Du premier au dernier souffle : back to basics

J’ai une relation épistolaire un peu particulière avec le moniteur de mon baptême de plongée. Dès que je passe un cap, une marche, un niveau, je le lui raconte par mail. Il voyage beaucoup, donc il me répond parfois plusieurs semaines plus tard.

C’est marrant. Ça fait plus de deux ans que je ne lui avais pas écrit. Et puis, il s’est passé un truc en plongée aujourd’hui. Alors je lui ai écrit. Et comme j’en tire pas mal de leçons perso, je me suis dit que ce texte avait sa place ici.

À mon moniteur de baptême

Salut,

J’espère que tu vas bien, et que les courants te gardent dans les mers chaudes. Je ne sais plus de quand date notre dernière correspondance, je crois que j’attendais la fin de mon Dive Master pour te raconter ce périple, mais une autre histoire a chassé celle-ci (j’y reviendrai).

Je te raconterai mon passage en Indonésie, bien sûr, mes amours avec les requins de récifs (SI MIGNONS oh là lààà), mais avant ça, j’ai besoin de te raconter ce que j’ai vécu aujourd’hui.

Mon premier essoufflement.

C’est fou, cette sensation d’étouffer alors même qu’on est branché à un distributeur d’air. C’est comme mourir de soif à côté d’un torrent : c’est idiot.

Je suis à Niolon, pour deux semaines de préparation et passage du Niveau 3. J’ai désormais plus de 100 plongées au compteur, et une formation de Dive Master à la ceinture (même si je n’ai pas du tout exercé, c’est une autre histoire !).

Lundi après midi, plongée de reprise. J’étais allée passer deux week-ends à Cap Croisette fin mai et début juin, histoire de remettre les palmes dans les eaux fraîches de la Méditerranée. Et surtout, histoire de me réacclimater à l’évolution sous-marine flanquée d’une combi intégrale + sharkskin + surveste dont cagoule, après avoir passé, à l’été 2016, cinq semaines à plonger dans la mer de Sulawesi, du côté de Bira, en Indonésie. J’y plongeais en shorty avec 1 ou 2 kilos max. Trois, quand il fallait prendre du rab pour lester un client trop léger au palier de principe. Bref.

Août 2018, soit deux ans plus tard, je débarque à Niolon, et j’ai l’impression de réapprendre à plonger. Ma stabilisation est hésitante, ma position dans l’eau n’est pas propre, ne parlons pas de mon lâcher de parachute… Note artistique : points bonus pour l’originalité, mais note technique : médiocre !!

Je ne m’inquiète pas, c’est comme le vélo, ça reviendra à force de pédaler : patience et persévérance. Je sais.

J’en arrive à ce jeudi 16 août, au matin. Je suis un peu fatiguée, mais pas vraiment plus que d’habitude, c’est normal, c’est la fin de semaine et l’eau est vraiment froide.

On embarque, c’est vrai que c’est speed à Niolon, quand 4-5 palanquées envahissent l’embarcation, mais c’est aussi une organisation bien rodée : c’est fluide, et les bateaux sont pensés pour. On arrive sur site, je vérifie 4 fois que ma bouteille est bien ouverte, et je sais que je fais ça quand je suis stressée : je fais mes checks sans enregistrer que je suis en train de les faire.

Mise à l’eau saut droit sur le côté de l’embarcation, c’est vrai qu’elle est froide. On palme quelques mètres sur le dos pour s’éloigner du bateau et descendre dans le bleu. Ça va. J’aime pas la surveste avec cagoule, ça me serre de partout, mais bon, l’eau est VRAIMENT froide, honnêtement je ne peux pas faire sans.

Immersion. Je tente un phoque, coup de palme vers le haut, je vide mon gilet, j’expire… et je ne descends pas. Je bascule en canard, et je ne descends pas. J’ai 3 kilos de leste, c’est juste mais normalement ça passe. Si ça se trouve c’est un problème de lestage. Je descends pas. Je palme plus fort. Je déteste cette cagoule, j’ai de l’eau dans le masque, mais pas de problème, je me redresserai à 6 mètres et je ferai un vidage de masque. Je palme plus fort.

Putain mais enfin j’arrive à 6 mètres, je me redresse, et j’arrive pas à vider mon masque. Y a rien qui sort. Je ventile beaucoup, je souffle par le nez et y a rien qui sort. J’ai de l’eau jusqu’à mi-masque.

Et là, un message d’erreur flashe dans mon cerveau, en gros, en rouge et noir :

TU NE RESPIRES PLUS.

Tout ce que je te raconte se déroule en l’espace de quelques secondes, mais ça m’a fascinée : au moment où le message d’erreur apparaît, j’ai deux protocoles d’urgence qui se déclenchent simultanément.

Comme si deux écrans se déroulaient devant mes yeux : côté droit, l’instinct de survie primaire. Côté gauche, le protocole appris, réappris, mémorisé, ancré dans les automatismes de mon pedigree de plongeuse.

L’instinct me dit : tu ne respires plus, vire tout ce que tu as sur la gueule et prends une grande inspiration !!!

Ma main droite s’approche de mon visage.

Le protocole de réaction me dit : quoiqu’il arrive, on garde le détendeur en bouche. ON GARDE. LE DÉTENDEUR. QUOIQU’IL ARRIVE.

Ma main droite plaque le détendeur sur ma bouche, pour m’empêcher de le cracher.

J’ai de l’eau à mi-masque, donc tout le nez immergé, ce qui ne m’aide absolument pas à rester calme.

L’instinct de survie dicte : OK, SURFACE !! MAINTENANT !!

Je lève les yeux : elle est à quelques mètres au-dessus de moi. Un coup de palme et j’y suis.

Le protocole de réaction, pendant ce temps, a établi un diagnostique. Et enfin, le message d’erreur « Tu ne respires plus » est remplacé par l’identification du problème, et je vois :

« ESSOUFFLEMENT »

L’instinct de survie est toujours bloqué sur RESPIRE – SURFACE, mais le protocole de plongée prend le relai : souffler, communiquer.

Je commence à essayer de souffler mais bien sûr je n’y arrive pas car je suis toujours en pleine panique. J’attrape le regard de mon binôme, juste à ma droite : je fais des gestes erratiques parce que l’information « essoufflement » n’est pas encore arrivée à la zone cérébrale permettant de générer le bon geste. À ce stade, je fais signe « ÇA VA PAS » des deux mains, et j’indique « fin de plongée » faute de savoir quoi faire d’autre.

Pas de réaction de mon binôme. L’instinct de survie remet une couche de RESPIRE – SURFACE !!!

Le protocole de plongée me rappelle que je ne suis pas seule sous l’eau : j’attrape le regard du moniteur, à quelques mètres derrière mon binôme. Et là, enfin, un message d’action : deux coups de palmes et je peux être accrochée à lui, et le laisser m’aider.

Bon, à ce stade, je ventilais toujours comme un boeuf en sueur, donc j’étais en train de remonter naturellement à la surface : le protocole de plongée avait quand même pris le dessus, donc je ne faisais qu’expirer, sans palmer, même si c’était trop rapide et pas assez profond pour réussir à rester immergée à ce stade. J’étais tête en haut, voies dégagées, et pas en train de bloquer sur inspiration. C’était déjà ça.

En surface, évidemment ça allait tout de suite mieux, mais j’étais sonnée par le choc de ce qui venait de se passer.

Donc c’est ça, un essoufflement. C’est ça, qu’il peut se passer pendant une plongée ? C’est ça, la sensation d’étouffer ? C’est ça, les réflexes de survie qui se déclenchent et peuvent t’amener à aggraver drastiquement la situation, si tu n’as pas ancré dans tes réflexes ceux qui te sauvent, et qui permettent de désamorcer ceux qui te tuent ? Wow.

Tu sais, je me considère très bonne plongeuse. Pas en tous points bien sûr, mais au moins en celui-ci : ma capacité à prendre les bonnes décisions pour ma sécurité et celle des autres. Et ça commence par renoncer à plonger quand tu ne le sens pas.

En surface, le moniteur me calme, zen. Évidemment, tout ceci s’est déroulé en quelques secondes, à 6 mètres, en moins de deux minutes. Pas exactement une situation gravement accidentogène. Tout va bien.

Je reprends mon souffle, il me demande si je veux y retourner. Je réfléchis, et je dis à voix haute :

« Je crois que je vais essayer de redescendre une fois, et si ça passe pas j’arrête »

Il me répond « OK »

Je prends encore quelques respirations, toujours sur le dos, mer calme… Et c’est comme si tout mon esprit se mettait à clignoter rouge.

Non.

Non bien sûr, je ne vais pas y retourner dans ces conditions. On partait pour aller chercher 40 mètres, je viens de faire un essoufflement à 6 mètres, évidemment non, je ne repars pas. Je lui dis :

« Non en fait je vais m’arrêter là. Ça va, mais je m’arrête là pour ce matin ».

Ils repartent pendant que le moniteur qui faisait la sécu sur le bateau me regarde m’en approcher, toujours sur le dos. Au pied de l’échelle, je lui demande de me surveiller, je veux faire un test de lestage. J’ai besoin de savoir si c’est le lestage, le problème.

Immobile, gilet vide… Je m’immerge jusqu’au milieu des yeux. Exactement comme dans les manuels… C’était pas le lestage.

Je me déséquipe sur le bateau, et je retourne immédiatement à l’eau, juste en palmes et combinaison : besoin de rester au contact de l’eau froide, de cette houle si douce ce matin, pour ne pas rester sur cette sensation d’hostilité paralysante.

Et surtout, besoin de me laisser ressentir tout ce qui vient de se passer : j’ai fait un essoufflement, à 6 mètres, sur une immersion après un saut droit du bateau dans une mer calme, soleil, pas de vent. Lestage affiné à la lettre des manuels. C’est ma 12ème plongée cette saison, la 6ème cette semaine, sur un site que je connais.

Je crois que c’est ça qui m’a le plus secouée, dans cette expérience : l’absence de facteur favorisant. Les conditions étaient parfaites !! Alors quoi ?!

C’était un choc, mais si je te raconte tout ça, c’est aussi parce que c’était une expérience enrichissante. Bouleversante, mais enrichissante.

