutantes

On a deux heures et demi de marche jusqu’au village, et je viens de me rappeler que : on n’a pas mangé depuis le petit déjeuner. Un toast de pain de mie carré et un thé, pour ma part. Magnus a eu un oeuf au plat, j’ai passé.

Je viens de faire dix minutes de moto, et par conséquent, un shot d’adrénaline a fait descendre mon niveau de sucre dans le sang très brusquement. Et mes barres de céréales sont… dans le sac à pharmacie que j’ai décidé de laisser derrière, parce que je pense survivre une nuit sans mes deux kilos de médocs (ainsi que mes chargeurs en tous genres).

Donc. C’est parti pour deux heures de trek en mode jeûne, après tout, ça se fait. La nuit tombe, mais on a tous des lampes frontales, alors ça va. Sauf qu’on est dans la jungle, alors je balance à Magnus :

– T’as vu le film Avatar ?
– Ouais ?
– « première nuit dans la jungle »… J’essaie de toute mes forces d’ignorer les bruits que fait cette forêt.
– Ha Ha !

À partir de ce moment, il n’a plus arrêté de se moquer de mes sursauts fréquents, malgré ma tenue spéciale aucune-bête-ne-viendra-me-chatouiller-le-cou-j’en-fais-le-serment.

Selamat Datang Wae Rebo

Bienvenue à Wae Rebo

L’arrivée à Wae Rebo s’accompagne d’un rituel. On est accueilli par le chef du village, il faut faire une donation de 10 000Rp par personne. Il faut aussi payer le guide, 200 000Rp par groupe (on est cinq). Pour rester dormir au village, il faut s’acquitter d’un tarif fixe de 325 000Rp par personne, ce qui inclue le dîner et le petit-déjeuner (et ptêt le déjeuner aussi mais je ne suis pas sûre). On dort sur des paillasses dans la hutte traditionnelle réservée aux hôtes, avec un oreiller et une couverture (perso j’ai aussi le sac de couchage parce que je suis préparée à toutes les situations.)

C’est peut-être cher payé pour ce que c’est, et je me demande un peu où va l’argent de ce business, puisque clairement, personne ici n’a d’iPhone 6. C’était d’ailleurs la petite blague d’accueil, avant le café qu’on nous a offert après la cérémonie : vous voulez le mot de passe du Wifi ? C’était en indonésien mais j’ai tout compris, haha !

Mais c’est une expérience inestimable.

La cérémonie d’accueil était émouvante, et pourtant, j’ai rien compris au discours du chef. Mais au fond, j’ai tout compris. Il nous a accueillis. Nous sommes entrés, cinq étrangers dans ce village, et nous sommes ressortis de cette hutte cinq amis, qu’il accueille volontiers au sein de sa communauté, l’espace d’une nuit.

Tata a fondu en larmes, et j’en étais pas loin moi-même, sans même avoir pu comprendre le sens des paroles. Le ton, la musique de la langue et les sourires ont suffi.

Je me fais la promesse de revenir lorsque mon niveau d’indonésien me permettra de comprendre ces mots et de communiquer moi-même avec les villageois•es. Je compte repartir d’ici avec un sarong traditionnel, de l’un de ceux qui sont en vente, peu importe le prix. Même si je me doute qu’il sera bien supérieur à son véritable coût. Emporter un morceau de cet endroit avec moi, c’est matérialiser ma promesse de revenir.

L’avantage avec un vêtement, c’est que ça se porte. J’aurais de quoi m’habiller « bien », c’est-à-dire convenablement et respectueusement, si j’assiste à des événements formels indonésiens. (Bien sûr ce n’est pas un déguisement, je suis pas con).

Ce soir, j’ai donc dégusté le meilleur café de ma vie, haut-la-main, dîné assise en tailleur avec une douzaine d’autres visiteurs venus d’un peu partout, indonésiens comme étrangers, et je suis là, adossée à l’un des piliers de la hutte, à me raconter tout ça pour être sûre de ne jamais l’oublier.

Une journée comme celle-ci n’a pas de prix. En sortant de la hutte du chef, j’ai levé les yeux au ciel, et failli tomber à la renverse. Les étoiles dégoulinaient de la voûte céleste, mais elles restaient accrochées dans la voie lactée, qu’on remarquait par ses traces claires sur l’encre noire.

