De toutes les forces et les pressions qui s’exercent sur moi, dans ma vie, le temps est celle que j’ai le plus de mal à comprendre.
Le temps est à la fois relatif et absolu. Absolu, parce qu’il est impossible d’altérer son cours, universel et constant. Relatif, parce qu’une « minute micro-ondes » est infiniment plus longue que celle qui précède la fermeture des portes avant le départ du train, et s’évapore en une seconde. Une journée de travail dure moins longtemps qu’une heure de cours soporifique, elle-même insolemment plus courte qu’une semaine de vacances.
La relativité du temps est ce qui m’autorise à croire qu’il faut l’économiser, le rentabiliser, parfois même le perdre.
Le temps nous est conté
Je compte les jours en écrivant ce journal, pour avoir une idée du temps qui passe, mais aussi pour éviter qu’il ne m’échappe et me surprenne, la veille de mon départ, à me demander où est-ce qu’il a filé.
On dit que le temps, c’est de l’argent, mais c’est pas tout à fait vrai : le temps, c’est une monnaie dont le cours est extrêmement volatile (cf sa relativité…) Parfois huit heures de sommeil vaudraient tout l’or du monde, parfois j’aurais vendu mon âme contre une minute d’avance sur le quai de la gare.
C’est une monnaie, parce qu’on peut en faire bien des choses, mais il n’a que la valeur qu’on lui donne, et celle qu’on lui reconnaît.
Le temps de 12 litres à 200 bars
Le temps, sous l’eau, c’est une aiguille qui glisse vers la gauche. Elle commence à 200 bars, et à mesure que je respire, elle descend sur le cadran. À mi-chemin, elle m’intime d’entamer mon retour. À 50 bars, la sortie est impérative.
Je regarde défiler les minutes sur l’ordinateur, mais c’est ma respiration qui mesure en réalité le temps qui passe.
Je crois que c’est pareil, à la surface. Le seul temps qui compte vraiment, c’est celui qui me reste à respirer sans entrave. Sauf qu’il n’y a pas de manomètre pour m’indiquer si j’ai de la marge devant moi, et combien… Si ça vaut le coup de s’attarder les yeux dans le bleu, à attendre que quelque chose se passe, ou si j’ai plutôt intérêt à continuer ma route, à chercher moi-même un lieu remarquable.
On fait l’erreur de croire qu’il n’y a que sous l’eau que notre temps est compté, mais c’est faux. Juste parce que le temps n’est pas mesuré, ça ne veut pas dire qu’il est infini.
Temps que je respire…
Sous l’eau, j’ai un excellent management du temps. Je garde un oeil attentif sur le manomètre, juste au cas où un mouvement excessif de l’aiguille indiquerait un problème.
Sinon, je connais mon rythme de respiration, je sais qu’il s’accélère en cas d’effort, je sais que mon volume d’inspiration augmente proportionnellement à la pression… Plus je descends au fond des choses, et plus le temps passe vite.
Mais ce n’est qu’un oeil que je dédie à cette surveillance. L’autre est ouvert, alerte, et m’immerge dans mon environnement. J’ai vu des merveilles sous l’eau, des bestiaux trois fois mon envergure les ailes déployées, des torpilles souples et agiles, aux dents acérés. Des bolides argentés, des arcs-en-ciel en dissolution, des feux d’artifice en slow motion, des monstres légendaires aux gueules fantastiques… Tout ça, dans le temps imparti.
Respirer l’air du temps
Je vais arrêter de vivre contre la montre, comme si chaque jour était une course qu’il fallait que je termine en tête. J’ai pas de record de vitesse à battre, et si le temps est une monnaie, on peut pas le mettre en banque. J’ai rien à gagner à le mettre de côté, ni à gratter des secondes comme si c’était des pièces. Le genre dont on finit souvent par se débarrasser, en plus.
Le temps n’est ni une contrainte ni un allié, c’est juste l’unité de mesure de l’existence, de la dimension dans laquelle j’évolue. Je garde un oeil sur la montre pour ne pas me perdre dans l’infini, ne pas laisser le temps filer, ni attendre que la vie commence.
Un nouveau cap, quelques coups de palmes, et c’est parti. Parfois les courants m’entraînent, parfois je suivrai mes propres envies. On verra où ça nous mène. Il n’y a pas de demi-tour prévu au programme, et je ne risque pas de manquer la sortie, elle s’imposera certainement à moi.
Entre temps, il sera toujours temps de faire ce dont j’ai envie, à condition de ne pas attendre « que ce soit le (bon ?) moment ». « Le bon moment » n’existe pas, c’est moi qui le décide.
Et j’ai décidé que compte tenu de mes paramètres, j’avais amplement le temps de respirer, avant de replonger dans la vie parisienne.
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