Déjà, je suis ravie d’avoir ressenti ce qu’était un essoufflement. Je pense que ça m’aidera à mieux réagir le jour où j’aurai à gérer ça sur quelqu’un d’autre.

Ensuite, je suis RAVIE d’avoir vécu ça à 6 mètres, plutôt qu’à 36 mètres. Parce qu’à 6 mètres, même si l’instinct de survie avait gagné le bras de fer, je ne risquais pas grand chose (ok la surpression pulmonaire si vraiment je bloquais poumons pleins à 6 mètres. Tout juste).

Enfin, même si c’est la partie de cette expérience qui m’est le plus difficile à assimiler pour le moment… C’est une excellente chose pour moi d’avoir vécu cet essoufflement sans qu’il n’y ait aucune raison, aucune « faute », rien.

J’ai pas bu d’alcool la veille, j’ai mangé normalement, j’ai petit-déjeuné normalement, je me suis correctement hydratée, rien n’était nouveau, rien rien rien aucune raison.

Je crois que j’avais un peu trop pris la confiance, ces deux dernières années. J’ai vu trop de « mauvais petits gestes » pendant ma formation PADI, trop de « petits défauts » chez les autres, moi qui ai été formée « à l’école UCPA », et quasi-exclusivement à « l’école de Niolon », dont la réputation n’est plus à faire.

Oui, je me considérais comme une très bonne plongeuse, parce que je prends les bonnes décisions pour ma sécurité et pour celle des autres, et DONC il ne m’était jamais rien arrivé. J’avais oublié, je crois, qu’une très bonne plongeuse n’est pas seulement celle qui sait anticiper les incidents et les résoudre avant qu’ils ne posent problème.

Être une très bonne plongeuse, c’est aussi, et c’est primordial je pense : savoir réagir. Surtout quand le problème qui se pose n’aurait pas pu être anticipé.

J’avais oublié, je crois, qu’en plongée, tous les problèmes qui se posent ne peuvent pas être anticipés. (C’était pourtant pas faute d’avoir été rappelée au fait que la majorité des accidents de décompression surviennent alors que les plongeurs ont respecté leurs paramètres de sécurité : et oui j’ai validé mon RIFAP cette semaine, au passage.)

Lorsque ma palanquée est remontée sur le bateau, je leur ai raconté toute la partie sur le message d’erreur, et le double écran survie contre protocole.

Je me suis rendu compte que j’étais encore stressée lorsque j’ai allumé mon téléphone, juste avant le déjeuner. Plusieurs SMS de mon boulot, me demandant une intervention. Ça m’a direct fait monter la pression de zéro à cent, alors même que les demandes n’étaient pas vitales, loin s’en faut.

J’ai immédiatement envoyé un message à mon chef, pour lui expliquer brièvement que ma matinée avait été *compliquée* et que j’aimais autant ne pas avoir à mettre la tête dans le taf si ce n’était pas urgent et bloquant pour les équipes sur place, parce que j’avais besoin de garder la tête ici, à Niolon, et de reprendre mes esprits.

De retour au pôle technique pour l’équipement l’après midi, je n’en menais pas large. J’avais l’impression d’être tombée à cheval le matin, et qu’il fallait que je remonte dessus le plus vite possible, sans quoi j’allais juste nourrir la peur d’y retourner.

Alors même que mon lestage n’était pas en cause, j’ai repris un kilo supplémentaire. C’est psychologique : vu que je sais que c’était pas ça le problème, je m’alourdis, et je cherche ailleurs les causes de mon déséquilibre à la descente. (Et à la remontée, car écoute #JeudiConfession : la veille, lors de la plongée précédente, j’avais éclaté un palier de principe à 2 minutes. Pouf le bouchon !!! Pourquoi ? Mystère. Je l’avais tenu sans vraiment lutter les 4 plongées précédentes, à conditions constantes. Étonnant.)

Le moniteur, d’habitude bien plus énergique et beaucoup moins patient avec notre groupe aux niveaux très hétérogènes, est très zen cet après-midi. Il me ménage, et j’apprécie : je suis (un peu trop ?) focalisée sur mon souffle, je m’écoute, j’essaie de repérer une éventuelle montée de stress, et surtout, sa cause.

On s’équipe, je vérifie 4 fois que ma bouteille est ouverte mais j’oublie de défaire la boucle que je fais sur le détendeur pour qu’il ne traîne pas par terre ; un autre plongeur me le libère alors que j’ai déjà le bloc sur le dos. Je l’attrape, il se met à fuser. Vraiment, est-ce mon jour ??

Mise à l’eau. On palme quelques mètres sur le dos pour trouver le bleu, derrière le bateau. On se calme en surface, tout le monde me regarde et attend que JE dise « OK ça va on peut descendre », évidemment.

Immersion. Je la foire environ pareil que le matin, avec quand même l’impression de moins lutter, parce que là j’ai 1 kg de plus donc faut pas déconner.

Le coeur augmente. Le rythme de ventilation aussi. Cette fois-ci je réagis : je souffle. Je me calme. Tête en bas, je palme. Je suis à 6 mètres, je me redresse. Stabilisation (un peu hésitante) (« Rien du tout t’étais pas stabilisée » aura débriefé le moniteur) (ouais il a pas tout à fait tort mdr).

On descend dans le bleu pour trouver 18 mètres, et pendant la descente… J’avais une sensation étrange. Comme si je comprenais pour la première fois que ce que j’étais en train de faire n’était pas anodin. J’ai eu peur, ouais. J’ai eu peur ce matin en m’étouffant sans raison, et j’ai eu peur cet après-midi, en tombant dans le bleu, en réalisant que j’étais en train de m’enfoncer dans un milieu hostile.

Je le savais déjà, mais c’était la première fois que je le ressentais vraiment. Oui, c’est comme si j’étais remontée à cheval après une chute, et que pour la première fois, j’avais compris que c’était un animal puissant, capable de me briser tous les os du corps. Pas juste « une monture ».

Bref. 18 mètres. On s’entraîne à ressentir la bonne vitesse de remontée au gilet (ouais je sais c’est du N2 mais on a fait de la merde sur les premières plongées donc on revoit les bases).

Je suis mal stabilisée. Je suis trop lente.

On redescend et on commence l’explo. Le moniteur intervient deux fois parce qu’on manque le chemin du site (bon la première fois j’y étais, je voulais JUSTE voir la patate avant de bifurquer, mais la deuxième fois c’est moi qui le fais intervenir parce que je trouve pas la putain d’arche, et j’ai pas l’impression que mes deux trinômes sont plus avancés que moi.)

Le moniteur nous arrête tous les trois à un moment pour nous faire une démonstration de palmage, parce qu’on est jambes pliées, à pédaler. (Qui suis-je ??? Qu’est-ce qui me prend ??!)

On ne retrouve pas le bateau. On sort au parachute dans le bleu, à 100 mètres du bateau : je suis partie plein ouest, le bateau était nord-ouest.

Lâché de parachute mi-gonflé : je commence la manoeuvre à 6 mètres, je la termine à 9 mètres. HALLUCINANT !

Je tiens le palier en gardant mon parachute dressé, mais finalement je commence à remonter malgré moi, donc je lâche l’affaire avec le parachute, qui s’affaisse complètement, et je tiens mon palier à 5 mètres.

Mon dieu. Sans doute l’une de mes pires plongées, d’un point de vue technique. Indigne d’un niveau 3, et même indigne d’un niveau 2, j’en ai conscience.

Mais je me souviendrai de cette plongée. Parce que c’était la première de ma nouvelle vie de plongeuse : avec la peur. Avec la conscience que tout peut arriver à n’importe quel moment. Avec l’humilité de cette prise de conscience, et avec la nécessité de retrouver et reconstruire la confiance en mes acquis.

Je ne suis pas une très bonne plongeuse parce que je prends des bonnes décisions, que je suis forte en théorie et que je suis à cheval sur la sécurité.

Je suis une très bonne plongeuse parce que je n’aurai jamais fini d’apprendre à plonger, parce que je ne perdrai plus la peur ni l’humilité indispensables à cet apprentissage.

Plongée n°121 : 7,5 mètres, 1 minute.

Et si j’ai eu besoin de te raconter tout ça, c’est parce que j’ai pensé à toi, quand je me suis remise à l’eau juste après l’essoufflement, que je me suis passé image par image cette séquence d’à peine quelques dizaines de secondes.

Il y a eu ce moment, quand j’ai compris que c’était un essoufflement, que le protocole m’a dit “EXPIRE” et m’a fait chercher des yeux le moniteur : j’avais déjà vécu cette scène, cet instant précis. Le jour de mon baptême, juste quand tu me récupères après la bascule arrière, que je suis poumons pleins, yeux exorbités, que tu me fais signe de souffler et que je secoue la tête en réponse parce que je peux pas, impossible, je vais me noyer, et que tu insistes, le regard zen : si, fais-moi confiance, souffle.

Je souffle.

Et tu connais la suite 🙂

C’est quand même fou d’avoir oublié d’expirer profondément, alors que c’est littéralement la toute première leçon de plongée que j’ai prise !

Épilogue

De retour sur le bateau, le moniteur nous débriefe. Il a regardé mon immersion et bien sûr que je galère : j’ai fait n’importe quoi. Mi-phoque, mi-canard, mi-j’essaie de descendre à plat ventre. Donc en fait il y avait bien une cause à toute cette histoire : où est passée ma technique d’immersion ?!

Également : nous étions sur le site de l’Arche du Moulin, à Niolon. Pour l’anecdote : c’est là que j’avais fait ma toute première plongée en autonomie, N2 fraîchement validé. Avec mon binôme, nous avions trouvé l’Arche ET le bateau, dans une purée de pois je dois dire. C’était pas mer calme et grand soleil comme aujourd’hui.

¯\_(ツ)_/¯

Moralité ? C’était dans le texte : je ne perdrai plus la peur ni l’humilité indispensables à cet apprentissage.

Crashing Waves

Happy Birthday, bitch. Un peu en avance, je sais. Mais comme je te sens piétiner juste derrière la porte, je prends les devants.

Le 23 juillet 2017, je t’écrivais une lettre de rupture. Connasse.