Incroyable. Où est passé cette journée ? Dans quelle dimension suis-je passée ?

Six heures de trucksport à travers les montagnes, 4 bornes de moto en altitude, et 2h30 de trek à travers la jungle.

Wae Rebo, ça se mérite, et ça se paie. Mais ça n’a pas de prix.

Au dîner, Tata m’a demandé :

« pourquoi tu aimes tant l’Indonésie ? »

Je sais pas. Parce que vous êtes accueillants, ouverts, tolérants, que j’ai le sentiment qu’une fois que je pourrais parler, je pourrais facilement m’intégrer ici, qu’on s’en fiche que je sois blanche, je serais pas perçue à vie comme une gosse de riche à pigeonner. Parce que j’ai le sentiment que la diversité de cultures, de racines, de religions et de croyances ici n’est qu’une richesse, et pas un motif d’exclusion ni de conflit. Et qu’il faut une grande sagesse pour en arriver là. Que je regarde avec beaucoup de honte le passé guerrier, colonial et meurtrier des nations européennes, d’autant plus que c’est la première fois que je visite vraiment une « ex-colonie ».

Parce que ce pays est fabuleux à bien des égards, et qu’il me fascine de plus en plus. Parce qu’une journée comme celle d’aujourd’hui me coupe le souffle et me vole les mots. Et que ça fait bien longtemps qu’aucun endroit ne m’avait foutu une claque comme celle-là.

— Dimanche 24 juillet

D. 16 Il ne me manque rien

Je continue mes réflexions sur les habitudes, en glissant sur la question du confort. Hier soir, j’ai fait mon sac pour les cinq jours à venir. J’ai gardé les vêtements chauds, parce que nous allions un peu nous poser en altitude, et qu’on ne sait jamais, les nuits pourraient se rafraîchir.

Mais j’ai viré mes affaires de plongée : exit le shorty, les palmes, le parachute et son plomb de 500g, la lampe-torche étanche également sévèrement lestée (pour ne pas perturber ma flottabilité, bien sûr). Tout est resté à l’hotel, que je retrouverai mercredi ou jeudi soir.

Exit aussi le Routard de Bali-Lombok, dont j’ai déjà tiré l’essentiel des informations pratiques. J’ai largué mon pantalon de pyjama panthère, trop épais pour le chaud, trop léger pour le froid, et trop lourd à porter. C’était mon choix « demi-saison », mais il n’y a pas de demi-saison ici. Il fait 30°C ou il fait froid parce qu’on est en altitude. Faites vos jeux.

Je me suis fait la réflexion pendant le trajet, dans la voiture climatisée qui nous amenait de Labuan Bajo à Ruteng : il ne me manque rien. En termes matériels, entendons-nous bien.

Je me prends à me demander : à quoi servent les myriades de TRUCS qu’on est capable d’entasser dans nos appartements ? J’ai eu plus de six appartements (déjà !) dans ma vie, autant de déménagements, tellement de cartons, et pour le cinquième, j’ai simplement renvoyé chez mes parents des cartons pas déballés du précédent déménagement.

À quoi ça me sert ?

À quoi ça me sert, tout ça ? Tous les livres dont j’ai besoin sont sur mon Kindle — ou ils finiront par l’être. Les habits dont j’ai besoin se résument à deux ou trois tenues pour pouvoir tourner entre les lessives, et de quoi répondre aux contraintes climatiques et environnementales.

Mais le luxe que c’est, de ne pas avoir à se poser cette question le matin : qu’est-ce que je mets ? Et bah LA tenue propre qui correspond à la météo du jour, ma chère. Le choix est très vite fait, et il est pleinement satisfaisant.

Je me surprends, plusieurs fois par jour, à me demander « OK, comment je m’occupe ? ». Si je veux une connexion Internet, il faut aller la chercher. Si je veux faire quelque chose, il faut m’organiser. Mais entre deux expéditions, excursions, visites, il faut bien « s’occuper », d’autant que la nuit tombe à 18h ici, et que la faiblesse de l’éclairage public en fait une VRAIE nuit noire dès 19h.

