D. 39 Midnight Summer Bliss

La lune est presque pleine. Et ce soir, comme le ciel était clair, la lumière était telle que la plage était blanche. Le sable était tiède, et ma peau étrangement caramel sous la caresse de l’astre. Comme un néon blafard sur une carte postale.

C’est le bordel dans ma tête, ce soir. Alors j’ai pris quelque minutes pour faire le tri, vider le bruit, garder l’essentiel.

Mais ce soir, rien. Tout va bien.

On est allé dîner en ville. C’est-à-dire qu’on s’est réparties à 2 par scooter, et qu’on est allé se poser dans un « warung » de Bira. Un jus d’ananas frais, du tofu frit, de la sauce piquante et un émincé de légumes dans leur bouillon (Cap-Cay), le tout pour 45 000 Rp : 3€.

Parfois j’oublie que je suis au bout du monde, et que des moments comme celui-ci feront des souvenirs à collectionner.

Je me suis rappelée des Français qu’on a eu la semaine dernière, de leur putain d’arrogance, de leur mépris envers les Asiatiques, et vous savez pas ce que vous perdez.

Je me suis demandée, face à la mer, ce que je répondrais aujourd’hui à THE question de recruteur, de type ma plus grande qualité/mon plus grand défaut. (J’ai prévenu que c’était le bordel dans ma tête).

Je sais plus. Ma plus grande qualité, professionnellement, j’aurais dit ma capacité d’adaptation. Ma capacité à ne jamais m’avouer vaincue, battue, dépassée, ne pas être acculée dans une impasse, mais toujours retirer quelque chose d’une situation. Et je dirais que j’ai depuis renforcée cette qualité, en la doublant de mon rapport aux autres : avant, je cherchais souvent à m’en sortir seule. Les autres étaient une solution d’opportunité. Mais depuis quelques mois, et surtout depuis ce voyage, j’ai changé d’état d’esprit à ce sujet. L’équipe. Je suis encore plus performante en équipe.

Mon plus grand défaut, il y a encore quelques semaines, j’aurais dit mon impatience. Mon incapacité à être satisfaite du timing, quoiqu’il arrive. Soit j’ai pas assez de temps pour faire ce que je veux, soit les fruits seront mûrs dans trop longtemps.

Mais cette réponse appartient à l’époque où mon rapport au temps était conflictuel. Ce n’est plus le cas. Je sais que ce n’est plus le cas, parce que j’ai déjà perdu le compte des jours que je passe à terre. Ça m’aurait rendu folle il y a encore quelques semaines. J’aurais compté les heures avant ma prochaine plongée. J’aurais souffert de chaque minute non investie, non employée, non rentabilisée.

Je ne joue plus contre la montre. Le temps n’est plus une contrainte ni un obstacle, c’est une donnée. C’est neutre. Je ne maîtrise pas. Je fais avec.

Alors, c’est quoi mon plus grand défaut ? Je cherche. C’est important pour moi, de connaître mes faiblesses. J’aurais tôt fait de me rappeler mes forces sitôt lâchée dans le champ de bataille.

Mais mes faiblesses me prendront par surprise si je ne tiens pas ma garde.

Je cherche.

PS : ça fait trois nuits de suite qu’un animal se balade dans ma chambre quand j’éteins la lumière. Hier, il a fait vaciller le spray posé sur ma table de chevet, et ce soir, il y a carrément tout renversé (j’étais sortie). J’arrive pas à le choper en flag donc je sais pas ce que c’est…

Mon niveau de chill atteint des sommets. Mon moi d’une autre vie aurait déjà pâli d’angoisse et failli, rien qu’à l’évocation de pareille situation.

Demain, je coache deux jeunes Brits pour la théorie de l’Open Water (débutants zéro). Back to business, parce que même au sec, je peux partager ma passion.
🙂

D. 37 Le temps qu’on passe à réfléchir n’est pas du temps perdu

J’aime pas faire du surplace. Le temps qu’on passe à attendre la suite, à court ou à long terme, m’a longtemps paru être du temps perdu.

J’ai le vertige quand je pense aux jours, aux semaines, peut-être aux mois qu’ont été toutes ces minutes additionnées, à attendre le bus, de la maternelle au lycée. Deux fois par jour. Vingt minutes, deux fois par jour, pendant quinze ans.