Et ne crois pas que je ne t’ai pas vue, pas sentie, que je n’ai pas subi tes assauts, tout au long de l’année. Tenir la rupture est presque aussi difficile qu’entretenir une relation, je crois.

Parce que tenir la rupture avec toi, ça veut dire entretenir ma relation à moi-même. Et c’était plus facile, il est vrai, de se laisser porter par tes courants.

Plusieurs fois, j’ai senti le niveau de l’eau monter. Silencieuse, douce, tiède et irrésistible. Ça va, je respire toujours. Mais mes mouvements sont de plus en plus lents et difficiles, contraints par la résistance et l’inertie de toute cette eau qui ne cesse de monter.

Lorsqu’elle atteint les yeux, je suis déjà en train de me noyer.

Tu m’étonnes que je chiale en écoutant La Marée, de L.E.J. C’est notre chanson, à toi et moi. Connasse.

La marée monte, inexorable, et lutter m’épuise. Mais si je cède, c’est la noyade. Alors je m’équilibre. Comme je peux.

Je m’appuie sur les autres, un peu. C’est nouveau. Avant j’étais seule, et tu profitais de cette solitude pour m’emmurer dedans.

C’est plus difficile pour toi de me pourrir la tête lorsque je trouve autour de moi des épaules plus solides que les miennes pour la reposer.

Parfois les autres flanchent parce qu’ils sont tout aussi humains que moi. Tu reviens à la charge. Tu les accuses de trahison, et c’est un comble venant de toi, la pire des traitresses, toi qui avances masquée, larvée, vicieuse, sournoise. Connasse.

Je vacille mais ce n’est pas de leur faute. C’est de la tienne. C’est toi qui me déséquilibre. Je tiens debout seule, et je le sais. Je résiste mieux aux assauts de tes vagues lorsque je ne suis pas seule, je le sais aussi. Mais je résiste quoiqu’il arrive.

La marée monte, mais je résisterai. Bon anniversaire de rupture, connasse. Tu traînes toujours dans les parages mais tu ne partages plus mon lit, mes repas, mes doutes, tu ne dilues plus mes plaisirs et tu ne fais plus partie de ma vie.

La marée monte et je fais avec. Hier je retenais ma respiration, aujourd’hui je prends de la hauteur. À chaque fois que l’eau monte, je cherche à monter aussi. Tu ne me laisses pas le choix, et je ne ferai plus jamais celui de te céder.

Tes vagues continuent de s’écraser à mes pieds. Elles m’éclaboussent encore, parfois. Tu entaches mon quotidien, lorsque l’eau monte plus vite que moi. C’est pas grave. J’ai appris à marcher à contre-courant de tes vagues.

Je les laisse s’écraser lorsqu’elles deviennent trop menaçantes. Résister, c’est parfois accepter de subir, pour ne jamais céder.

Je n’ai plus peur de toi, connasse. Dans une semaine, ça fera un an que j’ai tourné cette page. Et il y a deux semaines, ça faisait un an que j’écrivais ces mots:

« Plus jamais je ne souffre pour m’apprendre à ne plus souffrir »

Tout ça c’est derrière moi. Tu es derrière moi, et plus accrochée à mon dos.

Bon débarras. Connasse.

Comment je fais pour ne pas me laisser submerger ?

J’adore la plongée parce qu’elle me ramène toujours à l’essentiel : respire, ne lutte pas contre l’hostilité de l’environnement (car tu vas perdre lol), et apprécie le spectacle, le moment.

Ton temps ici est compté, donc savoure-le, et quoiqu’il arrive : ne le subis pas, sinon il risque de t’arriver des bricoles.

Pourquoi c’est pas aussi simple à la surface ? La même urgence s’applique pourtant :

  • Respire.

Respire, comme priorité : si tu vas mal, rien ne pourra aller. Respire, comme base : si tu n’as ni le temps ni l’énergie de respirer, tu n’auras ni temps ni énergie pour quoi que ce soit d’autre.

  • Ne lutte pas.

Ne lutte pas contre les éléments : les éléments SONT. Ce sont des données. Tu peux parfois réussir à influer sur eux, mais au prix de quels efforts ? Pourquoi entrer en résistance d’emblée, lorsque tu peux t’adapter, utiliser les opportunités qu’offre cet environnement, même hostile ? Par exemple, sous l’eau, certes tous tes sens te lâchent plus ou moins, mais la gravité disparait. Franchement, ça s’apprécie. Et personne ne te conseillera de te barder de plombs pour refaire apparaître la gravité dans tes sensations…

  • Apprécie.

Apprécie le spectacle, le moment. Quoi, ta vie quotidienne n’est pas le théâtre d’émerveillements, d’émotions, de créations? Si bien sûr, c’est juste que tu ne prends ni le temps ni l’énergie de les apprécier.

* * * * *

Je suis posée sur la terrasse de Cap Croisette, et je regarde le soleil, pudiquement voilé de coton bleuté et rosé, se noyer silencieusement derrière l’horizon. Il laisse traîner quelques rayons sur la toile claire, striée d’or, de soie et de cuivre. Les cris de quelques mouettes viennent ponctuer le clapotis délicat de l’eau que les vents ont enfin cessé de tourmenter. Au-dessus de moi, le bleu m’aspire, il m’allège des derniers tracas que les masseuses du SPA de La Palud n’ont pas su extraire de mon dos.

Ce moment dure depuis plusieurs minutes, parce que je le fais durer. Ce n’est ni le soleil, ni le vent, ni la mer ni le ciel qui prennent leur temps pour me permettre d’apprécier ce spectacle. C’est moi qui m’offre ce temps, immobile, inactive, si ce n’est pour ces quelques lignes que je mets de longue minutes à taper.

Je laisse aux mots le temps de venir. Ils naissent lorsque je laisse éclore librement les émotions. Lorsque je ne les réprime pas, lorsque je ne les brusque pas. Lorsque je les laisse bourgeonner, éclore, fleurir, fâner, en quelques instants comme en plusieurs heures, souvent.

Comment je fais pour ne pas me laisser submerger ?

Ma première pensée face à ce coucher de soleil a été : « demain soir, retour à Paris ».

Non mais sérieux : « demain soir, retour à Paris ». Je m’auto-insupporte dans mon incapacité à apprécier ce qui se passe devant mes yeux, pour me projeter 24 heures plus tard, en plus dans une configuration négative: en vrai je suis heureuse de rentrer à Paris car ça fait bientôt 9 jours que je suis coupée d’Internet et donc d’environ 85% de ma vie, mais FORCÉMENT, comparer « retour à Paris » avec ce coucher de soleil idyllique, FORCÉMENT je viens greffer une émotion négative sur « retour à Paris ».

Mais je fais ça combien de fois par jour exactement?? C’est-à-dire :

  • Ne pas apprécier le moment présent
  • Me projet dans futur lointain (vraiment, 24h quand il me reste 2 plongées sur 3 à faire, c’est : LOIN.)
  • Amarrer une émotion négative à cette projection

À vue de nez, je dirais que je fais ça… En permanence. mdr.

¯\_(ツ)_/¯

Excellent. Surtout ne change rien, c’est par-fait!!! (J’adore être sarcastique envers moi-même. Ça me permet de dédramatiser ma propre bêtise).

J’ai passé tout un été à utiliser ma formation de plongeuse pour en faire une formation de management. Cool. Il y a d’autres leçons à tirer de la plongée pour ma vie quotidienne.

Le lestage : si tu prends trop de poids, tu coules

En plongée, pour s’immerger, il faut se lester. Le nombre de poids qu’on prend dépend de son expérience (donc de son aisance, de sa stabilité au fond de l’eau), mais aussi de sa densité (densité naturelle (celle du corps), épaisseur de la combinaison, flottabilité du matériel qu’on embarque, etc).

Débutante, j’avais 5kg à la ceinture. Aujourd’hui, à conditions égales, j’en suis à 3.

Dans la vie, je suis plus expérimentée qu’il y a quelques années. Je suis capable d’assumer plus de responsabilités, d’assumer une plus grande charge de travail qu’il y a quelques années. Mais ça ne veut pas dire que je peux continuer à me charger progressivement.

Tout comme je ne serai jamais à 0kg de lestage, à conditions égales.

Pourtant, au quotidien, je continue de m’ajouter des tâches, des missions, des objectifs, des responsabilités, comme si ma capacité d’assimilation était infinie.

Leçon n°1 : know the weight you can carry. Si tu prends trop, tu coules. Tout simplement.

Le profil de plongée : si tu prévois trop ambitieux, tu étouffes

Une plongée, ça se planifie. Tu sais pour quelle durée et quelle profondeur max tu pars, tu anticipes ton itinéraire, et tu t’équipes en conséquence.

Voici ce qui ne peut pas arriver en plongée : continuer de s’enfoncer, de mètre en mètre, parce que, tu comprends, « il faut bien y aller ».

Si tu ne respectes pas ton profil de plongée, si tu pars plus ambitieuse que tes ressources ne le permettent (c’est-à-dire : ton air!!), tu vas au devant de sérieuses déconvenues. (Comme par exemple : la mort!!! Excellent délire).

Qu’est-ce qui me prend de blinder 2 jours de taf dans une seule journée, et qu’est-ce qui me pousse à croire que « nan mais ça va passer » ? J’ai déjà réussi à faire « une troisième après-midi » comme je les appelle, de 20h à minuit ?

Oui j’y arrive mais je tape dans la réserve, et on ne doit pas y toucher, elle ne doit servir qu’en cas d’urgence, justement. Je me fous toute seule dans le rouge en ne respectant pas cette règle élémentaire : les ressources d’urgence sont réservées aux urgences. Pas aux « mais dans 3 jours c’est le week-end alors j’aurais le temps de récupérer ». Ne marche pas mieux avec « mais dans 3 semaines j’ai une semaine de vacances alors jpeux dormir 4h par nuit, on est large ».

Je sais pourquoi je fais ça : je suis ambitieuse. J’ai l’impression de manquer d’ambition lorsque je ne remplis pas mon agenda au taquet de la réserve. Comme si je ne respectais pas les opportunités que m’offrent ma position, le moment.