Donc, comment je m’occupe ? C’est magique. Je réfléchis. Je lis. J’apprends l’indonésien (super vite vu mon temps libre). J’écris. J’écris sur l’ordinateur quand je prends le temps de me poser, j’écris sur mon carnet nul qui n’aura jamais assez de pages (donc que j’économise) sur lequel je gribouille des schémas de pensée, des raisonnements…

Je prends le temps de ne rien faire

Je n’ai rien et je ne m’ennuie pas, parce que je meuble de façon épanouissante. On avait plus de trois heures de route, ce matin. J’en ai passé une et demi à avaler du vocabulaire indonésien, et le reste à contempler le paysage, et reposer mes yeux par intermittence (ça balançait beaucoup trop dans tous les sens pour pouvoir dormir, et la passagère derrière nous a rendu ses tripes dans un sac plastique pas moins de sept fois. God bless her soul).

On est arrivé, j’avais pas vu le temps passer. On a trouvé un hotel, en marchant un peu. 100 000Rp la nuit, avec une porte qui ferme à clé, et dans la chambre d’en face, un grand Danois d’un mètre quatre-vingt. Mon ami, compagnon de voyage pour quelques jours encore.

On est allé déjeuner dans un warung, j’ai réussi à traduire une partie de la carte, assez pour lui permettre d’apprécier la diversité des options. On a mangé un Gado-Gado, un plat de légumes au tofu, tempeh et sauce piquante à la cacahuète. C’est tiède, un peu chelou, mais c’est bon (c’est servi avec des chips de crevettes et un oeuf dur, et je sais pas encore comment demander sans, et je refuse de gâcher de la nourriture ici donc je mange quand même, sauf si j’ai plus faim. Mais je ne fais pas de gâchis de principe.)

30 000Rp pour nos deux plats : à peine 2€.

Je m’étais juré : pas de scooter

Treize heure trente, ça y est, on a trouvé un scooter à louer. Trop cher, mais bon, 100 000Rp à deux, ça fait jamais que 3,50€ pour trois heures de scooter à travers les rizières en toile d’araignée de Cancar, c’est donné.

On part, je suis tétanisée à l’arrière, j’avais pas besoin de prendre un sac à dos, mais je l’ai rempli de mou pour me servir de dorsale en cas d’accident. Je peux pas lâcher prise sur les accidents de la route, je sais que ça pardonne pas, j’ai insisté pour avoir un casque qui ferme, tandis que la bride de celui de Magnus flotte au vent. J’ai un pantalon et une veste pare-soleil et coupe-vent, mais on roule à 30, parce que s’il accélère, je lui plante mes cinq doigts dans l’épaule et je lui déboîte la clavicule, c’est sûr.

Mais on avance, et je me détends, parce qu’on a un bon scooter et qu’il conduit bien, il ralentit quand il faut, la route est en bon état, et puis on quitte la rue principale pour s’engouffrer dans les rizières.

Les rizières de Cancar (on dit « Tchannchar »)

Y a pratiquement plus de circulation, maintenant le challenge c’est les trous sur la route, mais ça y est, je me sens bien. On monte dans la jungle quand soudain la forêt s’écarte et on vole au-dessus des rizières, qui dégringolent à quelques mètres de nous. Le ciel est nuageux mais c’est beau quand même parce que ça fait ressortir le vert que sinon le soleil écrase, et le ciel d’acier vole son éclat.

La route qu’on suit arrive dans ce village, dont j’ai pas imprimé le nom. Un truc en G, qui ressemble à « montagne », donc « gunung » ou quelque chose dans le genre. Le riz sèche sur des grandes bâches devant les maisons. Les enfants courent après le scooter, nous lancent des « hello ! » enthousiastes et éclatent de rire quand on leur répond.

Les habitants nous sourient, les filles et les garçons sont habillés pareil, ils jouent pareil, ils travaillent aussi, on les voit porter des sacs de riz ou des bidons d’eau, on voit des dos cassés dans les rizières aux alentours, recouverts de vêtements contre le soleil qui tape quand même malgré les nuages.

On est rentrés, et j’étais bien. Dans la rue, les lycéens nous arrêtent pour « practice english! ». Ils font des stages et des formations dans le tourisme et l’hôtellerie, donc ils savent demander qui on est, d’où on vient, pourquoi on est là, quel est notre programme. Ils veulent faire des photos avec nous.

Au début j’étais un peu méfiante, parce que j’ai des objets de valeur plein les poches. Des trucs. De l’argent. Qu’est-ce qu’ils veulent me vendre, encore ?