Et c’est sans compter les retards, les bouchons, les trains qui ne sont pas venus, les avions qui décolleront plus tard, les wagons arrêtés sur les voies… Les arrêts maladies, les après midi cloîtrée à l’intérieur, les « je m’ennuie », les « j’ai pas d’idée », et tout le temps passé à le tuer…

Mais le temps qu’on passe à réfléchir n’est pas du temps perdu. J’ai eu tant de temps morts pendant ce voyage, certains subis, d’autres choisis, et je réalise aujourd’hui que toutes les pensées filées pendant ces heures, tressées dans ces minutes, finissent par donner un canvas que j’accrocherai quelque part dans ma mémoire.

Pour quelqu’un qui a tant besoin de bouger, qui ne trouve l’équilibre que dans le mouvement, le temps sur place me semble toujours une éternité.

Mais le temps qu’on passe à réfléchir n’est pas du temps perdu, parce que réfléchir est une activité productive et enrichissante. J’ai longtemps cru que j’y avais recours par défaut, en désespoir de cause, quand ma musique ne marche pas, qu’il n’y a pas de réseau ou que me téléphone n’a plus de batteries.

Mais le temps que je passe à réfléchir est du temps investi : même lorsque j’ai le sentiment que ce capital serait mieux utilisé autrement sur le moment… Je sais désormais que j’en tirerai profit. Quand le temps sera venu.

D. 36 Les habitudes qui tuent et les habitudes qui sauvent

Depuis le début de ma croisade contre les habitudes (jour 13, Force of habit), j’ai continué à réfléchir à ce qu’elles apportent VS ce qu’elles coûtent. Et j’en suis arrivée à la conclusion qu’il y a deux types d’habitudes : celles qui sauvent, et celles qui tuent.

Les habitudes qui sauvent, c’est le clic de la ceinture de sécurité, le tac-tac-tac-tac c’est bon j’ai mes clés, c’est le code de la CB, c’est vérifier la pièce jointe avant de cliquer sur envoyer. C’est tourner l’ouverture de la bouteille avant de mettre le bras dans le gilet. C’est regarder à droite, à gauche et puis à droite avant de traverser. C’est se relire avant de cliquer sur « envoyer ».

C’est les automatismes qui ne coûtent rien comparé aux drames qu’ils évitent.

Les habitudes qui tuent, c’est le « je connais la route par coeur », le « je pourrais m’équiper les yeux fermés ». Ce sont les mots qui viennent tous seuls parce qu’on écrit toujours les mêmes, les gestes qu’on fait sans y penser. Ce sont celles qui font que les jeunes singes agissent comme les vieux singes, sans se poser de question. C’est du goudron qui nous englue les plumes.

Les habitudes qui tuent sont celles qui n’ont pas de sens, juste l’illusion de la sécurité, maquillée en confort. C’est « si les clés ne sont pas sur le tableau, c’est qu’elles sont dans ma poche », parce que ça coûte moins d’effort de jeter un coup d’oeil que de tâter sa poche.

Les habitudes qui tuent endorment, les habitudes qui sauvent économisent de l’énergie sans compromettre la sécurité, la performance, la productivité, la créativité.

Ta réunion quotidienne ou hebdomadaire est une habitude qui tue si c’est juste une coquille vide, un RDV fixe qui existe parce qu’on le respecte. C’est une habitude qui sauve si elle sert à re-dynamiser une équipe comme la marée qui monte.

Tes TOC sont des habitudes qui tuent si tu sais plus pourquoi tu fais le tour de la cuisine avant de sortir de chez toi. C’est une habitude qui sauve si tu sais que tu vérifies l’état des plaques de cuisson et du robinet avant de t’absenter.

Voilà la clé de mon grand ménage : éliminer les habitudes qui tuent, et développer les habitudes qui sauvent.

Après deux semaines passées à plonger tous les jours, je pourrais m’équiper les yeux fermés. Mais est-ce que j’ai envie de me jeter à l’eau avec un équipement mis en place « par habitude » ?

Et comment je fais pour éviter que ça devienne une habitude ? C’est assez facile, au fond : je ne retiens pas les gestes, je retiens les raisons.

  • Faut que je flotte –> état de la stab (toutes les boucles)
  • Faut que je coule –> mes poids sont-ils bien en place ?
  • Faut que je voie –> Où est mon masque ?
  • Faut que je respire –> bouteille ouverte, détendeur fonctionnel, état de la réserve
  • Faut que je sache où j’en suis –> ordinateur
  • Faut que je me déplace –> palmes

Voilà. Pourquoi je fais les choses, ça peut pas devenir une habitude. Même si je fais la même chose tous les jours, plusieurs fois, je me rappelle à chaque fois : pourquoi je le fais.

Et ça, c’est une habitude qui sauve.

D. 31 Time is of the essence

De toutes les forces et les pressions qui s’exercent sur moi, dans ma vie, le temps est celle que j’ai le plus de mal à comprendre.