Mais c’est aussi pété que de vouloir sucer les dernières lampées d’air au fond de la bouteille, au motif que l’océan est trop vaste pour se limiter seulement à 34 minutes de plongée.

Oui ben minute, on remonte, on recharge et on revient. ON RECHARGE. C’est en ne prenant pas le temps de recharger convenablement, en sous-estimant les ressources nécessaires que je ne respecte pas les opportunités qui me sont offertes.

Leçon n°2 : know the fuel you can burn. Si tu ne recharges pas, tu crames. Tout simplement.

Focus sur ce que tu es en train de faire

Une autre magie de la plongée : sous l’eau, je ne pense à rien d’autre. J’ai connu si peu de situations dans ma vie, capables d’absorber toute mon attention sans qu’elle ne se divise.

Mais sous l’eau, impossible de penser à mon agenda qui se remplit à vue d’oeil, y compris en mon absence. Impossible d’anticiper les problèmes que je vois poindre dans les semaines à venir, les challenges qui m’attendent, les noeuds que je n’ai pas encore attaqués et qui auront encore empiré en mon absence.

Sous l’eau, il n’y a que : sous l’eau. Ce qu’il se passe devant mes yeux, le froid, les mouvements gracieux des poissons, le froid, la lumière bleue, la danse des algues, le froid, les rayons du soleil, le froid. Le bleu. Et moi, en apesanteur.

Ok, ça ne m’est pas naturel, mais j’en suis capable. Si je dois déployer des efforts dans les semaines à venir, essayons celui-ci : focus sur ce que tu es en train de faire.

Arrête d’anticiper, et surtout, arrête d’anticiper le négatif. Ça ne veut pas dire d’oublier les risques, ça veut dire : n’anticipe pas le pénible.

J’ai plus de 110 plongées au compteur, et jamais, pas une seule fois au cours d’une plongée, n’ai-je pensé : « ah trop relou quand il faudra laver-ramener-ranger le matériel tout à l’heure, au retour du bateau ».

Jamais.

Leçon n°3 : stand still to stand strong. Si tu penches toujours vers l’avant, tu perds l’équilibre.

Ne pas se laisser submerger : c’est ta décision

C’est pas toujours une partie de plaisir. Engoncée dans le néoprène rendu brûlant par le soleil, strappée aux douze kilos du scaphandre autonome, lestée de plomb, je suis tout sauf à l’aise. Le kif n’est pas présent.

Mais je sais pourquoi j’endure le calvaire de la préparation et du transport du matériel. Ce pourquoi donne du sens à la pénibilité, et la transforme en nécessité. Ce n’est pas une pénitence, c’est une étape.

Ma première fois, j’ai cru que j’allais couler direct dès la mise à l’eau. Forcément, je pesais une demi-tonne avec tout ce barda.

Sauf que non, tu ne coules pas. Cf la densité, Archimède, et caetera. Pour s’immerger, il faut faire un effort. Ce n’est pas naturel, et même complètement équipée pour plonger, l’immersion n’est pas automatique : elle se provoque.

Et voilà où je veux en venir. Comment je fais pour ne pas me laisser submerger ? C’est assez facile : tu décides de ne pas te laisser submerger. On n’est pas fait pour couler, tu sais. Naturellement, tu flottes. Quand tu coules, c’est que tu t’es coulée toute seule comme une grande.

Les voisins passent à ce moment précis « Je marche seul » à toute blinde, et je me rappelle à quel point j’aime les chansons de Goldman. Je ne me rappelle pas la dernière fois que j’ai pris le temps de hurler du Goldman à tue-tête toute seule chez moi. Je me demande s’il y a des soirées karaoké à Paris où ils passent du Goldman.

« Je m’en fous de tout, de ces chaînes qui pendent à mon cou,
J’m’enfuis, j’oublis,
Je m’offre une parenthèse, un sursis »

Ils enchaînent avec « Je te donne », l’une de mes chansons préférées au monde.

« Je te donne ce que j’ai, ce que je vaux ».

Oui, je donne beaucoup, je reçois beaucoup aussi. Mais je ne ME donne pas assez au quotidien, et je n’apprécie pas assez ce que je reçois.

Leçon n°4 : Don’t go under. Breathe in to stay afloat. Si tu arrêtes de respirer, tu coules. Si tu décides de couler, tu coules.

Des « Bonne Idée » à se remémorer

Ces neuf jours de vacances auront à peine suffi à me sortir du rouge. J’ai tellement l’habitude d’être au taquet de la réserve que j’avais même pas senti que j’y étais depuis des semaines déjà.

Il me faudra encore le week-end prochain pour revenir dans le vert. Mais je suis contente de m’être octroyé ces 9 neufs jours avant l’été, ça me donne donc tout l’été pour mettre en place ces excellentes leçons, dans le but de ne plus me laisser submerger.

(« Bonne idée », qui est clairement ma JJG pref, ex-aequo avec « Si j’étais né en 17 à Leidenstadt »).

« Bonnes idées » pour la semaine à venir :

  • ne pas reporter « tout ce qui ne rentre pas dans la semaine » sur le week-end (garder le week-end pour le kif, pas pour les nécessités).
  • ne pas reporter mes rendez-vous médicaux/bien-être au motif que « cette semaine, ça va être tendu ». Oui et ce sera d’autant plus tendu si je repousse ce qui est censé me faire du bien et me soulager. Duh.
  • ne pas planifier 3 demi-journées de travail sur une seule journée de travail. (On dirait de la logique élémentaire, n’est-ce pas)
  • solliciter de l’aide lorsque je me sens submergée.

Tu sais, comme en plongée, quand tu manques d’air. Combien de temps tu crois que t’attends avant d’appeler à l’aide ? Indice : vraiment pas longtemps!!!

Fais pareil à la surface, pour voir.

« Et puis y a toi qui débarque en ouvrant grand mes rideaux,
Et des flots de couleurs éclatent, et le beau semble bien plus beau,
Et rien vraiment ne change, mais tout est différent,
Comme ces festins qu’on mange seul ou en les partageant »

* * * * *

J’ai fini ma dernière relecture. Les voisins passent « place des Grands Hommes », mais je te propose qu’on se donne plutôt rendez-vous dans dix semaines.

Parce que dix ans, c’est trop loin. C’est maintenant que j’ai envie d’aller mieux, pas dans le futur.

(Ah bah tu vois quand tu veux!!)

No time like the present.

* * * * *

Je me suis interrompue pour faire ma méditation du jour, parce que j’en avais envie, et tant pis si j’avais pas fini d’écrire ce billet. Résultat : la Terre ne s’est pas arrêté de tourner (fou!!). Mais aussi : les clins d’oeil de l’univers…

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Ton temps ici est compté, donc savoure-le. Et quoiqu’il arrive : ne le subis pas, sinon tu en crèveras.

« Je marche seul
Quand ma vie déraisonne
Quand l’envie m’abandonne
Je marche seul
Pour me noyer d’ailleurs
Je marche seul
Dans les rues qui se donnent.
Et la nuit me pardonne, je marche seul.
En oubliant les heures.
Je marche seul.
Sans témoin, sans personne.
Que mes pas qui résonnent, je marche seul.
Acteur et voyeur.
Je marche seul.
Dans les rues qui se donnent.
Et la nuit me pardonne.
Je marche seul.
En oubliant les heures.
Je marche seul.
Sans témoin, sans personne. »

Lose the round, win the fight

« Vous avez déjà entendu parler de l’endométriose ? »

C’est étrange, de perdre un bras de fer contre soi-même.

C’est étrange, aussi, de poser une question à laquelle il n’y a aucune bonne réponse. Pas de réponse n’est pas une bonne réponse. Toutes les réponses connues sont des mauvaises réponses.

C’est étrange, d’être malade à cause de l’étranger en soi.

C’est la définition même du cancer, n’est-ce pas ? Un corps étranger qui se développe, caché dans ton corps, jusqu’à ce qu’il interfère avec le fonctionnement normal de ton organisme.

Reprends ton « cadeau » empoisonné, Mère Nature

Tous les mois, environ, souvent un peu plus, parfois un peu moins, il fait des siennes, cet organe que je n’ai jamais demandé, mais qui apparemment, est installé en série.

De « mauvais moment à passer », mes règles sont devenues un moment qui ne passe plus.

Il a fallu que pour le 4ème mois consécutif, je me retrouve prostrée, prise de tremblements, de violentes nausées, de diarrhées, que je gémisse et que je pleure de douleur pour trouver enfin la force de m’avouer vaincue.

Non, je ne tiendrai pas. Non, je ne peux pas « serrer les dents » quelques heures par mois, un ou deux jours tout au plus. Je ne peux plus miser sur ma capacité à supporter cette douleur : l’idée même de cette douleur m’est déjà insupportable. L’idée de sa normalité m’est intolérable.

Dimanche soir, la douleur a dépassé le seuil de ce que je pouvais endurer. Je me suis brûlé la peau avec la bouillotte médicale, j’ai failli m’assommer, j’ai hésité à me blesser pour pouvoir appeler les pompiers, qu’on vienne me chercher, qu’on me shoote un anti-douleur vraiment efficace et qu’on m’emmène à l’hôpital.

Au lieu de ça, j’haletais comme un cheval à l’agonie, qui attend d’être abattu : pourvu que ça s’arrête.

Je ne veux ni d’une maladie inconnue, ni d’une maladie incurable

Ça ne s’arrêtera pas.

La sage femme m’a posé une batterie de questions sur moi, sur ma vie, sur les cycles de la douleur, ses intensités, tout. Quand elle m’a demandé si j’avais déjà entendu parler de l’endométriose, j’ai voulu lui répondre que je ne voulais pas en entendre parler.

Je ne veux pas d’une maladie incurable.
Je ne veux pas d’une maladie qu’on ne peut que gérer, et qu’avec des hormones.
Je ne veux pas d’une maladie dont on ne peut se débarrasser que par l’ablation de l’utérus, et encore, sans garantie de ne plus jamais subir des relents d’attaque. Un putain de cancer, cette saloperie.

Je ne veux pas non plus rester sans réponse.

J’écris ce soir parce que demain, je vais subir une échographie pelvienne et endovaginale, à la recherche de signes d’endométriose.