Ils n’ont rien à vendre, ils veulent juste parler anglais. Et ils éclatent de rire aussi quand je leur réponds « saya senang belajar bahasa indonesia ». Ou « saya suka », je sais pas trop. Je suis super contente d’apprendre l’indonésien, en gros.

C’était le 16ème jour de mon aventure, et aujourd’hui, c’était vraiment l’aventure. Ça fait peur et ça surprend, ça secoue et détend. Je n’ai rien avec moi, et il ne me manque rien.

Quelques résolutions

Conclusion, résolution : à mon retour, grand ménage de printemps dans mes placards. Ça faisait déjà quelques années que j’avais arrêté de faire du shopping, mais va falloir se débarrasser des fonds de tiroir, littéralement. Toutes les fringues qui ne sont plus confortables, plus à ma taille, qui ne remplissent aucune fonction pratique (sport, froid, pluie, soleil, chaleur), ça dégage.

Tous les objets à vocation sentimentale, soit j’en fait une photo et je raconte son histoire sur Instagram (ça durera plus longtemps et ça prendra moins de place), soit en fait, ça vaut pas le coup d’utiliser de l’espace pour un truc dont j’ai oublié le sens. Dans les deux cas, j’en ai pas besoin dans mes armoires.

Tous les livres qui n’ont pas une fonction pratique (dont j’ai besoin en ce moment, et régulièrement), ça va dégager aussi. Ça ne se jette pas, bien sûr. Je vais les donner. Mais je vais réfléchir à comment m’en séparer… Ceux qui me restent sont, pour la plupart, dédicacés. J’aimerais bien les garder pour ma future bibliothèque, mais dieu seul sait où et quand j’en aurais une.

Je crois que j’aime davantage l’idée que mes exemplaires dédicacés continuent leur vie de livre, à passer de mains en mains, à l’infini.

Quelqu’un finira par se retrouver avec un original de François Hollande, signé au nom de Clémence, « avec toute mon amitié ».

Je ne crois pas que toutes les choses que j’aime et qui m’entourent à Paris soient sans valeur, ni utilité. Je crois juste qu’elles prennent trop de place dans ma vie, que je pense sans cesse en termes de confort et pas assez strictement en termes d’utilité.

La moitié des affaires que j’ai emportées est inutile. Mais elles m’apportent un certain confort. Moitié moins, voilà un objectif.

Réduire de moitié la quantité de « trucs » que je possède. Je veux me recentrer sur l’essentiel dans ma vie, et ça passe par redescendre mon centre de gravité au plus près de la Terre.

Demain soir — Inch’Allah ! Nous dormirons à Wae Rebo, dans un village traditionnel. C’est-à-dire à même le sol, dans une espèce de hutte collective. « Les toilettes sont dans la nature » peut-on lire sur Internet.

Je m’attends donc à prendre une nouvelle leçon sur le confort matériel et la simplicité.

21h, je fais les comptes de la journée : 100 000 pour la nuit, 50 000 chacun pour le scooter (j’offre les 30 000 d’essence, c’est lui qui a conduit), 15 000 chacun pour le déjeuner, et j’ai fait des folies ce soir : 45 000 pour des nouilles frites et un thé au gingembre.

240 000Rp, soit environ 17€. Paris et ses pintes à 7€ ne me manqueront pas, c’est certain.

D. 15 The safety tax

So that’s what it means to be a young woman travelling alone.

This morning, I was woken up by a maid, around 9:30. That’s not bad. What upset me was the reason she did it: some guy, Roonie, was calling upon me. And no, Roonie wasn’t my latest « one night stand », far from it. He was the guy I had met yesterday about sunset, on the road above my hostel.

I had just reached the main road, emerging from the hill’s hidden path, when this guy stopped on his scooter. He asked where I was going, I said I was just walking around, which was true. Most guys on scooters here are eager to offer a ride for 5 to 10 000 rupiahs, so I wasn’t at all put off by this situation.

He offered to take me to the beach, and since I hadn’t found a beach and that would be the perfect spot to enjoy twilight, I agreed. Once again, no red flags there, since our numerous discussions with Julie, the backpacking girl who had completed a world tour, and Harold, our french guide on the cruise, had let me believe that this is a perfectly normal behaviour to have.

The conversation I had with Roonie was also very normal: where are you from, how long are you staying, bla bla bla… Although perfectly casual, I refrained myself from sharing any specific details in our exchanges, save for the irrelevant facts like: yes, I came here to dive, but, I can’t go because my ear’s infected.