Le temps est à la fois relatif et absolu. Absolu, parce qu’il est impossible d’altérer son cours, universel et constant. Relatif, parce qu’une « minute micro-ondes » est infiniment plus longue que celle qui précède la fermeture des portes avant le départ du train, et s’évapore en une seconde. Une journée de travail dure moins longtemps qu’une heure de cours soporifique, elle-même insolemment plus courte qu’une semaine de vacances.

La relativité du temps est ce qui m’autorise à croire qu’il faut l’économiser, le rentabiliser, parfois même le perdre.

Le temps nous est conté

Je compte les jours en écrivant ce journal, pour avoir une idée du temps qui passe, mais aussi pour éviter qu’il ne m’échappe et me surprenne, la veille de mon départ, à me demander où est-ce qu’il a filé.

On dit que le temps, c’est de l’argent, mais c’est pas tout à fait vrai : le temps, c’est une monnaie dont le cours est extrêmement volatile (cf sa relativité…) Parfois huit heures de sommeil vaudraient tout l’or du monde, parfois j’aurais vendu mon âme contre une minute d’avance sur le quai de la gare.

C’est une monnaie, parce qu’on peut en faire bien des choses, mais il n’a que la valeur qu’on lui donne, et celle qu’on lui reconnaît.

Le temps de 12 litres à 200 bars

Le temps, sous l’eau, c’est une aiguille qui glisse vers la gauche. Elle commence à 200 bars, et à mesure que je respire, elle descend sur le cadran. À mi-chemin, elle m’intime d’entamer mon retour. À 50 bars, la sortie est impérative.

Je regarde défiler les minutes sur l’ordinateur, mais c’est ma respiration qui mesure en réalité le temps qui passe.

Je crois que c’est pareil, à la surface. Le seul temps qui compte vraiment, c’est celui qui me reste à respirer sans entrave. Sauf qu’il n’y a pas de manomètre pour m’indiquer si j’ai de la marge devant moi, et combien… Si ça vaut le coup de s’attarder les yeux dans le bleu, à attendre que quelque chose se passe, ou si j’ai plutôt intérêt à continuer ma route, à chercher moi-même un lieu remarquable.

On fait l’erreur de croire qu’il n’y a que sous l’eau que notre temps est compté, mais c’est faux. Juste parce que le temps n’est pas mesuré, ça ne veut pas dire qu’il est infini.

Temps que je respire…

Sous l’eau, j’ai un excellent management du temps. Je garde un oeil attentif sur le manomètre, juste au cas où un mouvement excessif de l’aiguille indiquerait un problème.

Sinon, je connais mon rythme de respiration, je sais qu’il s’accélère en cas d’effort, je sais que mon volume d’inspiration augmente proportionnellement à la pression… Plus je descends au fond des choses, et plus le temps passe vite.

Mais ce n’est qu’un oeil que je dédie à cette surveillance. L’autre est ouvert, alerte, et m’immerge dans mon environnement. J’ai vu des merveilles sous l’eau, des bestiaux trois fois mon envergure les ailes déployées, des torpilles souples et agiles, aux dents acérés. Des bolides argentés, des arcs-en-ciel en dissolution, des feux d’artifice en slow motion, des monstres légendaires aux gueules fantastiques… Tout ça, dans le temps imparti.

Respirer l’air du temps

Je vais arrêter de vivre contre la montre, comme si chaque jour était une course qu’il fallait que je termine en tête. J’ai pas de record de vitesse à battre, et si le temps est une monnaie, on peut pas le mettre en banque. J’ai rien à gagner à le mettre de côté, ni à gratter des secondes comme si c’était des pièces. Le genre dont on finit souvent par se débarrasser, en plus.

Le temps n’est ni une contrainte ni un allié, c’est juste l’unité de mesure de l’existence, de la dimension dans laquelle j’évolue. Je garde un oeil sur la montre pour ne pas me perdre dans l’infini, ne pas laisser le temps filer, ni attendre que la vie commence.

Un nouveau cap, quelques coups de palmes, et c’est parti. Parfois les courants m’entraînent, parfois je suivrai mes propres envies. On verra où ça nous mène. Il n’y a pas de demi-tour prévu au programme, et je ne risque pas de manquer la sortie, elle s’imposera certainement à moi.

Entre temps, il sera toujours temps de faire ce dont j’ai envie, à condition de ne pas attendre « que ce soit le (bon ?) moment ». « Le bon moment » n’existe pas, c’est moi qui le décide.

Et j’ai décidé que compte tenu de mes paramètres, j’avais amplement le temps de respirer, avant de replonger dans la vie parisienne.