Je ne veux pas rester sans réponse, et je ne veux pas de la seule réponse accessible : c’est l’endométriose ou c’est pas l’endométriose.

Je ne veux plus souffrir

J’ai mal. Une partie de mon corps produit chaque mois une douleur que le reste de mon corps n’encaisse pas. Ça ne peut pas être normal, ça ne peut pas rester sans réponse.

Je ne peux plus accepter cette situation, je n’en peux plus de subir cette situation, et c’est bien là le noeud de mon problème: entre subir et choisir, la distinction est parfois ténue, mais il y a toujours la possibilité de choisir, tant qu’on peut choisir l’acceptation.

Or, je n’accepte plus cette souffrance.

Peu importe la réponse qu’on me donnera dans les semaines à venir, ce sera une mauvaise nouvelle. Il n’y a pas de bonne nouvelle quand il n’y a pas de solution.

Et si je pleure ce soir, c’est que je termine le deuil d’une partie de moi qui a pris trop de place dans ma vie, qui m’a causé trop de souffrances, et dont je dois envisager de me séparer, avec les risques que cela comporte.

C’est la pire des trahisons : celle de ta propre chair.

J’en peux plus. J’ai vraiment plus la force. Alors, j’ai perdu le bras de fer.

J’hésite : je ne sais pas si je préfère une réponse sans solution, ou des solutions sans réponse. Mais si, au fond, je le sais.

Je me satisferais de : ne plus souffrir. Et ne pas finir aux urgences avec un couteau en céramique planté dans le bas-ventre.

Je n’aurai sans doute pas de réponse, mais je ne cherche pas des réponses, je veux des solutions.

Take your losses.
Quit this round.
Breathe.
Get back up.
Win the fight.

Impuissance

D’abord, un choc assourdissant, qui te laisse débile. Un coup dans la tête, qui te fait perdre l’équilibre. Un coup dans l’estomac, qui te fait perdre l’appétit. Un coup dans la poitrine, qui te coupe le souffle.

Et puis, la chute. Tu t’allonges le temps de reprendre tes esprits, mais le poison qui s’infiltre et se répand dans tout ton organisme te paralyse.

Le lit qui te soutient devient ton sarcophage: il t’engouffre, t’engloutit. T’immobilise.

Tu respires à travers un masque de plomb, fondu sur les os de ton crâne. Tu le sais, parce que tu le sens: ses pattes métalliques pénètrent tes sinus, les tréfonds de ta boîte crânienne. Chaque mouvement trop soudain déclenche une décharge électrique, suivie d’un coup de massue.

Alors, tu ne bouges plus. Jusqu’à ce que la douleur disparaisse, et que tu oublies qu’elle reviendra. Immobile, ça va. Alors, tu te lèves, et le masque de plomb t’étouffe, le coup de massue t’assomme.

Tu te recouches. Tu ne dors pas, parce que tu respires mal à travers le masque de plomb. Tu restes prostrée. Attendre que ça passe. La patience est la seule force que tu peux actionner sans faire un mouvement. C’est la seule force qui te reste.

L’impuissance est un état vertigineux. La sensation de ne plus avoir les pieds sur terre ni la tête sur les épaules, et en même temps, sentir le poids du monde écraser ces épaules, la peine du monde t’éclater la tête, le passage du temps éroder tous tes membres.

À chaque fois, je suis impressionnée, à tel point que j’oublie. Et la fois suivante devient une première fois, parce que j’ai oublié le poids du sarcophage, et du masque de plomb.

Cette fois-ci, le poison était dans mes poumons. Insupportable niveau d’impuissance, rarement atteint. J’ai cherché dans ces souvenirs que je n’appelle pourtant jamais, ceux des impuissances passées.

Trois visites chez un médecin pour une maladie, ce qu’il fallait pour trouver le bon antidote. La bonne combinaison de pilules pour réussir à faire fondre le masque.

Parfois je me dis que c’est dans ma tête. Que c’est ma peur de la pollution qui me colle ce masque de plomb. Mais cette fois, c’était loin de ma tête, jusqu’à ce que la toubib pose le diagnostic. Ça ne m’avait même pas traversé l’esprit.

Je n’ai pas compris ce qui m’arrivait, mais pour une fois, j’ai écouté. Démonstration par l’exemple qu’on peut écouter sans comprendre, c’est une question de volonté.

J’ai regardé mon corps s’effondrer, s’enliser dans le sarcophage, lutter vainement quelques instants contre le masque de plomb avant de rendre les armes.

Je me suis regardée, à quelques pas de moi-même, impuissante. Et j’ai accepté cet état, moi qui l’ai tant nié, aggravant mes blessures à lutter sans ressources contre des forces qui me dépassaient.

Pour une fois, je me suis écoutée. Impuissante, certes, mais pas encore battue. Ni obstinée.

C’est sans doute la première fois depuis longtemps que je gagne un bras de fer seulement par la patience. Aucune autre force, puisque je n’en avais plus.

Ironique, n’est-ce pas ? Que la dernière de mes forces soit la patience.

À méditer.

«Check your ego at the door» is the reason why I never cross the threshold

J’ai besoin de me construire un ego.

Wow, nan mais la meuf. Voilà la première pensée qui m’a traversé l’esprit après avoir écrit cette phrase. Évidemment. J’ai tellement pas d’ego que la simple envie d’en construire un me déclenche une réaction de « calme-toi bien et dégonfle un peu ». C’est exactement le fond du problème.

J’ai besoin de prendre un peu de place, ça ne veut pas dire « j’vais tout écraser sur mon passage ». Mais dans ma tête, si.

« Sois gentille », ne dérange pas

Tout ça remonte au « sois gentille» de mon enfance, l’injonction à être sage, sous-entendu : ne pas déranger. Ne pas déranger les adultes, ne pas déranger les autres enfants, ne pas faire chier qui que ce soit d’aucune manière.

Sois gentille, mais aussi sois humble, sois modeste, sois ouverte d’esprit, sois souple, adapte-toi à toutes les situations.

Que des bons conseils, le problème, c’est que j’ai d’abord appris à respecter les autres, toutes leurs frontières et toutes leurs exigences, avant de poser les miennes.

J’ai 30 ans, je suis face à la mer, et je me demande : qui suis-je, et de quoi ai-je envie dans la vie ?

Tu me diras, c’est toujours mieux de se poser la question à 30 ans qu’à 80, certes, n’empêche que ça reste hallucinant d’avoir vécu trois décennies sans réfléchir à ces deux questions.

Surtout que j’ai une très bonne idée de ce que mes proches veulent pour moi dans ma vie. Des gens qui ne sont pas moi ont, depuis longtemps déjà, réfléchi à ce que je pourrais être, ce que je pourrais faire, ce que je pourrais devenir.

Et moi non, en fait.

Tu vaux mieux qu’un couteau suisse

Parce que mon but dans la vie, c’est d’être utile. Ok cool, sauf que je suis une personne, pas un couteau suisse, donc j’ai potentiellement la place pour être autre chose que « juste » utile, dans ma vie. Et même un couteau suisse a plusieurs fonctionnalités, c’est dire si moi aussi, j’ai le droit d’être plusieurs choses à la fois.

(Même pour écrire ça, faut que je me justifie en invoquant un couteau suisse. Ce serait risible si c’était moins dramatique).

Donc. J’ai besoin d’ego. Je me suis dit ça aujourd’hui en me demandant pourquoi je me laissais autant arrêter par la peur, dans la vie.

La réponse étant : parce que je ne pense pas réussir à dépasser ces peurs. Pourquoi ? Parce qu’elles sont plus fortes que moi. Pourquoi je pense ça ? Parce que je ne m’accorde pas assez de crédit, pas assez de valeur.

Pourquoi ? Parce que j’ai très peu d’ego, quand j’y réfléchis.

J’ai très peu d’ego dans le travail, ce qui a toujours été uniquement un avantage, de mon point de vue. Je ne suis jamais vexée quand on me dit « c’est naze, recommence », quand quelqu’un critique ce que je fais. Je prends très facilement les commentaires sur ce que je fais : ce n’est pas moi. C’est ce que je fais.

C’est plutôt sain, comme approche. Le vrai problème à ne pas mettre du tout d’ego dans mon travail, c’est que je suis incapable d’en reconnaître et d’en apprécier les réussites. Quand on me fait un retour positif, dans ma tête, je capte un retour inutile. C’est normal si c’est bien. Dites-moi ce qui ne va pas pour que je puisse l’améliorer la prochaine fois.

Il est temps de remettre de l’ego dans mon travail

J’ai besoin d’avoir ENVIE de monter au créneau lorsqu’un sujet me parle, me touche, m’inspire, m’intéresse, me passionne.

J’ai besoin d’avoir LA RAGE d’être la première à m’en emparer, la plus pertinente dans le choix de mon angle, la plus précise et la plus rigoureuse dans l’exécution.

J’ai besoin d’être FIÈRE de mes résultats, de ce que je produis, de mes actions, de mes mots.

Je suis déjà exigeante envers moi-même, surtout dans le travail, mais cette équation est déséquilibrée si je ne mets pas en face LA FIERTÉ qui doit être le fruit de mes exigences.

C’est Aude GG qui me disait : « soyez exigeantes dans le travail, ambitieuses dans le projet ». Je ne peux pas continuer à être aussi exigeante avec moi-même si je ne mets pas en face l’ambition et la fierté.

Il est temps de remettre de l’ego dans mes relations

Bien sûr que je suis incapable de vivre en couple : je ne sais pas faire respecter mes propres limites, évidemment que la perspective de partager ma vie avec quelqu’un me file des sueurs froides. Ça veut dire faire des compromis partout, tout le temps, tous les jours de ma vie… L’angoisse, vu que ma propre définition du compromis consiste à céder tout, tout le temps, au bénéfice de l’autre.

Épatant. Sur cette base, il est évidemment impossible de construire une relation saine. J’arrive à avoir des ami•es uniquement parce que je ne vis pas avec eux, je ne les vois pas tous les jours.

C’est aussi comme ça que j’ai toujours réussi à équilibrer mes relations en colocation : sortir de l’appart quitte à passer la journée au cinéma, quand j’ai besoin de retrouver « mon espace ».