But « I don’t know how long I’m staying » (seven days, not another one), « I don’t know what I’m going to do » (find myself a tour inland), « Yes, I already have a room booked » (did NOT specify where, for the record).

Prudent behaviour, even before anything felt awry. The collaterals of growing up as a girl.

He took me to the harbour, downtown, through the fish market, and it was a very enjoyable moment, to be driving through the warm air of the beautiful afternoon, coming to an end. At the harbour, the conversation started to get creepy, as I gathered from his poor english that he was more or less offering me to stay forever in Flores, that he would welcome me in his family, he wanted to show me his village, and so on.

Sensing it was time we parted ways, I told him I was looking for a bar to sit and work (again, plain truth there). I let him drive me a little further to the TreeTop, which turned out the be exactly my kind of place, where tourist AND indonesian folks come to hang out (save for the food, where nothing vegan was particularly enticing, most of my choices being of european inspiration).

I told him I needed to work and said good bye, but he stuck around for a drink (not at my table, as I had made perfectly clear that I was busy. Again, nothing but the truth). It’s when he moved to another table, to bother another single lady, and that she told him off quite plainly that I realised my « nice guy » was not at all that nice, and that it probably wasn’t the cultural differences or the language barrier that made it hard for me to make myself clear: he just wasn’t listening.

But he did go, trying to make an appointment the next day, so I told him no, because I don’t know what I’m doing, and with my sick ear, I’m not making any plans. But this is a small town, so we might run into each other again, and let me get the drink, as a thank you for the ride and the tour.

He left. I thought I had adopted the best possible behaviour in this situation. I was courteous the whole way through, but firm, and I had kept the upper hand at every moment.

Yes, he had been a little too insistent to stay after I had told him good bye now, but I’ve had to shake off worse stalkers in my days. All in all, nothing happened.

Until this morning.

Stalker alert

« Excuse me to wake you up, sorry to bother you… There’s a guy, Roonie, asking for you »

What the what? How did he find my hotel? How did he know to ask for ME? Yes I told him my first name but that’s hard enough to remember, let along to repeat it and for someone to understand it.

I told the maid I didn’t know that guy, he just gave me a ride yesterday, and no, I’m not coming out, I’m sleeping… And I’m sick! I showed her the ear drops I had put it 2 hours before (then fell asleep again).

She went away, I turned to sleep again, but a couple minutes later, she was back, with another member of the staff (a guy), AND ROONIE.

So I told him off very bluntly this time, adding that I AM SICK I’m not going anywhere with him, and please LEAVE ME NOW I’m SLEEPING.

But now he knows he’s got the right place, he even knows which tent I live in. Oh yeah, A TENT. No door I can lock, not a single door between the road, the entrance of the hostel, the terrace, then the tents, then MY TENT. You can just walk in. For 100 000Rp a night, what to expect?!

I call it the safety tax. It sums up all the expenses a woman has to make, that a man doesn’t need to. That a man doesn’t even think about, because it is completely unheard of. Men can be stalked by someone they know, but very, very very rarely by a complete stranger.

I’ve already scouted another place, much fancier, much more expensive (probably over double what I’m paying here — update: seven times what I was paying then), but with doors that can close, and staff members to prevent strangers from entering the facility.

I don’t want to move out, because I like this place better, I certainly don’t want to spend more money to be downtown, living above a fancy and very western restaurant/bar. But should Roonie pay me another visit here, I just might have to leave.

Now two details in this story are infuriating me. The first, is how hard it was for me to recount precisely my own behaviour of last night. Thinking back, I could just point out the many moments when « I led him on ». I should have said « no » firmer. I should have stopped hanging out with him straight from the harbour. I shouldn’t have bought him the drink. I shouldn’t have accepted the ride in the first place…

Yes, it’s MY behaviour that I’ve been reviewing critically. It’s ME I blame for what happened. It’s MYSELF I doubt when I questioned the way I refused his proposals. Not firmly enough? Not clearly enough? Not enough.

But in the end, it’s HIS behaviour that’s the problem. Not the way I have been reacting to it. How many times will I have to write it, to repeat it, for it to stick: you’re not responsible if you’re being stalked. Being courteous and polite isn’t a problem. Abusing this courtesy and ignoring a polite but unequivocally firm « no » is the problem.

