Bira Dive Camp est un oasis, posé sur une plage, au milieu d’une baie. Y a pas vraiment de route, de toute façon y a pas grand chose autour, y a pas vraiment de ville à proximité. Y a pas l’Internet, tout juste de la 3G (dieu merci), et y a pas d’horloge aux murs, nulle part.
Y a un seul miroir, au-dessus des « lavabos » du bloc sanitaire. Du coup, je me vois une fois par jour, au sortir de la douche (le soir, j’ai ma lampe frontale qui inonde le reflet).
L’horloge mesure le temps, le miroir me montre ses marques sur mon corps… À part mon épilation du sourcil qui se barre sérieusement en couille, il ne se passe pas grand chose sur ma gueule, en 45 jours…
45 jours. Je les compte pour éviter qu’ils ne m’échappent, mais ça ne marche pas : le temps passe quand même, à ses vitesses relatives et capricieuses.
L’heure et demi d’intervalle de surface qu’on passe sur le bateau entre deux plongées fait en réalité 10 minutes quand j’ai décidé de dormir, et 4 heures quand le vent bat la coque et siffle à mes oreilles.
Le temps gouverne, et je subis
Le temps en profondeur joue toujours contre nous. Plus je reste, moins j’ai d’air, plus j’ai d’azote dans les tissus, plus courte sera mon exploration, plus longue sera la remontée. Le temps gouverne, et j’obéis. Je subis ?
Et à la surface ? J’ai déjà réfléchi sur le temps pendant ce voyage, celui qu’on (ne) perd (pas) à réfléchir, mais aussi à sa valeur (Time is of the essence). Mais c’est une question complexe, et elle revient en ce 45ème jour, parce que le temps qu’il reste vient de reprendre une dimension concrète : deux semaines.
En deux semaines, est-ce que je vais réussir à boucler mon Divemaster ? Il me reste tellement d’épreuves physiques et de tests à compléter… Il y en a pour plusieurs jours entiers, et il va falloir jongler avec les plongées pour les clients.
Et je voudrais vraiment boucler mon roman, auquel j’ai pourtant pas touché depuis ma promesse de m’y remettre. J’ai une infinité d’excuses, entre ma crève, la théorie à se coltiner, les plongées, ma fatigue profonde après, j’ai faim et j’peux pas manger quand je veux, j’arrive pas à me concentrer le ventre vide.
Je subis.
Comment ne pas subir le temps qui passe ?
Ça m’obsède un peu, cette question. J’ai pas peur de vieillir, mais j’ai peur de passer à côté de ma vie, comme une vache regarde passer le train. Je ne veux pas être baladée par les flots de l’existence, je veux faire quelque chose de ce temps imparti, dont j’ignore la durée.
Ne pas subir, c’est choisir. J’avais écris cette phrase, une année, dans mes bonnes résolutions (2008, de mémoire — yep !) :
« C’est étonnant, un choix. Certains sont morts pour permettre aux générations futures de l’avoir, d’autres se tuent pour ne pas avoir à en faire.
On hurle et se plaint quand on ne l’a pas, et par moments, on préfèrerait ne pas l’avoir. En fait, on n’y échappe pas.
Si pour avancer dans l’espace, il faut mettre un pied devant l’autre, chaque mouvement qu’on fait dans le temps est un choix.
Tourner à droite, rentrer chez soi, partir, revenir, choisir ses amis, son école, ses études, choisir un nom pour son poisson rouge, un mot de passe pour sa boîte mail, choisir ses mots quand on parle, choisir d’entendre sans écouter, choisir d’aller, ou de rester. Choisir entre poulet ou poisson, entre le vert et le bleu, entre colère et pardon.
Tant de choix qu’on fait sans s’en rendre compte, et d’autres qui nous coûtent chaque fibre de volonté.
Je sais que je déteste choisir, sans doute autant que j’aurais haï vivre sans avoir le choix. Ce paradoxe me rend folle de rage à chaque fois que je me retrouve sur la corde raide devant cet éternel problème, qui porte en lui-même sa solution : le choix »
« Chaque mouvement qu’on fait dans le temps est un choix »
C’est ça, la solution, n’est-ce pas ? Les choix. Pas les grands choix de vie, qui filent le vertige et la nausée, et de toute façon je ne crois pas aux grands carrefours, comme si « prendre à droite » ce jour-là allait bouleverser mon existence. De 1, c’est déjà suffisamment balèze de faire des choix sans avoir la pression supplémentaire de se dire : ce choix va changer ma vie.