Expliquer à l’autre en quoi son comportement empiète justement sur cet espace est au-dessus de mes forces : je ne saurais même pas par quoi commencer… Je suis incapable d’expliquer en quoi tel ou tel comportement m’affecte, je sais juste que j’ai besoin de partir, alors c’est ce que je fais.

Remettre de l’ego dans mes relations, c’est réfléchir au sens que je leur donne. Qu’est-ce que j’apporte, mais aussi qu’est-ce que j’en retire ? Oui voilà, ça va, c’est pas un gros mot : une relation, c’est un échange. Qu’est-ce que je ramène, mais aussi : qu’est-ce que je viens chercher ?

M’autoriser à me poser cette question, et réussir à y répondre, ce sera la clé de mes futures relations pro, perso, amicales, amoureuses, etc. Des relations dans lesquelles j’existerai parce que je suis capable de faire respecter mes besoins, mes envies, mes limites, parce que je suis actrice de cette relation. (Par opposition à l’heure actuelle, où mes relations qui marchent sont celles où l’autre me respecte « à l’instinct » (sans que j’aie eu à contribuer), ou encore celles où je m’investis très peu.)

Il est temps de me construire un ego, dans la vie

Cinquième « pourquoi » de ma série : alors, pourquoi j’ai aussi peu d’ego, dans la vie ?

Je m’en souviens comme l’une des meilleures leçons de vie jamais reçues, mais je viens seulement de comprendre tout ce qu’elle avait à m’apporter.

C’est une phrase que prononçait régulièrement mon prof de théâtre au Canada, Wayne Goodyer. Il répétait à ses classes « check your ego at the door », ce qui voulait dire : quand vous entrez dans cette salle, dans laquelle, en tant que groupe, nous allons travailler avec nos corps, avec nos voix, avec des rôles, vous devez laisser votre ego à la porte.

Accrochez-le à la patère, au même titre que votre écharpe, votre manteau, ces vêtements qui entravent votre liberté de mouvement.

Vous ne pourriez pas jouer pleinement le rôle que vous aurez à endosser durant cette séance si vous gardez votre doudoune et votre bonnet. C’est pareil avec l’ego : on n’est pas bon comédien quand on se drape d’ego au lieu de, justement, se mettre à nu pour mieux revêtir le rôle qu’on reçoit, quel qu’il soit.

Laissez votre ego à la porte, répétait-il.

J’ai adoré ce conseil. C’était libérateur.

« Check your ego at the door »…

Ce que je n’avais pas compris, c’est que j’aimais autant ce conseil et ce cours parce que je me sentais enfin à égalité avec tous les autres. Si tout le monde laisse son ego à la porte, alors que j’en ai pas, mes relations avec les autres me semblent enfin « naturelles ».

Tout était alors facile : je pouvais dire ce que j’avais sur le coeur, critiquer, améliorer, refuser, demander… Plus personne n’avait d’ego, et lorsque quelqu’un se parait du sien pour réfuter une requête ou faire un commentaire, ça se voyait, c’était évident. La personne était vite recadrée, et M. Goodyer répétait :

« Check your ego at the door ».

Sauf qu’à la fin de la séance, chacun récupérait son ego, en renfilant aussi son manteau, son bonnet, son écharpe et ses gants.

Moi non.

…So I never cross the threshold

J’ai passé le plus clair de mon année dans cette salle de cours, je m’y sentais si bien. J’y passais toutes mes pauses, en compagnie des autres « drama freaks ». Ceux qui savaient laisser leur ego au vestiaire, le temps de nos conversations.

Je me disais que c’était encombrant d’avoir de l’ego, je n’en avais jamais compris l’intérêt.

Je comprends, aujourd’hui, que mon manque d’ego est la raison pour laquelle j’ose si peu, dans la vie. Je ne passe pas le seuil de toutes ces portes où il faudrait laisser son ego au vestiaire pour éviter de le blesser inutilement : j’en ai pas, alors c’est moi qui vais me faire du mal si je continue.

Je me suis toujours dit que c’était cool de pas mettre d’ego dans le travail ni dans mes relations, parce que comme ça, je ne risque pas de le blesser. Mauvais calcul… Les blessures à l’ego sont hyper faciles à soigner.

L’ego sert à ça, en plus : c’est une armure, que tu revêts pour affronter la vie, faire respecter ton espace, tes limites, tes idées, tes besoins, tes envies. Et oui, parfois, ça clashe avec d’autres personnes, avec les aléas de la vie.

C’est l’ego qui prend. C’est pas grave, respire un coup, bois un verre d’eau, tape une colère ou une crise de larmes et ça ira mieux. Voilà, c’est ça un ego blessé. Même pas besoin de point de sutures.

En attendant, moi, je me balade à poil, je prends des coups dans tous les sens, j’ai des bleus de la taille d’un ballon de rugby, et quand on me demande « mais pourquoi tu m’as pas dit que ça te posait problème ? », je réponds « je voulais pas déranger ».

Voilà. Tout est dit…

Avoir de l’ego, c’est faire respecter mon droit d’exister

Avoir de l’ego, c’est avoir le droit d’exister, et se donner la légitimité de faire respecter ce droit. C’est tout, c’est déjà pas mal. Je peux commencer par là. C’est quoi la place que je veux prendre ?

Quelles sont mes envies, quels sont mes besoins, quelles sont mes limites ?

Qu’est-ce qui me fait peur, qu’est-ce qui me rend fière ?

Qu’est-ce qui me fait me lever le matin, qu’est-ce qui me donne de l’énergie, qu’est-ce qui m’en coûte et pourquoi ?

Je peux réfléchir à ces questions et en trouver les réponses, mais ça me fera une belle jambe si je ne suis pas prête à faire respecter ces réponses. Par moi-même, déjà, puis par les autres.

Je dois mettre de l’ego sur la définition de mon « non négociable ». Avoir de l’ego, c’est la base pour pouvoir être respectée. Par moi-même, pour commencer.

Who the fuck am I?

Who the fuck am I? Well, that’s the million dollar question, isn’t?

Fun fact: I’m afraid of the answer. I have this idea of the person I should be, who I want to be, who I try to be… But I’ve never really stopped and taken a good long hard look at myself to figure out whether or not I fit the part.

I know I want to be useful in this world. I don’t care the least about «becoming someone», but I do want to accomplish something. Something that I could look back on from my deathbed, and dissolve my regrets.

I also know that I don’t want to be on my deathbed to decide whether or not my time on earth has been put to good use or not. I need to have a reason to get out of bed every single damn day. It’s the curse of depression: if I don’t have a reason to wake up, then why would I?

If I don’t have a reason to live, then why live at all? It’s so exhausting. What could possibly make all of these trials worth their trouble?

That’s the million dollar question, isn’t it. Why am I so incapable of asking myself that simple question: who are you?

Why am I so incapable of hearing that question, and thinking about what the answer might be. Who am I? Not to others, but to myself. Don’t tell me you’re the funny one, you’re the leader, you’re the capable one, you’re the eldest, you’re this, and that…

It’s not «what» are you, it’s WHO are you. Not to others, not in this society, not in theory. Who are you?

Help yourself, for a change

It’s funny because the reason why I am so good at helping others, is precisely because I know «who» they are. Through their speech, their non verbal communication, their eyes, their laughs and tears, their confessions, their aspirations, I figure out what they want, what they need.

This is my secret to know just what that person might need to hear, at that precise moment. I’ve stopped doing that, though. It’s freaky when someone you barely know comes up with the exact words you needed to hear. I’m not your guardian angel nor am I your soulmate, sent from destiny. I’m just good at reading emotions.

Everyone’s emotions, except my own. I discard them, because… Well I don’t really have a good excuse for that one. I guess, because reading into my own emotions would allow me to know precisely what to tell myself, and what to do in order to improve my life, my well being.

But then if I don’t act on it, or if I don’t succeed, it’s my own fault, right?

Blessed are the ignorant, as they say. If I don’t know what’s wrong with me, I can’t fail at helping myself.

This is why I have no clue as to who I actually am, this is why I dedicate every fiber of my being towards others: not out of altruism, but out of fear.

I’m afraid

I’m afraid. This is the main emotion that’s been blocking my throat all these years.

I’m afraid of failing. Failing, failing myself, failing others.
I’m afraid of hurting. Hurting myself, hurting others.
I’m afraid of disappointing. Disappointing myself, disappointing others.
I’m afraid of being powerless.
I’m afraid of being useless.
I’m afraid of drowning: in work, in sorrows, in regrets, in fears.

I’m afraid of staying afraid forever.

Who the fuck am I, you ask? A lot braver than I give myself credit for. I know that. Deep down, I know that I am stronger than all these fears.

See? That is exactly what I needed to hear.

It’s also the truth.

I am braver, stronger, more determined and more inspired than I’ve allowed myself to be so far. My fears don’t define me. It’s time I start defining myself without them.

From this day on: I am unafraid.

pointe-saint-mathieu-2017-10-06

 

Healing hurts like a bitch

« Plus jamais je ne souffre pour m’apprendre à ne plus souffrir. »

La souffrance marque la mémoire au fer rouge. C’est une leçon que le corps ne veut pas oublier, alors il s’assure que l’esprit l’enregistre, au fer rouge aussi : plus jamais ça.

Plus jamais une douleur à l’oreille qu’on ignore.

Plus jamais une « gêne » qu’on laisse se résorber au creux de l’oreille. C’est fragile, un canal auditif. C’est précieux, un tympan.

Si ça gêne, c’est un problème en devenir. Un jour, la gêne devient une douleur, puis une souffrance, en un instant.

Un jour, ton médecin traitant t’envoie d’urgence chez l’ORL et tu te retrouves à fixer la fenêtre, immobile, en train de te convaincre de ne pas sauter par cette fenêtre, et de ne pas non plus t’éclater la tête contre le mur derrière toi.

Il suffirait de se jeter en arrière.

Tout ton poids en arrière et la douleur s’arrête.

Promis.

Les larmes roulent sur tes joues, et t’auras bientôt plus de dents si tu continues à les serrer comme ça. Mais tu tiens bon. Parce que ça va être à toi. Bientôt. C’est sûr. Encore une minute.