I’m not responsible, but I’m still paying the consequences. And that’s the second infuriating detail of the story: I’m the one who’ll have to move out of this place if he comes back.

— UPDATE —

Now it’s half past six, and I’ve just enjoyed a beautiful sunset from the very well oriented terrace of the Paradise Bar. I took a scooter ride there (5 000Rp), and Magnus, my danish friend met on the cruise, joined me for a drink.

We are leaving tomorrow at 7am on a shuttle bus to Ruteng (3-4 hours drive), where we will find a room for the night, and spend the day visiting around Cancar. On Sunday, we depart for Wae Rebo, a traditional village where we will most likely spend the night.

Monday, we make our way from Wae Rebo to Bajawa, find a place for the night then enjoy the sights. Tuesday, we’ll reach Moni through Ende, and organise our sunrise trek on the Kelimutu mountain.

Wednesday morning, if everything goes according to plans, we’ll watch the sun rise over the three lakes. I fly back to Labuan Bajo thursday at 7am, go straight to my doctor for our seven day check up, and probably spend another night in town, before boarding a ferry to Bira the following day, or catching a flight to Java as soon as possible.

Sounds like a plan. One that will keep me busy in the best way possible for the next six days. One that takes good care of my stalker problem.

One that does not feel the least like a contingency, but much rather like a perfect plan. Even though we’ll likely improvise most of it as we go.

I guess you could call it tax evasion.
🙂

D. 13 Force of habit

J’avais jamais remarqué à quelle vitesse les habitudes s’installent. Un jour nouveau, plus de structure, et il n’en faut qu’un deuxième au même endroit, dans les mêmes conditions, pour que déjà, des mécanismes apparaissent. Les prémices des habitudes ne sont autres que des rudiments de confort : ce sont des graines plantées sur la terre brûlée, qui en germant, installeront un environnement de sécurité. Plus le temps passe, et plus leurs racines sont profondes. Plus il devient difficile de s’en détacher.

Jusqu’à ce qu’un feu ravage tout, et que l’on se retrouve à nu.

Un jour, deux jours, six jours et ces manies du quotidien sont revenues, plus coriaces que la mauvaise graine. Elles pousseraient n’importe où, même sur le pont d’un navire violemment balloté par la houle. J’ai passé sept jours sur le Lambo, et c’était déjà un de trop, sur la fin. Le sixième jour était trop confortable pour me surprendre. Au septième, je n’ai même pas pris la peine de monter sur le sundeck pour admirer le coucher du soleil.

Force of habit. Parce que des habitudes nait la routine, et de la routine nait l’ennui. Sans que je ne m’en rende compte, mes habitudes parisiennes étaient devenues une camisole de force, qui m’immobilisait. « Pas le temps » pour ci ou ça, vous comprenez, je dois d’abord faire toutes ces tâches dont certaines finissent davantage par relever du rituel que d’une quelconque recherche de productivité.

Les habitudes m’étouffent bien plus qu’elles ne me soulagent. Je m’en fous, finalement, de ne pas savoir où je vais dormir la nuit prochaine. Je trouve bien plus anxiogène le prospect de connaître avec certitude le déroulé des 365 jours à venir. Manger à heures fixes plutôt que selon mon appétit, dormir un « quota » quotidien plutôt que selon mes besoins, faire du sport en salle comme un hamster en cage, pour éliminer le surplus des calories ingurgitées lors de repas trop riches et trop nombreux pour une vie trop sédentaire… Quelle angoisse !

Il m’aura fallu cinq jours en mer et pas moins de dix jours à des années lumières de ma zone de confort pour me rendre compte qu’une importante partie de l’ennuie qui m’étouffe inexorablement provient de mes propres habitudes. De moi-même, donc. Parce que je ne pensais vraiment pas réussir à m’ennuyer au bout du monde.

Mais les habitudes poussent toujours aussi vite sous les tropiques.

Le chef de croisière avait ses habitudes, à Labuan Bajo. Apéro au « Pirate », depuis un rooftop certes très classe, mais au standing et aux prix très européens : pas du tout le genre d’établissement dans lequel j’aime dépenser mes dollars en voyage. Puis, dîner dans un resto italien, supposément le meilleur de la ville (ce qui ne devrait pas être trop difficile, vu la taille de l’agglomération et le peu d’appétence des locaux pour la pizza). Là encore, mon coeur ne se serait pas tourné vers un choix entre pasta et pizza, pour ma première soirée sur l’île de Florès. Fussent-elles les meilleures de l’île.