De 2, je pense qu’on peut toujours re-prendre un embranchement plus tard, changer de voie, recommencer, et qu’un choix n’est jamais aussi dramatique qu’il se présente. Parfois, j’aimerais qu’il le soit davantage, les gens ne choisiraient plus aussi légèrement de manger de la viande s’ils mesuraient réellement les conséquences de leur choix à chaque repas.
Faire des choix, ça se travaille
En 2008, j’étais torturée par le choix… En 2016, ça va beaucoup mieux. Qu’est-ce qui a changé ? J’ai arrêté de considérer tous les choix que je suis amenée à faire comme des pièges qu’on me tend, comme s’il y avait une mauvaise réponse ou une mauvaise option.
Un choix, c’est un mouvement dans le temps. Mais le temps n’est pas linéaire (vu que j’ai établi qu’il était relatif !). Donc choisir, c’est LE moyen que j’ai d’agir sur le temps, avec le temps.
Si je voulais vraiment terminer mon roman, j’enverrais bouler ma formation divemaster. Merci les meufs (car toutes les plongeuses sont des meufs, meilleur camp de plongée du monde), c’était fun, mais finalement je suis pas si intéressée que ça pour obtenir mon diplôme cet été, je préfère finir mon roman en continuant à profiter de ce cadre paradisiaque, et à plonger de temps à autres pendant ces deux dernières semaines.
Si je voulais vraiment obtenir mon divemaster, je me débrouillerais pour passer toutes les épreuves le plus vite possible et en être physiquement débarrassée en 4-5 jours. Et me dégager plus de temps de repos. Quitte à suspendre ce journal de bord.
Si je voulais vraiment écrire plus, progresser dans mes brouillons en cours, je m’aménagerais ce temps quotidien.
Et si c’était aussi simple que ça, de maîtriser le temps ? En faisant des choix.
Et si c’était aussi simple que ça, de prendre les commandes de sa vie ? En faisant des choix. Ses propres choix.
La différence entre agir ou subir, c’est pas le pouvoir qu’on a ou pas, les capacités, les possibilités, ce ne sont pas des éléments extérieurs. Ce sont nos choix, et notre propension à les fuir ou à les assumer. (À peu près Dumbledore, au passage).
La différence entre les résolutions que je tiens et celles que j’abandonne, c’est un choix. Entre les projets sur lesquels je m’investis et ceux que je délaisse, c’est un choix.
La différence entre la personne que j’étais et celle que je suis devenue, c’est une succession de choix. Et le premier d’entre eux, c’était la volonté de changer.
Alors, est-ce que le temps joue pour ou contre nous, dans la vie ? Ça dépend, meuf. C’est toi qui choisis.
All My Days
Oh, et le son du soir : Alexis Murdoch, All My Days.
Well I have been searching all of my days
All of my days
Many a road, you know
I’ve been walking on
All of my days
And I’ve been trying to find
What’s been in my mind
As the days keep turning into night
Well I have been quietly standing in the shade
All of my days
Watch the sky breaking on the promise that we made
All of this rain
And I’ve been trying to find
What’s been in my mind
As the days keep turning into night
Well many a night I found myself with no friends standing near
All of my days
I cried aloud
I shook my hands
What am I doing here
All of these days
For I look around me
And my eyes confound me
And it’s just too bright
As the days keep turning into night
Now I see clearly
It’s you I’m looking for
All of my days
Soon I’ll smile
I know I’ll feel this loneliness no more
All of my days
For I look around me
And it seems you’ve found me
And it’s coming into sight
As the days keep turning into night
As the days keep turning into night
And even breathing feels all right
Yes, even breathing feels all right
Now even breathing feels all right
It’s even breathing
Feels all right
2 réflexions sur “D. 45 Est-ce que le temps joue pour ou contre nous ?”