Tu peux tenir une minute. C’est seulement 60 secondes. Tu peux compter 60 secondes. Elles passeront plus vite si tu les comptes.

7 200 secondes plus tard, on t’annonce que t’es passée à 1 800 secondes des urgences pour une trépanation.

Tu t’en fous, pourvu que la douleur cesse.

Plus jamais t’ignores une « gêne » à l’oreille.

Plus jamais une douleur dentaire qu’on ignore.

T’as trois ans de plus. T’as déjà dit plus jamais une fois, et pire que jamais revient. Tu te fais opérer des dents de sagesse, mais parce qu’en 2003 c’était la mode, et que les orthodontistes s’en faisaient des couilles en or, on te retire tes dents de sagesse en cabinet de chirurgie dentaire. Sous anesthésie locale.

Le mec a tout juste fini de te recoudre les 4 gencives (2 en haut, 2 en bas), que l’anesthésique commence à s’estomper. Tu le sais pas, mais tu le sens.

« — Euh, vous avez quelque chose pour la douleur ?
— Ici ? Non, mais voici une ordonnance.
— Mais il est 19h.
— Ah oui ! Il vous faut trouver la pharmacie de garde ! La plus proche sur votre route… Est à 40min d’ici. »

Ça va, 40 minutes c’est que 2 400 secondes, mais t’arrives pas à compter parce que les battements de ton coeur faussent le rythme.

T’es en voiture, à la place du passager, et tu luttes pour ne pas t’éclater la tête contre le tableau de bord : si je m’assomme, ça ira mieux, parce que ça passera plus vite. Juste un coup de tête, et je m’assomme.

T’as pas peur de la douleur, parce que ça peut pas être pire que celle de 4 gencives à vif.

« — Mets la radio
— Je mets de la musique ?
— Non, mets des gens qui parlent, pour que je puisse me concentrer sur ce qu’ils disent. »

Ce soir là, chez RTL, vous m’avez mise hors de moi, mais pire que d’habitude. Tas de cons.

Encore 720 secondes. Je préfèrerais m’assommer.

240 secondes mais c’est si long de récupérer une boîte de cachets ?!?!?!?

Je mettrai 8 ans à retourner chez un dentiste, après le dernier rendez-vous pris et payé par mes parents. Fallait pas trahir ma confiance comme ça.

J’ai les dents bien alignées, mais sérieux, ça ne valait pas ça.

Plus jamais je ne monte sur une planche de snowboard sans mes protège-poignets

Y a littéralement 100 m à faire.

Je suis épuisée.

Mais c’est tellement chiant de mettre les protections, puis les gants, puis les fixations, puis se relever.

C’est vraiment que 100 mètres.

C’est en pente douce.

Au pire, je risque quoi ?

Deux chutes plus tard, je peux plus bouger les mains : ça me fait mal.

Mais ça va. J’ai connu pire. Mes dents, mon oreille et sa mâchoire inflammée, c’était tellement, tellement pire. J’ai juste une tendinite, je crois.

Le lendemain, ça passe pas, c’est bleu et gonflé, faut aller consulter.

Deux radios. Deux fractures.

« Il faut réduire la fracture, c’est-à-dire remettre l’os en place avant de plâtrer ».

Ok, on fait ça.

Le chir’ me place le coude en bandoulière, dans une écharpe vers le bas, et 3 doigts de la main dans des bandes adhésives qui les tirent vers le haut.

Puis il écartèle le tout, et commence à tripoter la partie de ma main où un débris se balade.

Je hurle comme un chat qu’on écorche en commençant par la queue.

Ça a duré moins de 40 secondes.

J’ai voulu crever sur place. La foudre eût été plus clémente.

J’ai passé deux mois les deux poignets immobilisés. Et 40 secondes de douleur comme j’en avais jamais connue.

Plus jamais je monte sur une planche de snowboard sans mes protège-poignets.

Plus jamais ça.

J’étais trop de fois chez une psy. Oui, toujours une femme, mais j’ai pas fait exprès. À chaque fois parce que j’avais envie de crever, mais ça n’avait pas de sens, parce que j’avais toutes les cartes en main pour être heureuse. Alors pourquoi je l’étais pas ?

J’allais chercher l’explication. Je ne la trouvais pas. Je ne l’ai pas trouvée.

J’avais lu ou entendu quelque part, qu’aller consulter un·e psy, c’était comme aller chez le médecin, mais pour l’esprit.

Sauf que quand tu boîtes, ou que t’as une plaie béante, tout le monde te dit mais oh mon dieu, va voir un médecin !

Quand t’as envie de crever, ça ne se voit pas forcément, et même aux gens tristes, y a pas grand monde qui leur dit « tu devrais voir un·e psy » comme si c’était une évidence.

C’est plutôt une condamnation. Puisque visiblement personne ne peut rien pour toi, surtout pas toi-même, va voir un·e psy. C’est un débarras, pas un conseil. Un abandon, pas un salut.

Je suis allée voir des psys pour trouver une solution. Mais je ne leur ai pas laissé une seconde chance, alors qu’aux médecins, je leur ai laissé mille chances, malgré les souffrances qu’ils m’ont infligées, par inadvertance, par ignorance ou par négligence.

Parce que les médecins m’ont soignée. Je suis toujours revenue vers eux parce qu’ils ont fait disparaître la douleur. Les psys, jamais. Et je l’ai retenu contre eux.

J’ai mis huit ans à revoir un dentiste, mais j’ai mis douze ans à vraiment revoir une psy, à lui faire confiance. À lui dire où ça fait mal, en sachant qu’elle allait appuyer dessus.

Les médecins, je peux le faire. Je sais qu’en sortant j’aurai moins mal. Même si ma mémoire me rappelle toujours aux souffrances, rarement aux soulagements.

Mais les psys, jusqu’à présent, elles me laissaient seule avec ma souffrance. Et me donnaient des solutions qui ne résolvaient pas mes problèmes.

Cette psy-là a été différente.

La première m’a dit « pourquoi vous êtes là ? », je lui ai raconté, elle m’a dit « ça, c’est la dépression ». Et puis, rendez-vous dans un mois.

Comme si un chirurgien me disait « C’est un cancer ! Rendez-vous dans un mois ».

Elle m’a ouverte, et a laissé la plaie béante.

La suivante a fait l’inverse. Faut dire que j’avais perdu la confiance.

« Alors, y a eu un déclencheur, n’est-ce pas ? »

C’est comme si j’avais répondu « oui, j’ai une crampe au mollet » et qu’elle avait renchérit « ok, on va ouvrir de la cheville au jarret ».

Je suis étripée au détour de ses phrases, mais la douleur ça va, parce qu’elle cautérise immédiatement ce qu’elle expose au grand jour.

Je suis sortie de là avec plus de devoirs qu’en dix ans de thérapies cumulées. Mais je suis sortie de là soulagée.

Elle m’a fait mal comme un chirurgien qui opère à vif, mais elle n’a rien ouvert qu’elle n’était en mesure de cautériser immédiatement.

Et avec toute la douleur qu’elle m’a infligée sur l’instant, aucun médecin ne m’avait fait autant de bien en un si court instant.

Et je sors de ce rendez-vous avec une nouvelle promesse.

Plus jamais je ne m’inflige à moi-même la souffrance que je me suis infligée, en ignorant les affres de la vie quotidienne.

Plus jamais je n’épingle mon dos de cent clous posément enfoncés, par esprit de martyr, de sacrifice ou de négligence.

Plus jamais je ne m’ignore au point d’encaisser pour d’autres, la négligence, la déception, l’angoisse et la peur d’autres.

Plus jamais je ne digère ma propre lâcheté, quand j’ai tout le loisir de comprendre ou de refuser des émotions qui me contaminent.

Plus jamais je ne m’inflige la souffrance que j’ai supportée pendant plus d’une décennie, au motif que si personne ne la voyait, alors c’était le fruit de mon imagination.

Elle était aussi réelle que ma mastoïdite, que mon extraction des dents de sagesse sous anesthésie locale, que ma double fracture du poignet à réduire.

Ma dépression était réelle. Elle était la pierre qui m’infligeait une noyade permanente.

Plus jamais je ne me laisse noyer par cette pierre. Plus jamais je ne laisse des blessures invisibles lacérer tout mon être.

Plus jamais je ne laisse des douleurs psychologiques marquer mon corps et mon esprit, quand il me suffirait d’y répondre — alors que j’ai le pouvoir de les affronter.

Plus jamais je ne laisse mon esprit taire la douleur que mon corps crie, au motif qu’il a le pouvoir de l’éteindre : il se trompe. Elle finit par ressurgir, comme la lave éructe d’un volcan, brûlant ses flans telle une furie.

Plus jamais ce déni, plus jamais cette souffrance
 au motif que personne ne l’entend.

Elle est réelle parce que je la vis. Elle est sérieuse parce que je la ressens. Que personne d’autre ne la voie, c’est bien le cadet de mes soucis.

Plus jamais la souffrance exorcisée ce jour-là.

J’ai souffert une fois de trop, sans doute une fois pour rien. Mais si j’apprends enfin que cette souffrance n’est pas utile, c’était une fois utile enfin.

Et plus jamais je ne souffre pour m’apprendre à ne plus souffrir.

Le goût de l’effort (dans le dur)

Je ne me souviens plus si j’ai déjà écrit sur le sujet. J’avais oublié, pour la confiance. Ça m’est revenu cette semaine, en décantant les obstacles et les difficultés qui s’entrechoquaient dans mon esprit, engluées par le doute : la confiance est un muscle qui se travailleJe m’en suis souvenu.

Ça se pratique. Le doute s’amenuise, comme les courbatures se raréfient. Mais ça prend du temps, et beaucoup d’énergie.

Ça se travaille. Mais j’avais aussi oublié : ce travail n’est pas qu’un processus, il est aussi une fin en soi. J’aime ce travail, cette épreuve permanente, par laquelle je progresse, et donc, je m’accomplis.