Mais j’avoue que c’est étrange de dîner dans une terrasse couverte abondamment ventilé (avec un four à pizza par 30°C, aussi…), de déguster des plats parfaitement européens (c’est un vrai Italien qui dirige la maison), le tout pour une addition de… 7€, pour ma part : une pizza végétarienne sans fromage et un jus de citron.

Et puis, sans nous demander notre avis, il nous a embarqué pour « Le Paradise », un autre bar avec vue, où des musiciens se succédaient sur l’estrade.

On n’aurait pas pu lui faire entendre qu’on préférait aller flâner au marché aux poissons, ou dîner dans un boui-boui où la carte n’est pas traduite en anglais — profitant de sa présence à nos côtés pour appréhender cette situation légèrement périlleuse ! Mais non, il avait sa pizza en tête depuis le début du voyage, il nous en avait parlé dès le premier jour.

C’est marrant, de voir un grand baroudeur aussi englué dans ses habitudes. T’as beau parcourir les sept mers, quand t’arrives au port, tu ne te poses pas de questions.

Je vais mettre à profit les jours à venir pour faire le tri dans mes habitudes. Je vais faire l’inventaire de mes manies, de mes rituels, définir les bases de mon confort et les limites du luxe. Et je serai attentive, dès la rentrée, à ne pas laisser ces graines dégénérer en forêt vierge, me faire clouer sur place par un lierre de petites contraintes fondues dans une sensation de familier.

Cet été, je laisse mon quotidien en jachère. Avec la ferme intention d’y faire pousser des merveilles dès la rentrée.

— Mercredi 20 juillet

D 10. We’ve been through worse times

On va pas se mentir, aujourd’hui, c’était dur. C’était dur, parce que j’ai réalisé que je n’allais plus pouvoir plonger jusqu’à la fin de la croisière. On arrivait sur les plus beaux sites de plongée du monde, et j’étais incapable de mettre la tête sous l’eau.

La veille encore, l’oreille bien rêche, je nourrissais l’espoir de sentir mon tympan se détendre en l’espace de 24-48h. Mais aujourd’hui, il fallait pourtant bien accepter l’évidence. Je n’entends plus rien du côté gauche, le moindre bâillement me déclenche une décharge électrique dans la mâchoire, et sans anti-inflammatoires, la douleur me fend le crâne en deux.

Le meilleur scénario que je puisse espérer de cette situation, c’est de m’en sortir sans infection, sans séquelles, avec une récupération de moins de 2 semaines au sec. C’est pas « au mieux, je peux replonger demain », c’est « au mieux, je vais pouvoir replonger avant la fin de mon séjour en Indonésie ».

Et ça sur le coup, ça pique un peu. J’ai laissé la déception me tomber dans la gorge, puis j’ai relevé la tête, et j’ai vu où j’étais. Dans le parc de Komodo, une merveille de la nature. J’ai pris l’habitude d’attendre le coucher du soleil sur le pont supérieur du Lambo, et le spectacle ne déçoit jamais.

Certes, je ne peux plus mettre la tête sous l’eau, mais le spectacle à la surface m’en fout plein la vue à toutes les heures de la journée, et particulièrement au crépuscule.

Tout bien réfléchi, on a connu pire endroit pour se payer une otite. On a connu pires circonstances, vraiment.

Les requins de Komodo m’attendront. À chaque plongée, mes compagnons de voyage en aperçoivent une flopée, à quelques mètres d’eux. C’est le spot, c’est écrit dans les guides. Donc je reviendrai, et ils seront toujours là.

Je suis un peu venue ici avec une idée fixe, celle de plonger, plonger, plonger, plonger, mais au final, j’en aurais presque oublié de lever les yeux du guidon pour apprécier tout ce qui m’entoure.

J’ai mis à profit les jours passés sur le bateau à apprendre des rudiments d’indonésien (déjà incollable sur les nombres, eh ouais), à lire l’histoire du pays et les guides de voyage qui me tombent sous les mains.

Tout compte fait, il n’y a pas que la plongée qui vaut le détour, dans le coin. Je fais bien de m’en rappeler.

— Dimanche 17 juillet