Comment l’expliquer ? C’est tellement paradoxal. En chier pour kiffer, c’est comme souffrir pour être belle : on dirait un oxymore, une relation décorrelée. Un déséquilibre. Mais toute la différence se fait dans le choix d’être là, et celui d’avancer. Choisir ou subir, c’est toujours ça la différence essentielle, au fond, pour moi.

Je choisis d’être là. Pas au passé, mais au présent, chaque jour : je choisis d’être là. Je choisis de continuer à avancer, comme ça. Et c’est long, et c’est dur, et c’est parfois frustrant, et parfois gratifiant, mais c’est toujours éphémère, pratiquement instantané.

J’investis pour réussir. La mise de départ, c’est beaucoup de confiance et d’énergie, que je relance à tous les coups, parce que j’y crois comme j’ai jamais cru à rien avant ça, parce que je veux réussir plus que j’ai jamais voulu réussir quoi que ce soit avant ça. Parce que le jeu en vaut la chandelle, comme aucun autre avant celui-là.

Je dis que j’investis, parce que je n’attends pas de retour immédiat. C’est pas “action-récompense”, c’est une succession d’actions qui finira par déboucher sur un progrès. C’est pas des paris que je fais, c’est des briques que je pose. Il faut attendre que le ciment prenne. C’est long. C’est lent. Je suis dans le dur.

Mais j’ai retrouvé le goût de l’effort. La satisfaction d’en chier. La sensation que tes actions font bouger les lignes, mais très sensiblement. Comme un frémissement. C’est la conscience du battement d’aile d’un effet papillon. Je sème des graines. Et je bosse.

Le goût de l’effort, c’est le kiffe né dans la douleur. C’est le dernier kilomètre de la course qu’on finit au mental, quand les muscles hurlent mais que la tête prend le relai. Et qu’à l’arrivée, toute la souffrance est déjà oubliée.

C’est la satisfaction d’essayer et de persévérer, de continuer, de garder les yeux sur l’objectif même si ça prendra du temps et demandera beaucoup d’efforts, d’y arriver.

Ça y est, je me suis souvenue que j’aimais suer à grosses gouttes, avoir le souffle haletant et les mollets en feu. J’aime les courbatures qui te font dire à la fois « plus jamais ça » et « j’y retourne quand », pratiquement dans la même pensée. J’en peux plus et j’en redemande. Tout le temps.

Ouais. J’ai oublié de kiffer. J’ai le goût de l’effort au point d’oublier d’en profiter. J’aime suer jusqu’à m’en aveugler, m’essouffler jusqu’à l’épuisement, tirer sur la corde jusqu’à ce qu’elle se tende et menace de lâcher. C’est ça, mon kiffe. Repousser mes limites.

J’en fais toujours plus parce que j’en sors toujours grandie. J’essaie plus que les autres pour réussir mieux qu’eux. Je m’obstine et je persévère pour me rendre fière. Je suis perfectionniste parce que le diable est dans les détails et que je brûlerais l’enfer pour atteindre le paradis.

J’ai le goût de l’effort jusqu’à m’en épuiser. Et c’est ça mon addiction, c’est ça mon kiffe. Je l’avais juste oublié.

C’est pas la traversé du désert, ni même l’ascension de l’Everest. C’est un marathon, et je suis entrée dans le dur. C’est normal que ça tire, que ça fasse mal dans les jambes, que le mental flanche, et que j’en ai des nausées. Mais c’est ça qui est intéressant, pour moi. C’est l’épreuve qu’il représente, ce marathon, ce sont les haies que je dois sauter, la distance à tenir et les intempéries qui viennent tout compliquer.

Je me ferais vraiment chier à moins de ça. Et même dans le dur, j’ai qu’une seule envie : libérer ma foulée. Si j’avais pu courir le marathon au rythme d’un sprint, je l’aurais fait.

Alors, pour tenir l’effort, j’ai voulu ralentir, mais ça me rend folle de frustration, en fait. Et c’est pas ça le problème, au fond. J’ai pas besoin d’être patiente, j’ai juste besoin de me rappeler du goût de l’effort. Et pourquoi j’y suis autant accro.

J’ai juste oublié de kiffer ce pourquoi j’investis tant : la satisfaction d’avancer. Pas toute seule : en équipe, tou•tes ensemble, moi et tout•es celles dont la vie est touchée par les mots qu’on répand.

Le goût de l’effort, c’est ce qui me fait kiffer, même en plein dans le dur. Surtout quand le pire est déjà passé, et que l’avenir nous gave de promesses plus hautes que l’Everest.

« Do or do not. There is not try ».

Yoda a tellement raison. J’ai pas le time pour les hésitations. J’ai trop d’énergie, trop de volonté, trop de motivation pour les coups d’essai.

Je prends des risques parce que je ne supporte pas les regrets. J’avais juste oublié que j’avais le droit à l’erreur… et donc le droit de kiffer les réussites, même si elles sont triviales.

C’est ça, le goût de l’effort. Le kiffe à chaque pas qu’on prend, de ceux qui s’enchaînent à ceux qu’on s’arrache. Plus c’est dur, plus je kiffe. Pour le challenge, et même dans le dur : c’est là que ça devient intéressant.

Le goût de l’effort, c’est apprécier le chemin, pas la destination. L’histoire de la vie, au fond. Sauf qu’on va plus vite pour aller plus loin. Qu’on se donne plus, parce qu’on en a les moyens. Et que je vais crever si je me mets au pas, au diapason des autres qui avancent trop lentement dans leurs vies sécurisées… quand j’affronte la mienne à pic, que j’escalade en tête la piste de mes projets.

Je suis dans le dur. Et à moins de ça, je me ferais chier à en crever.

La chute des idoles

Je sais que j’ai dit que ça ne me touchait plus, mais en fait ça me touche. J’ai beau me répéter que je suis au-dessus de ça, que j’ai grandi, que c’est bon, c’est une étape franchie pour moi, ça me touche quand même.

Ça fait presque un an et j’arrive pas à lui pardonner, pire encore, non seulement plus le temps passe, et plus je réalise que je n’arriverai pas à lui pardonner, mais moins je pardonne à tous ceux qui ne se rangent pas de mon côté. Qui choisissent le statut quo, ou pire : son côté. J’en sais rien, je veux pas savoir en fait, parce que si c’était le cas, j’arriverais encore moins à le leur pardonner.

Je comprends pas pourquoi c’est à moi de faire les pas dans le bon sens, comme si c’était moi qui m’étais éloignée de je ne sais quel droit chemin, dans lequel il faudrait que je revienne.

Je ne comprends pas comment des gens que j’ai pu aimer, admirer, prendre en exemple puissent faire aujourd’hui preuve d’autant de dédain et de lâcheté.

Tu vois que les mots sont durs, parce que les lire te blesse. Alors pourquoi tu comprends pas que les entendre lancés contre moi, à pleine vitesse, me laisse des plaies sans cesse réouvertes à chaque fois que la même voix résonne, que sa fausse innocence claironne ?

On a rien à se dire quand on ne se respecte pas.

L’ironie de l’histoire, c’est que j’écris ça 72 heures après la victoire de Trump, et ce refrain qu’on chante en boucle sur tous mes channels de communication : faut s’écouter. Faut se parler. Faut arrêter de mépriser ceux qui ne pensent pas comme nous, faut arrêter de les prendre de haut parce que l’Histoire nous donnera raison, et qu’ils sont à la traîne du progrès. Je sais.

Tu peux retirer le couteau que tu m’as planté dans le dos ? C’est juste histoire que je reprenne mon souffle, et que je change de ton. Parce qu’il est là le problème avec ces belles intentions. Je la trouve où, la patience de le rester face à tous ceux qui me crachent au visage ?

Je voudrais bien continuer à faire semblant… Parfois je me dis que j’aurais dû continuer à faire semblant, à jouer les caméléons, passer pour invisible dans le canevas des différences. Oui je sais c’était lâche, mais personne ne me l’aurait reproché, même s’ils l’avaient su. Parce qu’ils savent aussi ce que ça coûte que de lever le voile et de se mettre à nu. Mais en fait non, je ne peux plus faire semblant.

J’étais surtout terrifiée par la réaction des hordes d’inconnus, parce que c’est terrifiant de susciter la haine de ceux qu’on n’aura jamais vu, à qui on n’aura jamais parlé, qui ne savent rien de nous sinon une étiquette qui semble justifier à elle-seule le rejet de tout un être. C’est vraiment terrifiant d’être haïe parce qu’on est. Ça ne laisse que deux choix : accepter ou disparaître. Littéralement, être malgré la haine, ou arrêter d’être.

Je me disais que ça n’arriverait pas avec les gens qui me connaissent déjà. Tu peux pas réduire quelqu’un que tu connais à un détail de ce qu’il est, et que t’avais jamais remarqué en plus, ou juste soupçonné. D’autant plus que les gens qui t’ont appris la tolérance ne peuvent pas être intolérants à ton égard, c’est ridicule, insensé. C’est très con. C’est décevant.

C’est tout un dégradé de déceptions que j’ai du mal à formuler, entre le mot de travers et le rejet assumé. C’est des mots que j’arrive pas à pardonner, même en allant chercher toutes les excuses du monde.

Ça fera bientôt un an, encore une date que je voudrais pouvoir oublier, mais que la saison me rappelle, sans que je puisse y échapper.

« Faut amputer »

Je croyais qu’en un an, l’écart se serait résorbé, qu’on se serait retrouvés, quelque part à mi-chemin. Mais le temps nous éloigne, et les mots qu’on s’envoie rouvrent des plaies que je ne sais plus refermer.

À chaque fois que je me blesse, je ne compte plus les fois où tu me disais, pour rigoler : « faut amputer ».

Ouais. Faut amputer. Ça va faire mal, ça va saigner, mais moins que ces saloperies de déchirures qui ne veulent pas cicatriser et qui me lancent à chaque fois que je me prends à faire un pas l’esprit ouvert à ce qu’il pourrait se passer.

La chute des idoles est vraiment dure à accepter. Faut amputer. Sinon ça va finir par vraiment s’infecter.

Après tout, on a déjà guéri l’homophobie. Alors je garde espoir, mais j’ai arrêté d’avoir des attentes. J’ampute. Tant pis si l’absence de ces membres me lance, ça fait toujours moins mal que les plaies béantes.